Jérôme Tixier, vice-président des ressources humaines du groupe L’Oréal et conseiller de Jean-Paul Agon, était à Beyrouth début janvier pour rencontrer les équipes de L’Oréal Levant. Magazine l’a rencontré.
Quelle est la raison de votre venue au Liban?
Il s’agit de ma première visite. Je suis venu rencontrer les collaborateurs de la filiale Levant, composée de 400 personnes, les connaître, discuter avec eux, afin de cerner leurs attentes envers l’entreprise et travailler avec eux sur leur développement de carrière, mais aussi celui de la zone et de L’Oréal Levant.
Quelle est l’importance de la filiale Levant pour la région?
Tout d’abord, c’est une filiale où il y a des talents que l’on peut exporter dans le Golfe ou dans le Moyen-Orient en général, car il y a ici de bonnes universités, avec l’AUB, l’USJ, l’ESA… Ce sont des profils très bien formés. De plus, les qualités d’entreprise, d’agilité, d’adaptabilité des Libanais ne sont plus à démontrer. Ce sont des profils très internationaux, à l’aise partout, puisque l’on a aujourd’hui 170 Libanais qui travaillent chez L’Oréal, dans le monde, en dehors du Liban.
Quel est le profil du candidat idéal pour L’Oréal?
Ce que l’on recherche, de manière générale, ce sont des jeunes qui sont à la fois «poètes et paysans». C’est-à-dire qui ont une dimension créative, en étant en même temps entrepreneurs, les pieds sur terre et capables de s’adapter. Des jeunes qui sont passionnés, prêts à prendre des responsabilités, à l’aise dans différents milieux culturels. On trouve ce profil chez beaucoup de Libanais, du fait du contexte historique, politique, etc.
Il y a très peu de turn-over chez L’Oréal. Comment faites-vous pour retenir vos employés?
Les nouvelles générations sont intéressées non seulement par la performance de l’entreprise, mais aussi par la façon dont une société se comporte. Elles ont beaucoup d’aspirations. De voir un groupe comme le nôtre qui fait de très gros efforts sur le plan du développement durable, avec par exemple le programme Sharing beauty with all, qui agit sur notre consommation d’énergie, développe l’emploi indirect dans les communautés où nous sommes présents, etc., c’est très inspirant pour les jeunes. Quand on développe 600 000 emplois indirects dans le monde, c’est très motivant pour les jeunes. Ils sont aussi très sensibles sur l’éthique, observent le comportement de l’entreprise dans la société. L’Oréal est une des sociétés les plus éthiques au monde, selon plusieurs classements internationaux. Il n’y a pas de performance économique sans performance sociale.
Vous avez monté le programme Share & Care pour les employés. De quoi s’agit-il?
Il y a 4 ans, nous avons monté ce programme pour l’ensemble de nos collaborateurs, l’idée étant de les protéger, partout dans le monde, contre les aléas de la vie. Il y a quatre piliers: une assurance vie, qui prémunit les ayants-droits; un deuxième pilier sur la santé, pour les protéger et leur assurer un minimum de remboursements; un troisième pilier relatif à la parentalité, où l’on a mis en place partout dans le monde un standard minimum de 14 semaines de congé maternité payé et au moins trois jours de parentalité partout. Par exemple, au Liban, on est passé d’un an à deux ans de protection sociale, on est passé à 14 semaines de congé maternité payé à 100%, on réfléchit également à proposer des horaires flexibles pour les mères de retour de maternité. Le quatrième pilier, appelé «Enjoy», porte sur la qualité de vie au travail. Toutes nos filiales prennent des initiatives dans cew domaine. Il peut s’agir de flexibilité au travail, de télétravail… Nous avons été la première société dans le monde à monter un tel programme d’innovation sociale, qui s’applique à l’ensemble des collaborateurs permanents dans le monde. Les jeunes en profitent et ça les fidélise aussi.
|«Nous ne pouvons plus échapper au digital, qui génère de nouveaux métiers et
une nouvelle approche.»
En 2012, vous vous donniez 10 ans pour doubler vos effectifs dans les pays émergents. Où en êtes-vous aujourd’hui?
Notre objectif est de doubler notre nombre de consommateurs de 1 à 2 milliards. Pour parvenir à cela, nous devons développer des talents locaux partout dans le monde. Pour réussir cette politique d’universalisation, comme l’a défini notre Pdg Jean-Paul Agon, il faut avoir des marques globales et s’adapter aux attentes des consommatrices dans leur diversité, avoir des équipes locales capables de répondre à ces attentes et de développer des produits spécifiques.
Qu’est-ce que l’ère du digital a changé dans la stratégie de L’Oréal et dans le recrutement?
Nous sommes passés de 200 personnes dans le secteur digital en 2010 à 1 350 en 2016. C’est un métier que nous avons découvert, donc nous avons dû mener une politique de RH spécifique pour mieux définir les compétences nécessaires pour y réussir. Vous avez des spécialistes du CRM, de la data, du digital marketing, du e-commerce, des social media. Une fois ces talents recrutés, il faut leur apporter les perspectives de développement de carrière, construire des organisations. Nous avons créé une fonction RH spécifique pour la population digitale dans le groupe, avec une Chief Digital Officer au sein du Comité exécutif de L’Oréal et un responsable RH mondial pour gérer ces 1 400 personnes. Nous avons fait évidemment beaucoup d’investissements. Nous avons commencé par faire des «learning expedition», avec l’ensemble du Comité exécutif qui est parti l’an dernier une semaine en Californie. Nous avons mis en place aussi du Reverse motoring, avec des jeunes tuteurs digitaux qui nous forment. Nos 1 350 top dirigeants ont été formés avec un programme de cas digitaux, nos 5 000 marketeurs ont eu un programme spécifique de marketing digital monté en partenariat avec General Assembly (spécialiste de la formation numérique, ndlr). Nous concevons aussi, pour les étudiants, un test d’une heure en ligne, en partenariat avec Google, General Assembly et Duke University, sur les connaissances digitales, pour tous les jeunes candidats au marketing. Nous ne pouvons plus échapper au digital. Ce sont de nouveaux métiers, de nouvelles compétences, mais qui doivent dépasser la fonction digitale et participer au développement l’entreprise.
