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Nº 2874 du vendredi 7 décembre 2012

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Un Libanais raconte la «guerre sainte» en Syrie. Les confessions d’un jihadiste

La mort, le week-end dernier, d’une vingtaine de jeunes jihadistes libanais en Syrie, a recentré le débat sur le rôle des islamistes dans ce pays. Magazine est allé à la rencontre d’un jihadiste libanais afin de retracer le parcours de ces hommes prêts à mourir au nom de Dieu.

Abou Ghurair el-Traboulsi est un jeune trentenaire portant la longue barbe des islamistes. Ce nom est un pseudonyme lui permettant de protéger son anonymat. «Je ne suis pas un salafiste, juste un musulman pratiquant», se défend-il, une fois l’entrevue amorcée.
La révolution syrienne et la guerre civile qui s’en est suivie ont permis de raviver le flambeau des mouvances islamistes radicales comme celles d’al-Qaïda et des autres salafistes-jihadistes. Vendredi 30 novembre,  près de vingt-deux jihadistes libanais ont trouvé la mort, ont été blessés ou capturés dans les environs de Tal Kalakh en Syrie. Les combattants seraient tombés dans une embuscade tendue par l’armée syrienne. Seule l’identité de cinq personnes dont Malek el-Hajj Dib, 23 ans, Abdel-Karim Ibrahim, 18 ans, Abdel-Rahman el-Hasan, 22 ans, Youssef Abou Arida, 26 ans, et Bilal Khodr el-Ghoul, 22 ans, aurait été confirmée (Voir encadré).
A l’instar de ces «martyrs», Abou Ghurair a grandi dans les quartiers populaires de Tripoli. Il ne rêve, aujourd’hui, que de rejoindre une fois de plus ses compagnons du jihad avec lesquels il a, trois mois durant cette année, mené la «guerre sainte» en Syrie. Contre quels ennemis? «L’Iran et ses partisans, ceux qui épousent la théorie de la wilayat el-fakih dans le monde arabe, comme le Hezbollah», explique-t-il sur un ton prosaïque. La wilayat el-fakih désigne, en langue persane, la tutelle du guide suprême iranien. «La vie sur terre ne tient qu’à un fil et ce qui compte à mes yeux, c’est la vie dans l’au-delà, le jihad, la guerre sainte  me la garantiront, je l’espère de tout cœur», assure-t-il.
Quelles sont les raisons qui jettent les sunnites libanais sur le chemin du jihad en Syrie? «De très nombreux facteurs jouent sans aucun doute, notamment le chômage, la pauvreté et le sentiment de désillusion qu’un grand nombre d’entre nous éprouvent, nous poussent à rechercher quelque part une certaine forme de justice», ajoute Abou Ghurair.
Une vieille vengeance
D’autres considérations émanent du vécu des habitants de Tripoli. Le père d’Abou Ghurair a ainsi été torturé par l’armée syrienne dans les années 80; aux yeux du jihadiste, il est donc tout à fait normal que les sunnites libanais, ayant vécu une telle expérience, éprouvent un désir de vengeance. Le jeune homme cite à titre d’exemple, le parcours d’une veuve du village de Ersal, Oum Hussein, dont le mari et le fils auraient été tués par l’armée syrienne lors de l’occupation du Liban de 1976 à 2005, et qui se serait ainsi jointe aux combattants en Syrie. Elle dirigerait aujourd’hui une brigade de près de 500 combattants dans les alentours de Homs.
Le conflit ouvert entre l’Iran, chiite, et les pays du Golfe, sunnites, se répercutant sur les communautés sunnite et chiite au Liban ne ferait qu’attiser la colère des sunnites libanais. «La politique du Hezbollah envers les sunnites au Liban est vécue comme une humiliation par tous. La seule façon d’y mettre fin, c’est de renverser (le président syrien Bachar) Assad. La Syrie est devenue aujourd’hui le ventre mou de cette chaîne formée par la wilayat el-fakih qui s’étend  depuis l’Iran, l’Irak, la Syrie jusqu’au Liban. Renverser Assad, c’est la briser», assène-t-il.
C’est en compagnie d’une trentaine de combattants qu’Abou Ghurair a fait le voyage du Liban jusqu’à la région syrienne de Qousair, traversant la frontière entre les deux pays. «Le passage à la frontière du côté libanais s’est fait en toute facilité, mais côté syrien, nous avons essuyé une attaque de l’armée syrienne; l’Armée syrienne libre (ASL), avertie de notre arrivée, est cependant venue à notre rescousse, nous n’avons perdu qu’un seul martyr lors des combats», explique-t-il avec détachement.
Le groupe des Libanais, ayant passé ce jour-là la frontière, comprenait des hommes de 12 à 30 ans. «L’ASL veille à la sécurité des militants libanais, ils veulent éviter autant que possible des victimes dans nos rangs», raconte-t-il. Abou Ghurair aurait rejoint la brigade el-Walid, qui disposerait de près 1 000 combattants. Elle mènerait également des opérations conjointes avec les brigades el-Farouk, auxquelles elle est affiliée. Cette dernière brigade, aux relents islamistes, opère dans plusieurs régions notamment celle de Homs. Dans ce dernier secteur, cette unité comprendrait près de 5 000 combattants. Les deux unités seraient pour la plupart formées de Syriens et de nombreux Libanais, Irakiens, Qataris et Koweïtiens, selon le témoignage d’Abou Ghurair. «Ces militants étrangers sont dans leur majorité d’origine syrienne ou mariés à des Syriennes», souligne-t-il. Le jeune homme insiste toutefois sur le fait que le nombre d’étrangers figurant dans la brigade el-Farouk reste limité.
Une fois arrivés dans la région de Qousair, les militants libanais rejoignent les camps de l’ASL. Ils peuvent toutefois facilement circuler dans cette région, la présence de l’armée régulière syrienne restant confinée dans les villes et les villages des environs, selon le jihadiste. «Les forces d’Assad se sont retirées dans les montagnes des alentours et ne font généralement que bombarder les villages, en évitant les opérations sur le terrain en raison de leur dangerosité et du renforcement des unités de l’ASL dans la région», commente-t-il.

