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Nº 3105 du vendredi 6 septembre 2019

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Terrains, bâtiments, actions. Le patrimoine de l’Etat

Les finances chancelantes de l’État accroissent les inquiétudes, surtout que les évaluations des agences de notations internationales sont plutôt négatives. Cependant, l’État est un propriétaire riche. Le patrimoine public, bien que mal exploité, peut l’aider à sortir de l’impasse et renflouer le Trésor à travers des recettes qui combleraient partiellement le déficit annuel.
 

Il n’existe pas d’inventaire exhaustif des biens publics avec une estimation de leur valeur, malgré les tentatives multiples au cours des dernières années pour éviter les dépenses inutiles et exploiter cette richesse au mieux, selon les besoins.
L’un des points le plus cruciaux qui laisse son empreinte sur les finances de l’État, sont les dépenses inutiles qui influent négativement sur la situation financière générale. Ainsi la location des bâtiments pour le compte des administrations et des institutions publiques, qui coûte une fortune à l’Etat, constitue une lourde charge, dans la situation économique actuelle, surtout dans le cadre de la politique financière du gouvernement visant à serrer la ceinture. Depuis des années, l’Etat loue des bâtiments pour le compte des différents ministères et administrations ainsi que les institutions et organes qui y sont reliés, alors que de vastes propriétés appartenant à l’Etat sont inoccupées et inexploitées.
Par sa décision du 14 février 2002, le Conseil des ministres avait demandé au département des recherches d’établir un plan général des propriétés de l’Etat susceptibles d’être exploitées dans le but de construire des bâtiments pour les administrations et institutions étatiques qui ne possèdent pas de locaux. Mais rien n’a été fait. L’étude exhaustive élaborée par le département d’exécution des décisions au sein de la présidence du Conseil des ministres établit des options concernant la possibilité de construire de nouveaux bâtiments pour certains ministères pour un coût total de 29,6 milliards de L.L.
Le 29 janvier 2003, le Conseil des ministres demande au Conseil du Développement et de la Reconstruction (CDR) d’élaborer un plan global pour la construction de bâtiments publics pour les administrations et les institutions étatiques. Un rapport préliminaire est remis le 2 juin 2003 et une étude complète est inscrite à l’ordre du jour du Conseil des ministres le 11 septembre 2003, avec des estimations allant jusqu’à 60 millions de dollars pour la construction des bâtiments. Mais le Conseil des ministres décide alors d’ajourner l’examen de la question.

Des montants vertigineux
De cette étude, il ressort que la location de bâtiments et locaux au profit des institutions relevant de la présidence du Conseil des ministres coûte 6,641 milliards de L.L. par an, celle des administrations publiques et des institutions qui y sont reliées près de 27,613 milliards de L.L. En 2017, le prix de location de bâtiments et locaux pour les institutions étatiques a grimpé jusqu’à 114 milliards de L.L. pour constituer plus de 3% des dépenses de l’État. L’on parle aujourd’hui de montants situés entre 200 et 220 milliards L.L. pour la location annuelle des locaux. Des pourparlers ont été engagés avec les propriétaires des bâtiments afin de sonder la possibilité de les racheter pour le compte de l’Etat, mais il s’est avéré que les compensations demandées sont exorbitantes.
Le fait est que l’État loue des bâtiments pour ses institutions et ses administrations, alors que les biens publics ne sont pas exploités convenablement pour réduire les dépenses. L’Etat pourrait construire des immeubles qui abriterait les différents ministères et administrations et économiser sur le long terme les sommes prévues pour les locations.
L’État loue 57 locaux alors qu’il possède 228 propriétés à Beyrouth, dont des bureaux occupés par des administrations publiques, d’autres inoccupées ou des terrains qui peuvent servir à bâtir des immeubles pour les différents ministères et administrations. Selon l’institut de sondage et d’études «L’Internationale des informations», les biens de l’Etat sont répartis comme suit: Achrafieh: 31 propriétés; Rmail:1; Saifi: 3; Medawar: 12; Port: 21; Mazraa: 37; Moussaitbé: 42; Ras Beyrouth: 43; Zokak Blat: 1; Aïn Mreissé: 8. La valeur de ces propriétés est évaluée à plusieurs centaines de millions de dollars, peut-être à plusieurs milliards de dollars, selon le prix du m2 dans ces régions.

