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Paul Khalifeh

Paris et illusions

Stratège hors pair et excellent équilibriste, le président du Parlement, Nabih Berry, a l’habitude de doser ses propos comme un peseur d’or: pas un mot de trop ni de moins, un ton réglé à la perfection et des idées bien distillées. Pourtant, le discours qu’il a prononcé, mercredi 31 août, à l’occasion de la commémoration de la disparition de l’imam Moussa Sadr, a donné lieu à diverses interprétations, qui ont semé la confusion au sein de la classe politique. Au lieu d’analyser et de discuter le contenu, les commentateurs se sont perdus en conjectures pour tenter de comprendre à qui les pointes et les piques, lancées par le chef du Législatif, étaient destinées. L’exercice était tellement délicat que les journaux ont présenté des explications contradictoires, et on a pu lire dans la presse, ce jeudi matin, la chose et son contraire.
Nabih Berry a fustigé «les caprices politiques», a déploré le blocage des institutions et a proposé une entente sur la loi électorale et les contours du prochain gouvernement avant l’élection présidentielle. L’ancien Premier ministre, Fouad Siniora, n’a «pas eu l’impression» que l’allusion aux «caprices politiques» était adressée au Courant du futur mais a, en revanche, refusé tout arrangement en marge de la Constitution, insistant sur la nécessité de respecter le calendrier constitutionnel. En d’autres termes, l’entente sur la loi électorale et le prochain cabinet doit intervenir après la présidentielle. Le ministre du Courant patriotique libre (CPL), Elias Bou Saab, présent au meeting de Tyr, a de son côté estimé que M. Berry visait, dans ses propos, le Courant du futur qui «n’a pas encore pris la décision courageuse de contribuer à la résolution de la crise». Il y a cependant un autre son de cloche, au CPL. Des sources proches de Rabié ont déclaré que l’élection présidentielle doit primer sur toute autre question, et estimé qu’attendre un accord sur la loi électorale et la configuration du prochain cabinet, «bloquerait la présidentielle pendant des années et ouvrirait la voie à toutes sortes de revendications».
Le président Berry, qui possède une parfaite maîtrise du verbe, a sans doute voulu rester flou, dans son dernier discours. Cela n’augure rien de bon. Il est sans doute conscient que les conditions ne sont pas encore réunies pour espérer un déblocage au Liban.
Il n y a rien d’étonnant à cela. La situation n’a pas encore mûri pour procéder à une séparation du dossier libanais des autres crises de la région. Les acteurs régionaux – plus précisément l’Arabie saoudite –, pensent qu’ils peuvent encore compenser au Liban des pertes enregistrées ailleurs, ou, au contraire, qu’ils peuvent jeter du lest au pays du Cèdre pour obtenir des gains sur d’autres dossiers.
Tant que le cas libanais n’est pas traité séparément, l’espoir d’un déblocage reste mince, sauf en cas d’accord global entre l’Arabie saoudite, l’Iran et la Turquie, sous le parrainage de la Russie et des Etats-Unis, directement impliqués sur les champs de bataille. Un tel accord ne peut prendre forme que si on constate une stabilisation des rapports de force en Irak, en Syrie et au Yémen. C’est-à-dire, en d’autres termes, si les acteurs régionaux et internationaux parviennent à la conviction qu’ils ne peuvent pas augmenter leurs acquis militaires dans le but d’améliorer leurs positions aux négociations. Or, cela n’est absolument pas le cas aujourd’hui. L’Arabie saoudite, malmenée dans la région d’Alep, a ouvert le front de Hama, pour tenter de rééquilibrer le rapport de force; la Turquie, négligée par les Américains, a décidé d’intervenir directement dans le nord syrien; les Etats-Unis, bousculés par la Russie, ont investi dans la carte kurde; le régime syrien continue de penser qu’il peut reconquérir toute la Syrie… et ainsi de suite.
Le temps des illusions et des paris des uns et des autres n’est pas encore terminé.

 

Paul Khalifeh

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