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Nº 3077 du vendredi 5 mai 2017

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Michel Sleiman. Le Liban paiera un jour le prix de l’engagement du Hezbollah en Syrie

Premier président de la République après la tutelle syrienne, Michel Sleiman a eu un sexennat mouvementé, marqué par des attentats terroristes, des incidents sécuritaires à Tripoli et des blocages politiques. Mais selon lui, le défi le plus grave a été la participation du Hezbollah à la guerre syrienne, dont le Liban pourrait, un jour, payer le prix. Rencontre.

Elu pour son profil consensuel, après sept mois de vacance à la tête de l’Etat, entre septembre 2007 et mai 2008, Michel Sleiman n’en a pas moins adopté des positions inédites depuis l’accord de Taëf. Il a brisé le halo qui entourait le Hezbollah et a eu de profonds désaccords politiques avec le parti pendant la seconde moitié de son sexennat.
Pourtant, l’ancien président a toujours été un fervent défenseur de la Résistance. «Lorsque j’étais commandant en chef de l’armée, j’ai soutenu la Résistance contre Israël, se souvient-il. Mais lors d’une visite au Liban-Sud après mon élection à la présidence, j’ai souligné que la libération doit aboutir à la construction d’un Etat, sinon elle n’aura pas atteint ses objectifs».
La consolidation de l’Etat passe, impérativement, par le déploiement de l’armée à la frontière méridionale après la libération en l’an 2000, une mesure qui n’a pas été prise par le pouvoir politique de l’époque. «Ce n’est qu’après la guerre de juillet 2006 que l’armée est allée au Sud, mais cela était insuffisant à nos yeux», déclare M. Sleiman.
L’ancien président se défend des accusations de «retournement» et de «revirement» portées contre lui par les partis du 8-Mars. «Ma vision était claire dès le départ et je l’ai bien exprimée dans mon discours d’investiture, précise-t-il. J’ai dit que la Résistance était née de l’absence de l’Etat et que ses réalisations sont respectées et estimées de tous. Toutefois, pour que ses succès ne se perdent pas dans les méandres de la politique, il fallait élaborer une stratégie défensive».
Michel Sleiman a consacré une bonne partie de son mandat et beaucoup d’énergie pour tenter de faire adopter une stratégie acceptée de tous les protagonistes libanais. Il a lui-même proposé un projet, prévoyant de mettre les moyens et l’expérience de la Résistance à la disposition de l’armée, pour qu’ils soient utilisés en temps voulu sur décision du pouvoir politique. Les détails restaient à être discutés ainsi que le mécanisme. La Résistance serait-elle mise à la disposition du président de la République, du Conseil supérieur de défense ou du Conseil militaire de l’armée?
Entre atermoiements et louvoiements, les réunions du Comité du dialogue national se sont succédé et les années se sont écoulées. Puis la guerre syrienne a éclaté, balayant sur son passage toutes les priorités.

