Cela fait onze ans que le secteur public opère sans loi de Finances, et aucun signe ne présage d’un changement à court et à moyen terme. La dernière fois où la question du budget 2017 a été évoquée, c’était au Conseil des ministres du 8 juillet. Au cours de cette réunion, des sources ministérielles ont souligné la détermination ferme des ministres de poursuivre l’examen des réformes structurelles des finances de l’Etat, en l’occurrence celles portant sur l’échelle des salaires du secteur public, le secteur de l’énergie et la fiscalité. Il y aurait même eu un consensus entre les différentes composantes politiques du gouvernement sur le fait que, si le Parlement venait à tergiverser, pour une raison ou une autre, le gouvernement userait de son droit de promulgation du projet de budget par décret sur base de l’article 86 de la Constitution, y compris l’échelle des salaires et les réformes fiscales. Néanmoins, la question qui se pose aujourd’hui concerne la capacité de ce gouvernement à résister aux pressions et à continuer à exister. Il est clair que la non-approbation du projet du budget est due aux dissensions purement politiques, car les écueils d’ordre technique peuvent aisément être surmontés une fois un accord politique atteint.
Les violations
Parmi les divergences entravant la promulgation du budget, des sources proches du dossier évoquent les crédits alloués au financement du Tribunal spécial pour le Liban (TSL), alors que d’autres citent la nécessité d’une clôture des comptes antérieurs, portant sur 11 milliards de dollars.
Entre-temps, la collecte des revenus du Trésor demeure chaotique, le gaspillage des deniers publics se poursuit et le taux de chômage s’amplifie. «Pour stopper l’hémorragie, il faut étudier le budget de l’Etat, crédit par crédit, à partir de formulaires et pièces justificatives», insiste un ancien commis de l’Etat, qui regrette que «le projet de budget avait été voté après la fin de la guerre en Conseil des ministres en une ou deux séances expéditives». Il met l’accent sur l’importance de l’étape de la préparation du budget, car l’exécution est plus facile. En fait, au cours de la préparation du budget, il faut étudier les véritables besoins de chaque ministère et la disponibilité d’un crédit à lui allouer. Par conséquent, il est impératif qu’il y ait une application stricte et sérieuse des lois et règlements. Avant d’agréer les dépenses, il faut appliquer la procédure réglementaire, dont le contrôle des dépenses engagées. Par exemple, on ne peut pas conclure des accords au gré à gré si la loi exige des adjudications. Au gré à gré, on peut dépenser plus que ce qui est nécessaire. De plus, la source rappelle les violations flagrantes à la loi, commises par certains ministres des Finances, qui ne font plus cas du directeur général. Que ce dernier paraphe ou ne paraphe pas un document, que la formalité relève ou pas de ses prérogatives, ils passent outre.
Les flux de déficits
Tout au long de «cette pause exceptionnelle et provisoire», mais qui dure depuis 2005, plusieurs responsables ont donné de la voix pour insister sur la réduction des déficits. Les flux de déficits budgétaires viennent, en effet, alimenter l’encours de la dette (montant total des emprunts) qui, en retour, agit sur le niveau de déficit par l’augmentation des intérêts versés, qui sont une charge budgétaire (dépense). Les deux paramètres, différents, à savoir le déficit budgétaire qui est un flux et la dette qui est un stock, sont liés. Les flux de déficits peuvent provoquer un effet boule de neige ou un effet systémique sur l’accroissement de la dette des administrations publiques selon un processus autoentretenu.
Dans les chiffres, le déficit budgétaire a enregistré une augmentation plus accélérée, en raison de la croissance supérieure des dépenses par rapport aux revenus au cours des quatre premiers mois de 2016. Le déficit s’est accru de 9,3% sur la même période un an auparavant. C’est le résultat d’une progression de 7% des dépenses publiques et de 5,9% des revenus du Trésor. La hausse du déficit a été financée par le recours à un endettement additionnel du Trésor. La dette totale est passée de 70,3 milliards de dollars, fin décembre 2015, à 72,9 milliards de dollars fin juin 2016. En termes de ratio de la dette rapportée au PIB, celui-ci représentait 137,2% fin 2015 et 150,2% fin juin 2016.
Le remboursement de la dette
Le ratio dette publique/PIB est un critère essentiel pour vérifier si la dette de l’Etat est «soutenable». Ainsi, l’endettement de l’Etat peut-il très bien croître dans l’absolu, tout en se réduisant relativement au PIB, parce que l’inflation est importante et dévalorise l’endettement public en termes réels ou parce que le rythme de croissance du PIB est soutenu. Toujours convient-il de ne pas dramatiser le risque d’insolvabilité de l’Etat: contrairement aux ménages, qui doivent rembourser leurs dettes sous peine de voir leur héritage amputé, la continuité de l’Etat lui permet, en théorie, d’être perpétuellement endetté. Par ailleurs, le maintien d’un socle minimal de titres de dette publique est nécessaire au bon fonctionnement des marchés financiers modernes. Pour autant, peut-on affirmer que la dette publique constitue un fardeau pour nos enfants ou pour les générations futures? Oui, si cette dette finance des dépenses de consommation courante ou si la charge de la dette freine la croissance économique. Il en découle une «règle d’or» qui consiste à ce que l’Etat ne finance par endettement que des investissements publics.
Liliane Mokbel