L’approche du consommateur change-t-elle?
Cela change aussi notre approche du consommateur. Dans nos investissements médias, aujourd’hui, nous dédions une part importante aux réseaux sociaux, entre 25 et 30% sont dans le digital.
Pouvez-vous nous parler de l’incubateur mis au point à San Francisco?
L’innovation aujourd’hui est partout. L’un de nos axes de développement aujourd’hui c’est la cosmétique connectée, c’est-à-dire utiliser des objets pour faciliter le diagnostic par la consommatrice. Nous avons développé à San Francisco une antenne de nos laboratoires, qui travaille sur des objets connectés. Nous avons fait un patch solaire anti-UV pour mesurer l’exposition solaire, connecté au smartphone et qui permet de connaître l’exposition au soleil pour choisir le bon indice de protection solaire. Il arrivera d’ailleurs au Liban cette année. Nous venons de sortir aussi un nouveau produit, une brosse connectée qui mesure en live l’état du cheveu et renseigne la consommatrice sur ce qu’elle doit faire.
|170 Libanais travaillent chez L’Oréal, dans le monde, en dehors du Liban.
Allez-vous essaimer ce type d’incubateur un peu partout dans le monde?
Non, mais nous avons 3 500 chercheurs, et en tant que leader mondial de la beauté, nous sommes très tournés vers l’innovation. C’est notre mission d’apporter la beauté pour tous, en alliant qualité, sécurité et un bon rapport qualité/prix. Pour nourrir ces innovations, nous avons ces laboratoires et des accords de partenariat avec des universités, des laboratoires de recherche, cette antenne dans la Silicon Valley, un laboratoire en France, qui fait de la recherche sur de la peau reconstituée, afin de s’assurer de l’innocuité de nos produits.
Passion, innovation, responsabilité et entreprenariat sont des valeurs-clés de L’Oréal. Comment y faire carrière?
Nous avons plus de 32 marques, concentrées uniquement sur le métier de la beauté, donc nous avons ce que l’on appelle, en termes d’organisation, une flottille de petits bateaux. Vous avez la possibilité, assez vite, de prendre des commandements. Par exemple, au Liban, vous avez une Division Cosmétique active, une Division Luxe, une Division Produits professionnels, etc, et chacune est pilotée comme des petits bateaux par des entrepreneurs. Comme nous sommes dans des structures de taille humaine, cela permet de donner assez vite des responsabilités à des jeunes. Au Liban, la moyenne d’âge est de 35 à 39 ans. On peut grimper les échelons rapidement. On peut faire des parcours croisés, multiplier les expériences dans les différentes divisions. Chaque année, il y a au moins deux Talent management meeting, des feedback d’entretiens avec nos employés, portant sur leurs performances mais aussi sur leurs attentes de développement de carrière, de son plan de formation.
La mobilité est-elle une qualité exigée?
Cela dépend. Quelqu’un qui est au Liban peut y rester, tout en changeant de division, de fonction, nous sommes très ouverts aux personnes qui passent du marketing à la communication, au commercial, pour compléter leur expérience. Si l’on veut exercer des responsabilités importantes, une expérience internationale est une bonne chose. Nous avons aujourd’hui 1 000 expatriés, dont 47% de femmes et 53% d’hommes, c’est très équilibré. Au sein du comité de L’Oréal Levant, il y a aussi 66% de femmes et 33% d’hommes. C’est une volonté du groupe L’Oréal. De même, au sein du Comité exécutif, nous avons un tiers de femmes.
Cette dimension de responsabilité sociale est-elle incontournable aujourd’hui?
Oui, nous sommes très attachés à la diversité en général, car c’est une source de richesse. Cela génère de la performance économique, ce n’est pas uniquement pour être exemplaire vis-à-vis des stakeholders, c’est aussi parce qu’on pense que cette diversité participe à la bonne performance de l’entreprise.
Il s’agit aussi de séduire les Millenials?
Oui, car toute cette jeune génération a des idéaux, des aspirations. Si vous voulez les attirer et les retenir, il faut leur donner de l’exposition, qu’ils puissent contribuer, ils ont besoin de s’investir. Aujourd’hui, ils sont surinformés, très curieux, assez indépendants, plus directs, avec ce besoin de participer à la construction du monde qui les entoure. D’ailleurs, au Liban, j’ai organisé des tables rondes avec des jeunes, passé du temps avec chaque collaborateur. Nous sommes fondamentalement tournés vers l’humain. Cette tradition de mettre l’homme au centre de l’entreprise remonte à l’esprit de notre fondateur, il y a 110 ans. Chaque année, je prends mon bâton de pèlerin, je fais une douzaine de pays avec pas loin d’un millier d’entretiens individuels.
Jenny Saleh