Un malaise s’installe chez de nombreux déposants résidents et non résidents. Maintenir un compte bancaire au Liban est-t-il toujours avantageux?
Après un apaisement de quelques semaines, les tiraillements politiques ont repris. Aux querelles étouffées, s’est greffé un projet de budget sans vision claire, provoquant la reprise de la protestation populaire. Le refus des banquiers et déposants de l’idée d’un relèvement de l’impôt sur les taux d’intérêt et sur les revenus a compliqué la conjoncture.
Depuis plus de deux décennies, les Libanais se sont habitués à ce que la politique monétaire prime sur la politique fiscale. Cette situation n’est pas très saine, d’autant que la politique monétaire, qui est du ressort de la Banque du Liban (BDL), est par définition une politique à court terme, limitée au contrôle de la masse monétaire et du taux d’inflation. Cela a permis l’ancrage d’un paradigme consacrant un système de fiscalité plus favorable à la rente qu’à l’investissement et au travail. Le manque de diversification de l’économie a renforcé ce paradigme. Même dans les années de prospérité au Liban, lorsqu’entre 2008 et 2010 le taux de croissance a atteint près de 9%, celui de l’emploi stagnait à 0,5%. Cette possible nouvelle imposition du secteur bancaire, associée à un déficit public flirtant avec 9% du PIB, un déficit du compte courant supérieur à 16% du PIB, se serait traduite par une aggravation de la dette publique et privée.
Taux d’intérêt variables
Il faut ajouter à ce paysage une variation sensible des taux d’intérêt sur les dépôts bancaires entre un établissement de crédits et un autre. Dans le même temps, sur le marché de change, la demande sur le billet vert a entraîné une hausse de la valeur du dollar face à livre, la conversion s’effectuant sur base de la borne supérieure de la fourchette d’indexation des deux monnaies soit 1$ contre 1 515 livres.
Le swap effectué par la BDL, en juillet 2016, a été dicté par le besoin de donner un coup de pouce à certaines banques. Mais cette ingénierie financière a entraîné une abondance de liquidités en livres contre une réduction du volume de cash en dollars sur les marchés. En contrepartie d’incitations substantielles accordées par la BDL, les banques ont souscrit à des eurobonds et des CDS, contraignant certaines d’entre elles à créer des produits à rendement élevé afin de maximiser leurs profits et d’effectuer des transactions pour des montants supérieurs aux liquidités qu’elles détiennent. Ce qui a perturbé la structure des taux d’intérêt et semé le scepticisme auprès des déposants. A ceci, s’est ajouté le projet de relever à 7% l’impôt sur les taux d’intérêts des dépôts bancaires. Sachant que le ministre des Finances a complètement oublié que de tels impôts n’existent pas dans la plupart des pays arabes et qu’il n’existe pas, au Liban, de pension retraite pour la majorité des retraités, qui subviennent à leurs besoins quotidiens grâce au rendement sur leurs dépôts à terme représentant leurs indemnités de fin de service.
Dans ce contexte, le scénario d’un retrait des dépôts, au moins des non-résidents, affaiblirait la capacité des banques à financer l’Etat, les dépôts bancaires des non-résidents en devises étrangères ont atteint à ce jour 34 milliards de dollars, soit 21% du total des dépôts du secteur privé. D’ailleurs, en 2009, à la suite de la crise financière internationale, le Liban aurait été dans une position non enviable, sans l’apport des 24 milliards de dollars transférés par les expatriés vers les banques libanaises. Par ailleurs, les banques ne contestent pas le relèvement de l’impôt sur les revenus des SAL à 17% mais réclament avec insistance l’application de «l’unicité de l’impôt sur le revenu». Elles demandent à ce que l’impôt de 5% versés sur les taux d’intérêt de leurs propres dépôts soient déduites, comme auparavant, du total de l’impôt sur leurs revenus.
En un mot, si les services bancaires ne sont pas concurrentiels, toute l’activité économique du pays en pâtirait.
Liliane Mokbel