Magazine Le Mensuel

Nº 3074 du vendredi 3 février 2017

Temps fort

Au pays des déchets. On importe pour recycler!

Déchets aluminium, packaging, papiers… Chaque année, le Liban importe des dizaines de tonnes de matières premières pour produire des objets recyclés. Pourquoi ne pas réutiliser les ordures présentes sur place? Dans quelle mesure cela est-il fait? Quels sont les obstacles au développement de l’industrie du recyclage au Liban?

Alors que le Liban croule littéralement sous les déchets, la question se pose de savoir pourquoi les industriels libanais du recyclage importent des matières premières pour leur production. Pour Antoun Andrea, consultant en développement et un des auteurs du rapport Wasteless Lebanon de UN Habitat avec la fondation Muhanna, la réponse est simple. «Les industriels libanais ne trouvent pas sur le marché les matériaux dont ils ont besoin car toutes ces richesses ne sont pas triées et se retrouvent souvent dans les décharges! Il est alors moins coûteux d’importer la matière première déjà triée depuis l’étranger», dit-il.
S’il est difficile de chiffrer le manque à gagner pour l’économie libanaise, l’expert estime que les industriels nationaux dépensent chaque année des centaines de milliers de dollars pour importer ces matériaux.
L’absence de «culture du tri» n’est pas le seul obstacle au développement du secteur au Liban, comme l’explique Fadi Gemayel, le président de l’Association des industriels libanais. «Le recyclage comme l’industrie en général sont des secteurs historiquement négligés par le gouvernement, souligne-t-il. Le recyclage dépend des initiatives privées mais l’Etat n’octroie aucune subvention pour aider à son développement, contrairement à ce qui se fait dans la plupart des pays concurrents. Le résultat est que le Liban perd en compétitivité et en parts de marché».

Marchés perdus. En 2000, le Liban produisait 40 000 tonnes de papiers recyclés alors que l’Arabie saoudite n’en produisait aucune. Aujourd’hui, le pays du Cèdre produit 100 000 tonnes de papiers recyclés par an, contre un million pour l’Arabie saoudite, selon les informations de Fadi Gemayel, ce qui montre le recul de la compétitivité du Liban dans ce secteur. «La principale raison est que la plupart des pays de la région et même d’Europe disposent de nombreuses aides et subventions de la part de leurs gouvernements respectifs, notamment pour couvrir les besoins énergétiques», martèle Fadi Gemayel, qui souligne des coûts de production trop élevés pour la filière.
«Au Liban, le coût de l’énergie représente entre 30 et 35% du prix final d’un produit recyclé. Résultat: nous perdons en compétitivité et nous importons du papier et des métaux alors que nous en avons sur place, sans parler du savoir-faire historique du Liban en matière de recyclage du papier!».
En 2016, les industriels libanais ont ainsi perdu les deux marchés que représentent la Jordanie, avec 6 000 tonnes de papiers, et l’Irak, avec 10 000 tonnes, en raison des coûts élevés de production en matière d’énergie, mais aussi des frais de transports. «Bien que nous ayons tout le savoir-faire sur place, nous sommes obligés d’importer du papier car cela revient tout simplement moins cher aux industriels, vu nos coûts de production et sachant qu’il n’existe pas de restriction à l’importation», déplore Fadi Gemayel.
De son côté, Antoine Abou Moussa, expert en gestion des déchets,  souligne d’autres facteurs comme la baisse des prix du pétrole, qui influence directement les prix du plastique et des métaux. «Les usines de recyclage ont un surplus de matières premières et les prix des produits recyclables sont en baisse, d’où le peu d’intérêt pour l’achat, par les usines de recyclage, de la matière première localement.»
Le plus grand obstacle au développement du secteur au Liban est que le gouvernement ne manifeste aucun intérêt à organiser la filière. La bonne nouvelle est que la crise des déchets semble avoir fait évoluer les mentalités et la culture du tri commence à se développer chez les Libanais. «Depuis la crise des déchets, nous avons remarqué une hausse du tri, note Fadi Gemayel. Nous disposons ainsi 25% de matière première supplémentaire, couplée à un investissement de 16 millions de dollars pour augmenter nos capacités de production, nous avons pu accroître notre production de 50% depuis 2013.»

Soraya Hamdan

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