Malgré les indices positifs, les écueils restent nombreux devant l’élection présidentielle.
Le nouveau report du passage à la retraite du commandant en chef de l’armée, Jean Kahwagi, est passé sans grand remous de la part du général Michel Aoun qui, dans un signe de bonne volonté, a aussi renoncé à pousser ses partisans à investir la rue, le 28 septembre, comme il l’avait annoncé.
Pour certains, M. Aoun est tombé dans le piège que lui a tendu le chef du Courant du futur-CDF (en complicité avec Nabih Berry), en lui faisant croire qu’il pourrait accepter sa candidature à la présidence, moyennant les concessions sur l’armée et sur le recours à la rue. Pour d’autres, les signaux positifs émis par Saad Hariri seraient, cette fois, tellement crédibles qu’ils méritent des réponses adéquates de la part du chef du Bloc du Changement et de la Réforme.
La candidature qui divise
Le suspense devrait se maintenir jusqu’au 31 octobre, date fixée par le président de la Chambre pour la nouvelle séance d’élection présidentielle, sachant que le choix de cette date est, lui aussi, sujet à de nombreuses interprétations. Pour les sceptiques, il est l’indice que le climat positif au sujet de l’adoption par Saad Hariri de la candidature de M. Aoun est factice. Pourquoi fixer une date si lointaine, alors que, depuis deux ans, M. Berry annonce une séance parlementaire pour l’élection d’un président presque tous les 15 jours ou 3 semaines? En choisissant le 31 octobre, M. Berry neutralise aussi les autres dates choisies par M. Aoun pour recourir à la rue, notamment le 13 octobre. Enfin, à supposer que M. Hariri soit sincère dans ses «fuites» positives, comment pourra-t-il gérer l’opposition déclarée de Fouad Siniora et de certains députés à la candidature de M. Aoun? Le dernier argument des sceptiques est qu’on voit mal comment le Liban vivrait un déblocage politique, alors que la situation régionale se complique et que la tension entre Riyad et Téhéran atteint son apogée?
Nader Hariri aurait transmis au Hezbollah la décision de Saad Hariri (dont il est le chef de cabinet) d’adopter la candidature Aoun à la présidence, allant jusqu’à préciser que le chef du CDF ne veut plus attendre une réponse saoudienne. Les sources proches de l’ex-Premier ministre laissent entendre que l’homme est coincé, sa crédibilité et son leadership étant en jeu, alors que les autorités saoudiennes ont désormais d’autres priorités que le Liban. Dans une visite, dite de courtoisie, au chef des Marada, Sleiman Frangié, Saad Hariri aurait affirmé être dans un pétrin et qu’il chercherait les moyens d’en sortir, ajoutant que le pays ne peut plus continuer ainsi, menacé par une paralysie institutionnelle totale, avec toutes les menaces sécuritaires et la crise économique. Ce n’est certes pas une adoption claire de la candidature de M. Aoun, mais cela pourrait bien en être le prélude. Les éléments seraient donc en train de se mettre en place pour ouvrir la route de Baabda devant le général Aoun, mais il reste encore à trouver le scénario, avec l’aide du président de la Chambre, le meilleur réalisateur de scénarios complexes. Mais pour obtenir sa coopération, il est impératif de rétablir les ponts entre lui et M. Aoun. C’est ce à quoi s’emploient de nombreux médiateurs. M. Berry a évoqué la possibilité d’avancer la date de la séance d’élection présidentielle si un accord est conclu. Sachant que le Parlement doit se réunir, dans le cadre de l’ouverture d’une session ordinaire à partir du 15 octobre pour (ré)élire un président et le bureau de la Chambre.
Depuis deux ans, c’est la première fois que le Liban semble aussi proche d’une sortie de crise présidentielle, le désintérêt saoudien et le contexte interne rendant la conclusion d’un accord possible. Mais les inconnues demeurent nombreuses et, au Liban, chaque camp souhaite avoir une récompense. Les enjeux sont ouverts, à chacun de présenter sa shopping list.
Joëlle Seif