Le point de rupture
Devant l’urgence et la dangerosité de la situation, la stratégie défensive est donc reléguée au second plan. Il fallait mettre le Liban à l’abri de la tempête syrienne et le protéger de la vague de folie qui a déferlé sur la région. «Mon souci était de tenir le pays à l’écart des axes régionaux, de contrôler nos frontières, d’empêcher l’infiltration des hommes armés et la création de zones tampons», explique Michel Sleiman. Après de longues délibérations, les participants au dialogue national approuvent, à l’unanimité, la Déclaration de Baabda (voir encadré), devenu un document officiel de la République libanaise après son adoption par la Ligue arabe et le Conseil de sécurité des Nations unies.       
Le Hezbollah fait partie de ceux qui ont approuvé la Déclaration de Baabda. «A l’époque, ce document servait ses intérêts politiques, raconte l’ancien président. Certains jeunes sunnites, de Tripoli et du Akkar notamment, se rendaient en Syrie pour se battre aux côtés de la rébellion. Et à chaque fois que des rebelles étaient interceptés par l’armée, des tensions apparaissaient dans le pays. Mais lorsque le Hezbollah a décidé de participer à la guerre, les principes énoncés dans le document ne lui convenaient plus, alors il a renié ses engagements».
L’intervention du Hezbollah dans le conflit syrien s’est faite graduellement. D’abord à Qoussair, pour défendre des Libanais, chiites et chrétiens, dont les villages sont situés du côté syrien de la frontière, et qui étaient menacés par les insurgés. Ensuite, autour du mausolée de sayyeda Zeinab, au sud de Damas. Tant que l’intervention était limitée dans le temps et dans l’espace, et avait pour objectif de défendre des Libanais ou des sites religieux, elle était tolérée sans toutefois être approuvée, souligne Michel Sleiman. Lorsque le Hezbollah a commencé à se battre sur tous les fronts en Syrie, la donne a changé. «Ils ont décidé de s’impliquer pleinement dans la guerre syrienne sans consulter qui que ce soit», déplore l’ancien président avant de poursuivre: «Le Hezbollah a lui-même violé le triptyque peuple-armée-résistance auquel il affirme être attaché. Il s’est rendu en Syrie sans avoir consulté le peuple, qui est divisé autour de cette question; il n’a pas, non plus, obtenu le feu vert de l’Etat; et n’a pas coordonné son action avec l’armée. Cela est inadmissible, car c’est tout le Liban qui risque de payer le prix de cette intervention, qui est pourtant le fruit d’une décision unilatérale prise par un parti.

Le drone Ayyoub
Les relations avaient déjà commencé à se dégrader entre le président Sleiman et le Hezbollah plusieurs mois avant l’annonce de la participation du parti à la guerre syrienne, qui remonte à l’hiver 2013. En octobre 2012, un drone, baptisé Ayyoub, appareillé par la Résistance, survole pendant trois heures le territoire israélien avant d’être abattu par un F16. Outre que cette initiative constitue, selon les Nations unies, une violation de la résolution 1701, l’ancien chef de l’Etat reproche au Hezbollah de ne pas l’avoir informé au préalable de cette opération: «Ils ont envoyé le drone Ayoub sans même me consulter. Je n’ai appris la nouvelle que lorsque les Iraniens ont annoncé que l’appareil avait pris des photos du territoire israélien. Pourquoi ne m’ont-ils pas prévenu? Est-il acceptable que le président libanais apprenne la nouvelle par les Iraniens?».
Cette «erreur» s’ajoute à d’autres, commises par le Hezbollah, et qui ont contribué à refroidir les relations entre la présidence de la République et le parti chiite. L’autre faute a été les accusations lancées contre l’Arabie saoudite sur sa responsabilité présumée après l’attentat contre l’ambassade d’Iran à Beyrouth, qui a fait 23 morts, en novembre 2013. «S’ils disposaient de preuves sur une prétendue implication saoudienne, pourquoi n’en ai-je pas été informé, s’indigne Michel Sleiman. En tant que président de la République, comment aurais-je pu accepter de telles accusations contre un pays qui accueille 125 000 travailleurs libanais et qui a tant aidé à la reconstruction et au développement du Liban?».
L’ex-président reproche aussi au Hezbollah son attitude «peu constructive» à l’intérieur du Conseil des ministres: «Ses alliances politiques avec les autres composantes du 8-Mars primaient sur le souci de faire fonctionner convenablement les institutions de l’Etat. Je ne sentais pas qu’il m’apportait un soutien ferme au sein du gouvernement».
Cette accumulation de «fautes», couplée à l’ingérence en Syrie, ont fini par miner durablement la relation entre le président et le Hezbollah. «A ce stade, j’ai clairement réclamé le retrait du parti de Syrie et je continue à le faire aujourd’hui avec la même conviction, affirme Michel Sleiman. Je demande également l’adoption d’une stratégie défensive, afin de donner l’espoir à nos petits-enfants que d’ici dix ans, l’Armée libanaise sera la seule force habilitée à protéger la patrie.»
Michel Sleiman rejette en bloc les arguments selon lesquels il était plus judicieux d’aller combattre les terroristes en Syrie plutôt que d’avoir à les affronter, un jour, au Liban. «Il ne fallait pas aller en Syrie, martèle-t-il. Si nous avions été attaqués, nous aurions pu défendre nos villes et nos villages, tous ensembles, plutôt que d’aller nous battre contre des citoyens syriens. Qui sait quel est le prix que le Liban devra payer, et il le paiera un jour. Certains attentats terroristes qui ont frappé notre pays sont dus à l’ingérence en Syrie (…) Je crains que lorsqu’une solution sera trouvée au conflit syrien, le Liban ne soit à son tour au seuil d’une crise majeure.»

