J'étais hors du Liban quand je reçus, il y a quelques mois, un mail de Charbel Sarkis, conseiller juridique du ministre d’Etat pour la Réforme administrative, m’informant de la promulgation de la loi sur l’accès à l’information, et joignant des coupures de presse qui en attribuaient le crédit tantôt au député Ghassan Moukheiber, tantôt aux membres du bloc parlementaire du Changement et de la Réforme. «Cette loi ne repose-t-elle pas sur le projet initialement élaboré par le Bureau du ministre d’Etat de la Réforme administrative (OMSAR)?» lui demandais-je. Il confirma. A l’époque, le projet de loi portait alors le nom de Loi pour l’organisation des relations entre le citoyen et l’Administration, dont l’essentiel consistait à donner aux citoyens l’accès aux documents administratifs. Le rapport annuel de l’OMSAR en 2002 en attestait noir sur blanc. Or dans le tintamarre médiatique qui a suivi la parution de la loi en janvier 2017, nul mot ne mentionne l’OMSAR.
A l’époque, aussi, le ministre en fonction était Fouad el-Saad, dont j’étais la conseillère et c’est pour cela que le courriel du conseiller Sarkis me fut adressé. Le ministre el-Saad m’avait informée que Souheil Bougi (ce fameux secrétaire général du Conseil des ministres aux pouvoirs surnaturels) avait laissé dormir le projet dans un tiroir, et que, s’en plaignant au Premier ministre Rafic Hariri, il eut droit à cette réponse sèche: «C’est quoi cette loi qui permet à quiconque d’accéder aux documents de l’Etat? Tu te crois à Washington?»
En 2003, Fouad el-Saad et ses idées réformatrices furent balayés par un changement ministériel. Ghassan Moukheiber reprit à son compte l’idée et la reformula avec l’aide… des représentants de l’OMSAR. Pendant plus d’une dizaine d’années, ceux-là allaient l’accompagner sans relâche, enivrés par la survie de cette idée réformatrice, mettant à sa disposition leurs connaissances juridiques, leur expérience, leur lobbying pour convaincre les réticents, assistant sans jamais défaillir à toutes les réunions qu’il fallait. Mais ils se sont sentis bien déplumés lors de la cueillette des lauriers, après la parution de la loi, en découvrant qu’ils furent les premiers à être jetés dehors. La main basse sur la propriété intellectuelle existe, et sur les thèses, et sur les lois, et sur les idées, et sur les efforts d’autrui: telle est la saga de la nature humaine. Toujours est-il que, remis de sa déconvenue et de sa naïveté, l’OMSAR s’est empressé de sortir un (timide) communiqué de presse rappelant qu’il est à l’origine de cette loi.
On attend des membres du bloc du Changement et de la Réforme qu’ils se conduisent comme des réformateurs, c’est-à-dire des moralisateurs, la morale de base de toute réforme étant un esprit soucieux de déontologie et de vérité.
C’est d’ailleurs uniquement parce que nous sommes soucieux de déontologie et de vérité que cet article a été écrit.
Leila Barakat
Docteur en politique culturelle francophone, Docteur en management public,
Ecrivain.