Un an après les premières manifestations contre la corruption étatique dans l’affaire des déchets, le plan de sortie de crise du gouvernement n’a pas tardé à montrer ses failles. Les poubelles s’accumulent de nouveau dans les rues après le blocage du site de Bourj Hammoud par les manifestants et la municipalité qui dénoncent le chantage du gouvernement.
Comme l’avaient prévu les experts scientifiques, la crise des déchets n’aura pas tardé à refaire surface. Après que le gouvernement a adopté la solution des décharges côtières en mars dernier, il aura fallu attendre à peine le début des travaux lancés par la compagnie de Dany Khoury à Bourj Hammoud pour que la société civile avec, cette fois, l’appui du parti Kataëb, décide d’empêcher la mise en place de cette solution.
«Le gouvernement nous oblige à choisir entre jeter les ordures à la mer ou les voir s’empiler dans nos rues. C’est un chantage inadmissible, dénonce Serge Dagher, membre du bureau politique des Kataëb. Ce que prévoit le gouvernement, c’est une montagne de déchets non triés, de 15 mètres de hauteur, étalés sur 4 kilomètres, d’Achrafié au Metn. Nous ne pouvons pas accepter de mettre en danger la vie des citoyens libanais et, puisque nous sommes obligés d’en arriver là, nous sommes prêts à subir une nouvelle crise des déchets s’il le faut. C’est malheureux. Mais le gouvernement ne nous laisse pas le choix. En tout cas, nous sommes prêts au dialogue, si le ministre Chéhayeb l’accepte», poursuit-il.
Des militants du parti Kataëb, appuyés par des membres de la société civile, ont dernièrement réussi à stopper le début des travaux lancés sur le site de Bourj Hammoud, poussant ainsi la municipalité de la région à fermer la route menant à l’aire de stockage temporaire des ordures. Nardig Boghossian, président du Conseil municipal de Bourj Hammoud, a refusé que les déchets continuent d’y être entassés sans que les travaux d’aménagement ne puissent débuter. Résultat: Sukleen n’a pas pu collecter les ordures dans les régions concernées.
A la question de savoir pourquoi les Kataëb n’ont pas utilisé leur droit de veto, en mars dernier, lors de l’adoption de la solution gouvernementale, Serge Dagher répond: «A ce moment, il (le parti) n’avait pas le choix. C’était le seul moyen pour débarrasser les rues des ordures. Nous l’avons acceptée en gardant en tête que nous agirons dans les étapes à venir, après la mise en place de ce plan. Et c’est ce que nous faisons aujourd’hui, depuis le début des travaux de Bourj Hammoud».
Le parti Kataëb demande le retour au premier plan, proposé par le ministre Akram Chéhayeb, en septembre 2015, prévoyant une solution décentralisée à la crise des déchets. «Nous réclamons simplement ce que le ministre avait lui-même proposé dans son premier plan. Nous refusons que Bourj Hammoud devienne la poubelle du Liban».
Mais pour les experts scientifiques, il n’est guère surprenant que le premier plan Chéhayeb n’ait pas été adopté l’an passé. «Le ministre de l’Agriculture lui-même ne voulait pas de ce plan, dénonce Paul Abi Rached, président de l’ONG (organisation non gouvernementale) T.E.R.R.E Liban. Preuve en est, son plan était miné de contradictions et impossible à mettre en place, comme lorsqu’il a proposé d’accueillir les déchets au Akkar et dans la Békaa. Il voulait alors calmer les manifestations d’août, en proposant une solution décentralisée dans laquelle il n’inclut par l’incinération. En réalité, il n’a jamais voulu de ce plan. Son objectif se limitait à le faire échouer pour passer à l’option qu’il voulait vraiment».
