Alors que Beyrouth possède tout ce qu’il faut pour attirer les multinationales, le retard et la lenteur dans le secteur de l’Internet représentent l’un des principaux handicaps d’une ville qui a les attributs pour redevenir la plaque tournante du Moyen-Orient. Magazine fait le point.
Nous avons accusé tellement de retard dans ce domaine que désormais il ne peut y avoir que de bonnes nouvelles». C’est avec ces mots que le Dr Habib Torbey, Pdg de GDS, le plus grand opérateur de transmission de données (DSP) au Liban, résume la situation. «L’Internet rapide et des services de télécommunications variés et performants sont une demande basique du citoyen, voire même un droit, et sont essentiels pour le redressement économique du pays. Le gouvernement est bien évidemment un acteur principal, mais l’objectif ne peut être atteint que grâce à une collaboration étroite entre les secteurs public et privé».
Pour Magazine, le Dr Habib Torbey dresse l’historique des grandes lignes du développement de ce secteur. «Durant la période de l’ex-Premier ministre Rafic Hariri, le Liban s’est dirigé vers un développement agressif du secteur des télécoms, de manière à rattraper le temps perdu pendant la guerre». De 1992 à 1998, d’énormes progrès ont été réalisés. «Nous sommes passés à la première place au niveau du développement des services télécoms, tels que le lancement du téléphone cellulaire, l’Internet, le changement du réseau téléphonique, l’ouverture du marché à la concurrence des sociétés privées, etc. Le Liban avait vite rattrapé son retard mondial et avait acquis une position de pionnier».
Coups de frein
«A partir de 2000, nous avons assisté à des coups de frein successifs, résultats d’un changement des politiques gouvernementales. Des conflits politiques sont venus se greffer sur le secteur, l’Internet était aussi mal vu de la part de ceux qui cherchaient à imposer des restrictions aux libertés publiques. Les gouvernements successifs ont abandonné la politique de libéralisme économique au profit d’une politique dirigiste, qui s’est avérée désastreuse pour le secteur. La nouvelle loi des télécoms, la loi n°431, qui donne une orientation libérale au secteur, a été abandonnée au profit d’un retour à une loi antérieure datant de 1957», explique le Dr Torbey. «Celle-ci a imposé une orientation monopolistique au secteur, qui prédate le développement de tous les services de télécommunications modernes, et ceci, sans qu’aucun député ne conteste l’abandon unilatéral d’une loi dûment votée par le Parlement. Durant cette période, le secteur des télécoms n’a été vu que sous l’angle des recettes fiscales et non sous l’angle de vecteur essentiel au développement de l’économie. Des tentatives isolées de déblocages se sont vite heurtées au mur des conflits politiques. Le retard pris par le Liban est désormais énorme. De pionnier mondial du secteur en 1998, le pays s’est retrouvé à la traîne, entraînant des répercussions désastreuses sur la croissance, la compétitivité du pays et sa capacité à produire de la richesse. Ceci dit, le redressement peut être rapide. Nous savons ce qui doit être fait, le pays possède les compétences et les moyens financiers pour une mise en œuvre rapide d’un plan, si tant est que le gouvernement lève toutes les restrictions au développement du secteur», explique le Dr Torbey.
Les professionnels du secteur ne comptent plus les opportunités manquées. Un des facteurs principaux qui dissuade les sociétés internationales à ouvrir leurs bureaux régionaux au Liban est la mauvaise qualité des infrastructures et services télécom. Pourtant, Beyrouth a beaucoup d’atouts pour les attirer. Plusieurs exemples sont souvent cités:
● Une très grande société américaine d’information et de communication avait décidé en 2006 d’ouvrir un bureau régional à Beyrouth. Pour les besoins de son activité, une vitesse de 100 mégabits par seconde était nécessaire. Vu l’impossibilité de s’en procurer au Liban, cette société a dû finalement s’installer au Caire, où elle emploie quelque 5 000 salariés. Autant d’opportunités d’emplois qualifiés, manquées pour les Libanais.