Prière et alcool
La journée des combattants débute le matin par une prière. «Tous les combattants ne s’astreignent pas à cette coutume, certains de nos éléments ne sont pas pratiquants et donc ne prient pas. Certains consomment même de l’alcool, nous ne nous opposons pas à leurs habitudes. Chacun peut pratiquer sa religion comme il l’entend, ce qui compte à nos yeux c’est le combat contre Assad», précise-t-il.
Les offensives sont, en règle générale, décidées par le Majlis el-choura de la brigade, une sorte de conseil militaire. «Nous nous attaquons généralement aux barrages de l’armée syrienne. Au cours de mon séjour en Syrie, aux alentours du mois de Ramadan, nous avons fait également le siège de la municipalité de Qousair et de celui des services des renseignements. Près de 500 hommes de l’ASL ont ainsi combattu 400 membres des services de renseignements et des chabbihas (force paramilitaire du régime) plusieurs jours durant. Une opération menée conjointement par les brigades el-Walid et el-Farouk, dont le travail a été facilité par des agents doubles au sein de l’armée syrienne, n’ayant toujours pas fait défection. Ces taupes alimentent souvent les brigades rebelles en informations précieuses, notamment au sujet des positions de l’armée syrienne ou bien provoquent des diversions au niveau des barrages des forces du régime, afin de garantir à l’ASL un succès militaire.
Mais que fait l’ASL des prisonniers capturés lors des combats? Selon Abou Ghurair, ils commencent par subir un interrogatoire. «L’ASL possède une structure en tous points similaire à celle de l’armée syrienne, elle comprend des membres des services de renseignements rompus aux techniques d’interrogatoire», signale-t-il. Les prisonniers ayant admis leur implication dans des massacres de civils ou de membres de l’ASL sont mis à mort. «Nous réservons un traitement spécial aux membres du Hezbollah participant aux combats auprès des forces du régime et que nous capturons vivants. Nous les lynchons ou les brûlons», commente-t-il laconiquement.
Selon Abou Ghurair, près de 18 chiites libanais, appartenant au Hezbollah, auraient ainsi trouvé la mort lors de son séjour en Syrie. Certains d’entre eux auraient admis, avant leur mise à mort, avoir répondu à une Fatwa émise par le numéro deux du parti, Naïm Kassem. Une information que Magazine n’est pas en mesure de confirmer.
Le parcours d’Abou Ghurair n’est pas unique en son genre. De nombreux Libanais et des réfugiés palestiniens venant des camps libanais prennent le chemin de la Syrie, afin de rejoindre l’insurrection, dans une bataille interprétée par les plus radicaux comme celle du Jugement dernier. Pendant des mois, l’opposition syrienne en exil et les Occidentaux ont refusé de reconnaître la présence croissante des jihadistes et autres salafistes au sein de la révolution syrienne. Selon un article paru dans Le Figaro, quelque 2 000 combattants étrangers se seraient infiltrés en Syrie depuis un an. De nombreux Syriens, déçus par l’impassibilité des pays occidentaux, galvanisés par les prêches extrémistes et horrifiés par la répression, choisissent le chemin de la guerre sainte. En Syrie, la fiction a de plus en plus du mal à résister à la réalité. 