Des solutions durables et simples
Lorsque Paul Abi Rached évoque la réelle solution désirée par Chéhayeb, il ne parle pas seulement de la mise en place de quatre incinérateurs au Liban pour traiter les déchets à long terme, mais aussi d’un projet foncier juteux dont profiteront les politiciens impliqués. «Chéhayeb est un excellent politicien, affirme Abi Rached. En septembre dernier, il a réussi à nous faire croire qu’il recherchait une solution durable alors, qu’en réalité, tout ce qu’il voulait c’était de transformer les côtes de Bourj Hammoud et de Costa Brava en de nouveaux Solidere. Pour ce faire, il souhaite remblayer la mer avec des déchets non triés et détruire la montagne libanaise. Ce n’est pas seulement la mer qui est menacée, mais aussi la montagne. Tout cela pour un projet foncier où le mètre carré dépassera les 50 000 dollars!», confie le président de T.E.R.R.E Liban.
Selon l’écologiste et l’ensemble des experts interrogés à ce sujet, le ministre de l’Agriculture se servirait de la crise des déchets pour mettre en place ce genre de projets d’investissement. «C’est Chéhayeb qui a créé Naamé; il était ministre de l’Environnement à l’époque. Actuellement, c’est lui qui apporte la solution à la crise des déchets», s’indigne Paul Abi Rached.
L’écologiste craint une catastrophe écologique qui détruirait la montagne et la mer du Liban. «Le lixiviat, liquide qui se déverse des déchets en état de pourriture, est 100 fois plus dangereux pour la faune, la flore et, bien sûr, l’homme que ne le sont les égouts», prévient-il.
«Dans n’importe quel pays au monde, ce sont les gouvernements qui essaient de convaincre les citoyens de trier, explique Serge Dagher. Au Liban, c’est l’inverse: les citoyens supplient les politiciens de renoncer à une catastrophe écologique. Nous, nous coopérons seuls avec les municipalités pour réclamer le tri. Si les déchets étaient au moins triés à Bourj Hammoud, nous n’en serions pas là!», ajoute le militant.
Paul Abi Rached rappelle, de son côté, qu’il n’est pas trop tard pour sauver le pays de cette catastrophe écologique. «La solution est très simple: nous avons deux centres de tri, à Amroussié et à la Quarantaine. Il suffit de les utiliser. Il faut se décréter en état d’urgence écologique et demander aux municipalités du Mont-Liban de nous envoyer uniquement les ordures organiques, les couches et les serviettes en papier. Au lieu de produire 3 000 tonnes de déchets par jour, cela ne fera plus que 1 800 tonnes de déchets organiques à traiter dans les deux centres de tri que nous avons évoqués et qui ont cette capacité. Pour le reste des déchets non organiques, les municipalités seront ravies de pouvoir revendre cartons, métaux et déchets recyclables aux usines libanaises. C’est un plan d’urgence prévu pour six mois. Pendant ce temps, il faut aménager et/ou construire des usines de traitement et de tri dans les régions du Liban qui n’en ont pas encore. Cela coûterait, à l’échelle du pays, toujours moins que les 50 millions de dollars prévus seulement pour l’aménagement de Bourj Hammoud».
A Costa Brava, la situation est encore plus dangereuse, car la décharge se situe juste à proximité de l’Aéroport international de Beyrouth. «Les gaz qui se dégagent du site constitueraient une menace dangereuse pour l’activité de l’aéroport, ajoute Serge Dagher. Sans parler des oiseaux attirés par les déchets. L’activité des avions a déjà commencé à être affectée».
«Il n’est pas trop tard pour sauver la situation. Il faut montrer au gouvernement que les Libanais sont capables de bien trier et méritent un Etat digne de ce nom. Je préfère que les déchets restent dans les rues plutôt qu’ils ne soient jetés à la mer», conclut Paul Abi Rached s’adressant aux Libanais.
Soraya Hamdan
Retourner aux décharges
La décision gouvernementale, adoptée le 12 mars, prévoit le réaménagement des décharges de Bourj Hammoud/Bauchrié et celle de Costa Brava, à Khaldé. La première devait desservir les régions du Kesrouan, du Metn et une partie de Baabda, tandis que la seconde doit accueillir les nouveaux déchets provenant de la banlieue sud de Beyrouth et de la région de Choueifate et de Aley. Les déchets provenant de la capitale administrative seront répartis entre ces deux décharges et celle de Saïda. A Bourj Hammoud, le chantier devait inclure la réhabilitation de l’ancien dépotoir, ainsi que la construction d’un brise-lame et de cellules d’enfouissement des ordures.