La crise des réfugiés
Selon lui, l’intervention du Hezbollah en Syrie a lié les mains de l’Etat et de la classe politique face à l’afflux de réfugiés. «Le pays était divisé entre partisans et opposants à l’intervention en Syrie, dit-il. Aussi, les Libanais sont-ils restés impuissants face à la vague de réfugiés. Si nous avions adopté une position unifiée concernant la crise syrienne et respecté le principe de la distanciation, nous aurions pu affronter d’une manière plus efficace ce dossier».      
L’ancien chef de l’Etat est convaincu que la Déclaration de Baabda a permis de limiter les conséquences négatives du conflit syrien sur le Liban. «Ce document a empêché l’explosion de la situation à l’interne, assure-t-il. Le processus politique que j’ai conduit avec la Déclaration de Baabda a fourni une couverture internationale au pays et il continue à en bénéficier jusqu’à aujourd’hui», conclut-il.

 


La prorogation du mandat
Michel Sleiman a assuré à Magazine qu’il n’a, à aucun moment, envisagé la prorogation de son mandat, achevé le 25 mai 2014. L’Arabie saoudite non plus n’a jamais évoqué avec lui ce scénario. «Les Saoudiens ont examiné avec moi les noms des candidats susceptibles de me succéder», dit-il. En revanche, il révèle que la France a discuté avec lui de l’option de la prorogation. «C’était un an avant la fin de mon mandat», se souvient-il. Les Américains et d’autres Etats ont évoqué cette éventualité via leurs ambassadeurs accrédités à Beyrouth. «J’ai refusé et explicitement déclaré à une journaliste, que je refusais la prorogation de mon mandat», affirme-t-il.

La déclaration de Baabda
Voici les principaux points de la Déclaration de Baabda, approuvée à l’unanimité par les participants au Comité du Dialogue national le 11 juin 2012:
● S’attacher à consolider la stabilité; préserver la paix civile; empêcher le pays de plonger dans la discorde et la violence; et s’employer activement à trouver des moyens pacifiques d’accomplir ces objectifs;
● Exhorter tous les citoyens, quelles que soient leurs affiliations, leurs obsessions et leurs frustrations, à être bien conscients qu’un recours aux armes et à la violence entraîne inéluctablement des pertes et des préjudices pour toutes les parties et met en danger les moyens de subsistance des personnes, leur avenir et celui des générations futures;
● S’employer à renforcer les institutions de l’État et encourager le recours aux lois et aux institutions légitimes pour régler les différends;
● Accorder un appui moral et matériel à l’armée qui est le garant de la paix civile et le symbole de l’unité nationale et déployer les efforts nécessaires pour lui permettre, ainsi qu’aux autres forces de sécurité légitimes, de résoudre les problèmes de sécurité, conformément au plan de déploiement visant à imposer l’autorité de l’État, la sécurité et la stabilité;
● Se tenir à l’écart de la politique des axes et des conflits régionaux et internationaux et éviter les retombées des tensions et des crises régionales pour préserver les intérêts supérieurs du Liban, son unité nationale et la paix civile, exception faite des résolutions revêtues de la légitimité internationale, de l’unanimité arabe et de la juste cause palestinienne, y compris le droit des réfugiés palestiniens au retour dans leur territoire et leurs foyers, plutôt que leur implantation;
● Veiller à maîtriser la situation à la frontière libano-syrienne et s’opposer à la création d’une zone tampon au Liban, le pays ne pouvant servir de base ou de point de passage pour la contrebande d’armes et l’infiltration de combattants, tout en garantissant le droit à la solidarité humanitaire et à l’expression politique et médiatique, en vertu de la Constitution et des lois.

Paul Khalifeh

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