C’est un véritable trésor qui est entreposé à la Bibliothèque Orientale de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ). Près de 120 000 documents photographiques réalisés par des pères Jésuites entre la fin du XIXe siècle et 1960 attendent d’être exploités.
En 1998, l’archéologue libanais Lévon Nordiguian décide de prendre en charge une collection de photographies tombées dans l’oubli. Prises par les pères Jésuites depuis la fin du XIXe siècle jusqu’en 1960 au Liban et au Proche-Orient, ces photos constituent un réel trésor pour le patrimoine libanais. Entre les premières expositions consacrées aux travaux de quelques pères Jésuites (depuis l’an 2000) et la création de la photothèque, seize ans se sont écoulés. Inaugurée en juin 2016 dans la même bâtisse que celle de la Bibliothèque Orientale, la photothèque a été financée par la fondation Boghossian (qui date de 1992 et dont les objectifs prioritaires concernent la formation et l’éducation). «J’ai élaboré la proposition de mise en place d’une véritable photothèque pourvue de moyens de conservation scientifique, afin de pouvoir procéder aux travaux de numérisation et d’agencement des photos dont nous disposons», explique Lévon Nordiguian.
Intérêt géographique et ethnographique
Les Jésuites de l’époque n’étaient évidemment pas des spécialistes du reportage photo. Les clichés qu’ils ont pris s’inscrivent dans le cadre de leur mission religieuse, pour une meilleure documentation des travaux accomplis au fil des années. Se déplaçant à dos de mulet, ils ont rendu éternelles certaines tranches de l’Histoire grâce à leurs outils photographiques. L’exemple d’Antoine Poidebard, pionnier de la photographie aérienne en archéologie, est très parlant. Missionnaire jésuite et explorateur, il s’établit à Beyrouth en 1925 et effectue des milliers d’heures de vol au-dessus de la Syrie, du Liban et d’autres pays du Proche-Orient. Avec des procédés techniques innovants pour l’époque, Poidebard parvient à établir des procédures rigoureuses qui permettront à l'archéologie aérienne de révéler scientifiquement des vestiges qui, normalement, ne sont pas visibles au sol. Pris à partir de l’avion selon une incidence rasante de la lumière, certains microreliefs apparaissent uniquement sur les photos. En comparant les images exposées à la photothèque à la réalité géographique actuelle, on prend conscience de l’«évolution» (l’est-elle vraiment?) du paysage libanais. Avec aussi une compréhension de l’instrumentalisation idéologique de l’archéologie au cours des dernières décennies. D’un point de vue ethnographique, l’image perd de sa valeur uniquement illustrative pour revendiquer une fonction démonstrative. La photographie ethnographique des Jésuites atteste donc du vécu et remplit une fonction d’abord descriptive, aidant à mieux objectiver le réel en enregistrant les données sans les sélectionner. L’image devient donc un outil d’investigation à part entière, en rendant visible les actions, les gestes et les modes de vie les plus anodins.
Gardien de l’Histoire
Les photographies étant extrêmement sensibles à la lumière et à l’humidité, des conditions de conservation s’imposent. Les tirages papier, plaques de verre et négatifs sont entreposés dans une «chambre froide» dont la température varie entre 18 et 20 degrés celsius et dont le taux d’humidité ne dépasse pas les 44%. Une fois «nettoyées», les photos sont rangées dans des enveloppes et dans des boîtes sans acide, avant d’être placées sur les grandes étagères de la pièce climatisée. «Une fois la numérisation achevée, nous procédons à la conception de l’inventaire qui comprend les dimensions, le format, le type des photos et le contexte dans lequel elles s’inscrivent. Une base de données est ainsi établie grâce à un moteur de recherche spécifique», indique Lévon Nordiguian. Un petit musée qui constitue une réelle richesse pour le Liban et pour son Histoire.
Natasha Metni