● De même, des médecins spécialisés en radiologie ont voulu créer un système de téléradiologie en contrat avec des hôpitaux
aux Etats-Unis. La vitesse de l’Internet nécessaire pour ce genre de communication était de 500 mégabits par seconde. Devant l’impossibilité de s’en procurer, ils ont préféré s’installer en Israël.
● Finalement, les obstacles artificiels mis devant le développement des call-centers a fait rater au Liban la vague mondiale des délocalisations de ces centres au profit du Maroc et de l’Inde, faisant ainsi perdre des dizaines de milliers d’emplois qualifiés.
La fibre optique
Depuis la formation du nouveau gouvernement et la nomination du ministre Jamal Jarrah au ministère des Télécoms, une nouvelle équipe est en place avec, à sa tête, le conseiller Nabil Yammout. Désormais, Imad Kreidiyé a pris les rênes d’Ogero et Bassel el-Ayoubi la Direction générale de la maintenance et des investissements. «La nouvelle équipe a, d’ores et déjà, établi une liste de tous les projets bloqués et procède à son exécution point par point. Dans deux mois, nous assisterons à une nette amélioration des services télécoms dans le pays», souligne une source du ministère. Un service de fibre optique sera assuré aux grandes institutions libanaises à un coût abordable.
Dans les prochains mois, 300 institutions, dont les hôpitaux, banques, universités, vont être reliés au réseau de fibre optique, réalisé par le ministre Nicolas Sehnaoui, qui a quitté le ministère avant que ce projet ne soit exécuté. «Avec la combinaison de la mise en service de la connectivité de la fibre optique aux entreprises ainsi que l’ouverture de la connectivité sur le réseau DSL et la levée des restrictions qui entravaient ce service, les citoyens vont sentir une nette différence dans la rapidité de l’Internet», confirme la source du ministère. Le ministère prépare aussi une baisse des tarifs des services Internet fixes et mobiles. Tous les professionnels du secteur s’accordent à dire que les tarifs imposés jusqu’à ce jour par le gouvernement sont aberrants. Si au Liban l’Internet est cher, c’est parce que l’Etat détient le monopole de la vente. Alors que 1 mégabit/seconde coûte moins de 10$ par mois à l’Etat, celui-ci le facture aux acteurs du marché à 115$.
Pour Nabil Yammout, le gouvernement actuel a un âge limite de six mois. «Six mois, ce n’est pas peu et dans ce secteur, le temps est le plus grand ennemi. Le plus rapidement on prend une décision, plus fort sera l’impact sur l’économie et sur les citoyens». Se basant sur les directives du président de la République, le ministère s’est fixé un double objectif relatif à l’Internet: augmenter sa vitesse et fixer des prix compétitifs dans la région. Selon M. Yammout, l’Internet se divise en deux catégories: le wireless (sans câble) et l’Internet fixe (avec câble). Le wireless concerne principalement la 4G. Il est utilisé dans les téléphones mobiles, les tablettes, les ordinateurs portables. «Nous avons donné des instructions visant à finaliser la couverture de tout le Liban avant fin mars 2017. La 4G a la capacité de délivrer une grande vitesse d’Internet», confie M. Yammout à Magazine.
Pour assurer un Internet rapide, le projet d’installation de la fibre optique par le ministère des Télécoms est également en voie de finalisation, car c’est ce réseau qui supportera la 4G et sera relié aux réseaux internationaux. «La vitesse élevée de l’Internet implique une plus forte consommation qui va automatiquement rendre le coût plus élevé et faire hausser la facture du consommateur. C’est la raison pour laquelle nous allons revoir les prix relatifs à la 4G. Nous allons les ajuster pour qu’ils coïncident avec la rapidité», explique le conseiller du ministre.
Pourtant, si on améliore la qualité de la 4G, on ne règlera pas pour autant le problème de l’Internet au Liban… Car celui-ci est lié à l’Internet fixe. Celui fourni par DSL s’effectue à travers un câble en cuivre, installé dans les années 1994-1996. «La technologie utilisée aujourd’hui et les limitations faites ne permettent pas de fournir aux citoyens la rapidité dont ils ont besoin, aussi bien sur le plan personnel que professionnel», souligne M. Yammout.
