Magazine Le Mensuel

Nº 3071 du vendredi 4 novembre 2016

Spectacle

La scène bouillonne. Les femmes triomphent

Kafas, Esmé Julia, Jogging, Enta Omri, La peau d’Elisa… La scène se drape d’histoires et de gestes de femmes, à l’adresse de toute une société.

Il ne s’agit pas d’un acte féministe, mais d’une constatation qui s’impose. Longtemps cantonné à une histoire masculine, tout comme la langue, la musique et la littérature, le théâtre à Beyrouth se raconte au féminin. Sur et derrière la scène, une histoire de femmes, au moment où l’activité théâtrale n’a jamais été aussi bouillonnante, gravitant autour des célébrations des 20 ans du théâtre al-Madina, en passant par Kafas, au Métro al-Madina, de salle comble en tapage médiatique… le théâtre est sur toutes les lèvres. Avec la femme comme principal pôle d’attraction.
De Kafas déjà, où les comédiennes tentent d’extirper leurs corps des prisons où la société patriarcale les a enfermées, à travers les mots de Joumana Haddad et la mise en scène de Lina Abyad. A travers le regard du public, curieux et avide du geste devenu acte, par-delà le rire du public et la provocation, dans une tentative de libération, d’une volonté de lever le joug, sur cette «bombe à retardement entre nos jambes».

Cabaret ou chansonnier
D’une scène à une autre, atterrissage au Teatro Verdun, entre divertissement, style chansonnier ou cabaret, la scène accueille Esmé Julia, création de Yehya Jaber, portée par Anjo Rihane. Un hommage à la femme. Une chiite dont le combat se situe sur plusieurs fronts, même s’il est ramené à une lutte contre la maladie. La pièce se rapproche d’un questionnement autour de la transmission des malheurs de la mère à la fille, de la tante à la nièce. Cette transmission entre femmes est-elle destinée à être perpétuellement vécue par nos sociétés dans le système familial qui la conditionne? Faut-il s’en affranchir? Et comment? Par la culpabilité, comme le suggère M. Jaber. Par quels autres moyens une mère peut-elle refuser de voir sa fille porter le même fardeau qu’elle? La question reste tout aussi aiguë que la réponse incernable, loin de toute portée philosophique, au cœur d’une solution sociale, urgente.
Et la femme s’incarne dans ses multiples facettes sur le visage de Hanane Hajj Ali, son Jogging matinal, présenté à Station, qui nous emmène de sa propre vie, comédienne et citoyenne libanaise dans la cinquantaine, femme, épouse et mère, aux rôles qu’elle rêve d’incarner, celui de Médée en tête, et les questions qui la taraudent, sur son être femme, sur ce qui pousse «une femme qui a tout pour être heureuse à mettre, d’un coup, fin à sa vie»… sur son être mère et cette «(impossibilité) qu’une mère puisse tuer ses enfants»…  
Au-delà du bien-fondé, de la qualité ou de l’essence de chaque pièce, la scène ne peut retourner à ses racines que par la volonté du public et son désir d’aller au-delà de la théâtralité, vers un engagement social. Il n’est jamais simple spectateur. Il est acteur, responsable. C’est là que s’achève le théâtre, c’est là que tout commence.

Nayla Rached

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