Exploitation du domaine maritime
Selon une étude établie par le ministre de Développement administratif Mohamed Fneich en avril 2010 à la demande du Conseil des ministres, il y aurait 9 propriétés de l’État à Beyrouth qui permettent la construction de bâtiments publics, dont certaines regroupant des administrations publiques et ayant encore de la place pour d’autres. Ces propriétés sont situées à Chiah (8 350 m2 non occupés), Sahet el-Abed (163 689 m2), Moussaitbé et Mazraa (7 830 m2), Saifi (750 m2), Medawar (25 000 m2) en plus de 3 618 m2 qui reviennent à l’État de la compagnie solidere. 
Malheureusement, il n’y a pas d’études qui permettent d’évaluer les biens de l’État dans les autres mohafazat. Mais le patrimoine foncier est estimé à des dizaines de millions de mètres carrés, notamment dans la Békaa et au Liban-Nord, où l’Etat possède de vastes terrains, certains hérités de l’époque du mandat français.
L’Etat est aussi propriétaire de dizaines de palais, châteaux et forteresses et d’autres sites historiques, les plus connus étant le palais de Beiteddine, les citadelles de Jbeil, Saïda, Sanjil (Tripoli), Msseilha (Batroun), Beaufort (Liban-Sud). Leur valeur est inestimable mais il faut les compter parmi les biens de l’Etat, même si leur vente n’est pas envisageable. Bien qu’en France et ailleurs, l’Etat ne se prive pas de céder, parfois, des bâtiments historiques à des particuliers.
En plus de ces pertes causées par l’inexploitation des biens de l’Etat, l’occupation du domaine public dans les zones côtières demeure l’un des aspects les plus criants de la dilapidation des deniers publics. La question du règlement des infractions sur les biens maritimes n’a jamais été traitée avec le sérieux demandé. Et raison politique ou autre, le sujet a toujours été remis de budget en budget, et de mandat en mandat sans jamais trouver une solution adéquate.
D’après différentes études, les infractions portent sur quelque 2,5 à 3 millions m2 sur le littoral. 7 567 335 m2 de domaines publics sont exploités, dont 876 302 m2 légalement, et 2 803 829 m2 sans permis. 712 240 m2 sont occupés par les municipalités, le reste par les administrations. 94 établissements ont une licence d’exploitation, alors que 112 autres n’en ont pas. Une centaine de ces établissements reviennent à des stations balnéaires et touristiques, des restaurants ou des hôtels.
Les redevances d’occupation sont peu élevées. Les recettes provenant de l’occupation du domaine public maritime étaient prévues à hauteur de 20 milliards de livres, tandis que les revenus effectifs n’ont pas excédé 1 à 2 milliards de livres par an. Certaines estimations annoncent des recettes potentielles situées entre 500 millions et 5 milliards de dollars.
Le Décret n°4810, publié le 24 juin 1966, a fixé les règles d’occupation du domaine public maritime. Il stipule que «le domaine public maritime demeure à la disposition du public et aucun droit, en faveur de quelque individu que ce soit, ne pourra être acquis pour en interdire l’accès pour servir un intérêt. L’affectation d’une partie du littoral à l’usage de personnes ou de groupes d’une manière exclusive ne peut être qu’un acte exceptionnel applicable à des cas particuliers». Le projet devra présenter un intérêt public et disposer de justifications touristiques ou industrielles attestées par les autorisations délivrées par les autorités compétentes.
De même, il n’est pas permis d’ériger des installations permanentes sur le domaine public maritime, à l’exception de celles relevant des équipements sportifs, selon certaines conditions. L’exploitation du domaine public maritime pour les projets industriels n’est pas autorisée, sauf dans les zones désignées à cet effet.
Ce décret est resté en vigueur jusqu’à juin 1992, date à laquelle le décret no 2 522 a mis en place de nouvelles évaluations pour la location des biens publics, allant de 10 000 L.L. à 2 550 000 L.L. pour le m2.
Le 2 février 1992, le gouvernement transfère au Parlement un projet de loi sur le règlement des infractions sur les biens maritimes, stipulant, entre autres, que l’occupation de ce bien doit remonter à une date antérieure au 1/1/1995, et que le concerné doit acquitter les sommes dues pour les années d’occupation avant l’exécution de la loi. Mais cette législation n’a pas été mise en vigueur. Son adoption aurait permis de percevoir plus de 9 464 millions de L.L. à titre de location, et plus de 100 milliards L.L. pour le règlement des infractions.
Un projet de loi pour le règlement des infractions maritimes a été soumis aux Commissions parlementaires pour étude fin 1999. Un autre projet de loi est transféré au Parlement en mai 2000, mais il a été retiré et soumis à une nouvelle étude. 
En plus des biens maritimes, qui englobent près du tiers du territoire libanais, soit le versant Ouest de la chaîne du Mont-Liban et de larges espaces du Nord et du Sud-Liban, il y a les terrains «indivis» ou «Mouchaa», qui désignent la catégorie de terrain dont le domaine éminent appartient à l’État et le droit d’usage revient à une collectivité déterminée, en général les habitants des villages dont ces terres dépendent. Ces terres sont passées au cours du temps d’un statut de domaine public à celui de domaine privé de l’État. Sous le mandat français, elles sont assimilées au domaine public. Le Code de la propriété rédigé en 1939 inclut ces terres dans le domaine privé de l’État et, à partir de 1971, dans le domaine privé des municipalités lorsqu’elles existent.
Les propriétés de l’État s’étendent aux sites naturels et aux «Mahmiyyat» ou réserves naturelles protégées, situés sur des biens domaniaux, ainsi qu’aux lits des rivières ou espaces boisés et forêts et d’autres sites naturels.
Une exploitation rationnelle de tout ce trésor pourrait assurer des revenus supplémentaires qui permettraient de redresser, en partie,
les finances publiques, à l’heure où le gouvernement est à la recherche de nouvelles recettes.

Arlette Kassas
 

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