Une nouvelle vision
Selon le conseiller, l’applicabilité de la loi n°431 n’est plus remise en question, et cette loi sous-tend tous les développements en cours dans le secteur, qui sont de nouveau en phase avec la politique de développement jadis établie par l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. Au vu de la nécessité d’avoir des résultats rapides, le travail à court terme se fait selon trois axes:
● Lever les restrictions à l’usage du réseau DSL actuel. Ceci permettra à l’abonné de bénéficier d’une aussi grande vitesse que peut supporter sa ligne de téléphone. Ceci se traduira par l’augmentation de la vitesse d’Internet chez l’utilisateur, de deux à trois fois. «Celui qui dispose de 2 mégabits par seconde en aura de 4 à 16».
● Les centraux téléphoniques actuels, installés en 1994, sont devenus obsolètes et commencent à souffrir de dangereuses pannes récurrentes. Il faut les remplacer par des centraux multi-services de dernière génération qui, en plus du service téléphonique de base, offriront toute une gamme de services avancés.
● Le déploiement du réseau de fibre optique avec deux objectifs à court terme: le désengorgement du réseau DSL et la connexion aux grandes entreprises, de manière à leur offrir des vitesses d’environ 1 000 mégabits par seconde et, à moyen terme, faire arriver la fibre aux abonnés résidentiels en leur offrant des moyennes de connexion à 300 mégabits par seconde.
«On travaille simultanément sur ces trois niveaux. L’ensemble du réseau va s’améliorer et le citoyen sentira l’amélioration dès le mois d’avril», promet M. Yammout. Si les plans établis sont exécutés dans les délais, les services télécoms atteindront la vitesse et les performances qui existent dans les pays du Golfe.
Interrogé sur les raisons du retard enregistré par le Liban dans ce domaine, M. Yammout répond: «Depuis que nous sommes dans ce ministère, nous n’avons pas trouvé une seule raison qui justifie le retard dans l’exécution. De toute manière, nous ne sommes pas là pour demander des comptes ni regarder en arrière. Notre but est de travailler et nous espérons réussir. Le ministre travaille de 9 heures du matin à 21h pour s’assurer que les plans vont être exécutés convenablement. Il existe aujourd’hui une étroite collaboration entre les divers départements du ministère».
En outre, le ministère établit une nouvelle politique de télécoms qui sera soumise au Conseil des ministres. «La loi n°431 a établi une vision de ce secteur, mais elle a besoin d’amendements avec la nouvelle politique que nous allons appliquer. L’essentiel est que la vision soit claire, et qu’elle précise le rôle de l’Etat et du secteur privé. Les grandes lignes évoquent un partenariat entre l’Etat, le secteur privé et le public».
«L’Etat est une machine lourde, dit-il. Il doit conserver une part de ce secteur, en raison des revenus qu’il génère, mais le privé doit le gérer pour le compte de l’Etat. Cette vision pourrait se résumer à l’équation suivante: l’Etat détiendrait 30%, le secteur privé 30% et le public 30%. «La tendance serait à la participation du secteur privé, sans pour autant vendre les biens de l’Etat».
Un obstacle nommé Youssef
Abdel-Menhem Youssef a sévi de longues années au ministère des Télécoms et à Ogero, rendant la vie dure à plus d’un ministre. Inamovible, il a fallu un nouveau gouvernement présidé par Saad Hariri pour le déloger de ses fonctions. Des sources informées indiquent que M. Youssef agissait de concert avec Fouad Siniora, qui avait la mainmise effective sur le ministère des Télécoms. Ces mêmes sources indiquent, qu’à chaque tentative menée par les ministres du Courant patriotique libre destinée à briser ce cercle vicieux, ils entraient en confrontation avec Siniora. Le conflit prenait alors des allures confessionnelles.
Interrogé sur le cas d’Abdel-Menhem Youssef, Nabil Yammout relève qu’il avait ses qualités et ses défauts. Quant à la décision du ministre de le décharger de ses fonctions, Yammout indique: «Youssef est resté trop longtemps à ce poste et cette administration a besoin de sang neuf. N’importe quelle personne qui occupe un poste très longtemps devient prisonnière d’une seule et unique vision. Elle se noie dans la routine et ne regarde plus en avant».
Joëlle Seif