Malgré des signes encourageants et en dépit d’annonces politiques à répétition, le Liban ne peut pas, à ce stade, prétendre faire partie du club des pays pétroliers.
Les propos de Mona Sukkarieh, consultante en risque politique, chargée du dossier Pétrole et gaz au cabinet de conseils Middle East Strategic Perspectives (MESP), sont alarmants et diffèrent du discours officiel qu’elle juge parfois excessivement optimiste. Néanmoins, son analyse de la situation est claire.
Les travaux de recensement sismique en 2D et 3D, qui ont couvert respectivement 100 et 70% de la zone offshore, effectués avant 2013 par Spectrum, une société britannique, et PGS, une société norvégienne, ont abouti à un même verdict: la région balisée est prometteuse. Toutefois, elle n’est pas en mesure de se prononcer sur l’existence irrévocable ou pas de pétrole et de gaz avant les travaux de forage. Malgré cela, l’Etat libanais a récolté de cette étape près de 35 millions de dollars, soit le pourcentage qui lui est revenu des prix de vente des études par les sociétés précitées à des compagnies intéressées par l’affaire. Selon le mécanisme établi, l’étape suivante est celle de la qualification des sociétés opératrices, qui devraient refaire, à leur tour, leurs propres études approfondies pour l’identification des champs – s’ils existent réellement – et leur faisabilité économique, avant de prendre la décision de commencer le forage et l’extraction.
Pas une priorité
Le tour n’est d’ailleurs pas joué. L’affaire de l’extraction du pétrole et du gaz n’est pas «une priorité absolue» pour l’actuel gouvernement, étant donné qu’il a, en principe, une espérance de vie de quelques mois seulement. Au-delà de l’élaboration d’une nouvelle loi électorale et de la tenue des législatives, le gouvernement doit impérativement plancher aussi sur une série de dossiers pressants qui concernent directement les Libanais, à commencer par la sécurité et la lutte contre le terrorisme, la gestion de la crise des déchets, en passant par le dossier de plus en plus urgent des réfugiés syriens. Reste que le gouvernement enverrait un signal positif s’il adoptait les deux décrets permettant de relancer la première série d’attributions de licences d’exploration et de production dans les eaux territoriales libanaises, bloquée depuis 2013. N’empêche qu’il faut reconnaître que beaucoup de temps a été perdu dans l’avancement du processus. Si les travaux avaient commencé hier, le gouvernement n’aurait pas été en mesure d’engranger des recettes avant sept ans au moins. Depuis 2013, tous les Libanais sont au courant que deux décrets-lois d’application traînent sur le bureau du Conseil des ministres, en attendant d’être approuvés. Le gel de ces décrets a empêché la poursuite du processus d’appel d’offres. Le premier décret d’application concerne la définition des blocs et leurs coordonnées et l’autre porte sur le contrat-modèle et le cahier des charges. Quarante-six compagnies, rappelle-t-on, ont été qualifiées pour participer à l’appel d’offres pour l’extraction et l’exploitation des ressources pétrolifères. Elles devront, conformément à la Loi sur le pétrole, former des consortiums de trois sociétés, dont l’une est opératrice et les deux autres des entités aidant au financement des travaux. Trois compagnies libanaises figurent parmi les 46 sociétés pré-qualifiées: CC Energy, Apex Gas et Petroleb. Les deux dernières, proches de certains milieux d’affaires libanais, ne peuvent se prévaloir d’aucune activité pétrolière.
Processus coûteux
Certes, le retard de l’approbation des décrets trouve son origine dans des divergences politiques. Il n’en demeure pas moins qu’entre-temps, des polémiques ont surgi autour de l’évaluation des royalties (redevances fixes) revenant à l’Etat, ainsi que sur le montant et la répartition des taxes imposées aux opérateurs. Des tiraillements sont également apparus sur la nécessité de réorganiser le round de pré-qualification des compagnies opératrices, vu le temps écoulé depuis l’annonce des résultats et, par conséquent, la possibilité de trouver de nouvelles compagnies qualifiées. Par ailleurs, certains ont considéré le niveau des royalties, s’élevant à 5% sur le gaz et entre 9 et 12% sur le pétrole, trop faible.
Aussi devons-nous examiner le revers de la médaille, en nous demandant si les sociétés qualifiées en 2013 sont toujours intéressées par le dossier du gaz et du pétrole au Liban. Plusieurs facteurs pourraient les dissuader, comme le processus coûteux d’extraction des dérivés pétroliers, sachant qu’elles vont travailler dans des eaux profondes et en l’absence d’infrastructure et de logistique adéquates pour l’emmagasinage et le transport des hydrocarbures. Les gazoducs nécessaires pour le transport du gaz sont presque inexistants, alors que la logistique pour la liquéfaction du gaz naturel est absente. A ces facteurs, s’ajoute la baisse drastique des prix du gaz et du pétrole.
Pas de vol
Mona Sukkarieh émet des réserves concernant le détournement des ressources pétrolifères du Liban par les pays avoisinants. A Chypre, le champ gazier Aphrodite, découvert en 2011 par la compagnie américaine Noble Energy, n’a pas encore été développé. La raison est l’absence de clientèle et donc l’absence de contrat de vente préalable aux opérations d’exploitation onéreuses. Pour ce qui est d’Israël, le champ le plus proche du Liban-Sud, du nom de Karish, se trouve à environ 5 km de la frontière. Il y a une crainte au Liban que le développement de Karish s’accompagne de vol des ressources libanaises. Mais Karish n’est, pour le moment, pas opérationnel, tout comme le champ qui se trouve un peu plus loin du nom de Tanin. Les raisons sont strictement liées à des questions internes à Israël, qui interdit le monopole.
Une compagnie grecque vient d’acquérir les droits d’exploitation de Karish et de Tanin, mais l’entreprise est confrontée à des défis de taille. Le champ opérationnel, connu sous le nom de Tamar, est assez loin des frontières libanaises.
Dernier mot
Les multinationales de dragage pétrolier se tournent une nouvelle fois vers l’Egypte, où a été découvert, en août 2015, un gisement gazier important, Zohr, avec des réserves estimées à environ 30 billions de pieds cubes. La découverte de Zohr a entraîné un regain d’intérêt pour l’exploration dans le bassin oriental de la Méditerranée, un intérêt qui se répercutera, on l’espère, sur le Liban?
Liliane Mokbel