Projeté en clôture du Festival du film libanais 2016, Go Home, le premier long-métrage de Jihane Chouaib, mettant à l’affiche l’actrice iranienne, Golshifteh Farahani, sera bientôt sur nos grands écrans.
Dès les premières minutes du film, le spectateur repère sons et bruits, avant de distinguer leur provenance par l’image: une jeune femme, des pas déterminés, les roues traînantes de sa valise, une route, un camion qui passe. Nada est revenue au Liban. Dans quelle région du pays, on ne le saura pas, ce n’est seulement pas Beyrouth. Dans le flou de l’image, comme une mémoire qui se déverrouille, des souvenirs qui s’embrouillent, elle distingue la maison familiale, désormais en ruines. La porte s’ouvre seule, sans aucun recours à la clé qu’elle tient à la main. Ce n’est plus chez elle ici, Nada est devenue une étrangère dans son propre pays.
De détail en détail, visuels et sonores, chacun enclenchant l’autre et augmentant progressivement sa symbolique et sa portée, Jihane Chouaib réussit d’emblée à accrocher son spectateur, avant même qu’aucun mot ne soit prononcé. Elle les suspend au visage de son actrice principale, Golshifteh Farahani, aux traits pétris dans l’éclat de la douleur, au regard fier, déterminé et interrogateur. Un regard de défi. Défi par rapport à un pays dans lequel elle ne se reconnaît plus, à une communauté qui tente de l’enfermer dans son étau, à une réalité quotidienne qui ne cherche pas à savoir, à se poser des questions, à une famille où l’on se refuse à parler de ce qui est arrivé, où «on ne parle jamais de rien», surtout pas de «Jeddo» mystérieusement disparu pendant la guerre civile. Pareille à Antigone, une sorte d’Antigone inversée, Nada veut déterrer le passé, déterrer le mort. «Quelle bataille? Tu te bats toute seule!», lui lance son frère Sam. «Tu ne peux pas nous juger!», lui assène sa tante.
Un retour dans la mémoire
Dans sa colère, ce sont les compromis qu’elle refuse à épouser, les compromis acceptés comme des ornières. Dans sa colère, venue du plus profond d’elle-même, il y a l’attachement à la vie, à la mémoire, à l’enfance. Les souvenirs qui remontent, qui s’imbriquent à son présent, qui s’entortillent aux fantômes qui sembler hanter cette maison, à la violence dont cette bâtisse a été témoin, et qui grouille dans un borborygme toujours présent. Jihane Chouaib parvient à merveille à mettre à l’écran les souvenirs de Nada, au cœur d’une sensation indicible qui emporte le spectateur une nouvelle fois dans une danse chatoyante de couleurs, de formes et de sons. Et cette rengaine qui revient, qui s’incruste dans la mémoire de Nada, dans la nôtre, dans celle de tout un pays: «Yalla tnam, yalla tnam, ladbahla tayer el hamam». («Qu’elle dorme, qu’elle dorme, je lui tuerai un pigeon»).
Nada ce n’est pas seulement l’histoire d’une immigrante revenue dans son pays natal, c’est l’histoire de tout Libanais, parce que les multiples couches du film s’y prêtent. Tissé dans la complexité et la subtilité, porté par la sensibilité du casting qui regroupe autour de Golshifteh Farahani, Maximilien Seweryn, Wissam Farès, Julia Kassar, Mireille Maalouf, Nasri Sayegh, Charbel Iskandar, Michel Adabachi… Le cinéma libanais emprunte de plus en plus fort cette voie, celle de l’Histoire qui se constitue d’autant d’histoires, d’autant de vérités multiples. Le passé est à fouiller, oui certes, mais comment le remuer, il semble que telle est la question, une question que s’est déjà posé le film Rabih (Tramontane) projeté actuellement en salles, et que se pose de nouveau Go Home, prévu en juin. Sans jugement, ni doigts pointés, ni reproches, dans la colère retenue, dans la détermination à se tracer sa propre voie.
Dans Go Home, il s’agit moins d’une recherche d’identité que d’une appartenance. Une appartenance à soi avant tout, qui ne peut s’acquérir que par la responsabilité assumée d’un passé tenu sous clé, pour le dépasser, espérer la liberté. Vouloir la liberté.
Nayla Rached