Mona Alami

Les unités salafistes
Il existe plusieurs groupes islamistes au sein de l’ASL. Certains des salafistes-jihadistes auraient récemment refusé de passer sous le contrôle de l’Armée syrienne libre et de la Coalition nationale syrienne, formée il y a quelques semaines à Doha. Ils auraient appelé à l’instauration d’un Etat islamique dans la région d’Alep. Parmi ces derniers figure le Front al-nosra, proche d’al-Qaïda en Irak. Le Front al-nosra a revendiqué de nombreux attentats suicide, des embuscades et des 
agressions contre les forces de sécurité syriennes. Une vidéo jihadiste, diffusée récemment, fait état de l’apparition d’une nouvelle brigade, celle de Omar el-Farouq en Syrie. Dans sa vidéo, la brigade aurait exhorté les musulmans à rejoindre le jihad contre les forces du président Assad. Omar Farouk était l’un des lieutenants d’Oussama ben Laden. On pense toutefois que la brigade Omar el-Farouq serait différente de la brigade el-Farouq, une des unités de l’ASL les plus actives, dirigée par 
Abdel-Razzaq Tlass, cousin de l’ancien ministre de la Défense Moustafa Tlass. La brigade Abdallah Azzam, un groupuscule palestinien basé au Liban, entretenant des liens troubles avec al-Qaïda, serait 
également présente sur le territoire syrien. Le Liwa al-islam, ou brigade de l’islam, a revendiqué quant à lui, l’assassinat de hauts officiers syriens. Le Liwa al-tawhid est finalement très présent à Alep.

L’embuscade de Tal Kalakh
Les combattants libanais, qui ont péri le 
30 novembre à l’intérieur du territoire syrien, ne seraient pas tombés dans un piège comme l’ont véhiculé les médias libanais, assure une source sécuritaire syrienne. Ils ont perdu la vie au cours d’un combat qui les a opposés aux unités des comités populaires et de l’armée syrienne. Les Libanais s’étaient constitués en patrouille de combat et avaient réussi à faire parvenir des armes à des combattants syriens, appartenant à un courant extrémiste, postés dans les bois du village syrien de Bayt Qorine à la frontière libanaise. L’opération s’est soldée, d’après cette source, par la mort de quatorze Libanais, de quatre Syriens et la fuite de trois éléments armés, dont un Libanais, vers l’intérieur du territoire syrien. La bataille au cours de laquelle des RPG 7 et diverses mitrailleuses ont été utilisées a duré environ 90 minutes et aurait eu lieu près de la bourgade de Halate, qui se trouve à quelque 3 km de l’axe frontalier et de Tal Kalakh. Les combattants venus du Liban auraient traversé la frontière à l’aube via la région située entre les villages libanais de Dababiyé et de Noura, à environ un millier de mètres de la ligne frontalière. La source affirme, par ailleurs, que ce sont le député Khaled Daher et l’un de ses frères qui auraient dépêché le groupe armé en Syrie.  n A.N.

 Bakri forme des combattants?
A son habitude, le cheikh Omar Bakri a 
multiplié des déclarations tonitruantes, aussitôt réfutées dans la presse. Le cheikh salafiste était l’un des radicaux les plus médiatisés de Londres, où il résidait jusqu’en 2005. A cette époque, il avait fait l’éloge des attaques de 11 septembre 2001. Dans une récente entrevue au quotidien The Sun, il avait déclaré s’occuper de la 
formation au combat en Syrie de quatre extrémistes islamistes britanniques. Bakri avait également révélé qu’une des recrues était programmeur en informatique et que toutes seraient nées au Royaume-Uni.

 Un ancien de Fateh el-islam 
L’histoire d’Abou Ghurair ne manque pas d’intérêt, son parcours de jihadiste résultant souvent de 
circonstances malheureuses. En effet, c’est en 2007 que le militant rejoint le groupuscule terroriste de Fateh el-islam, une mouvance terroriste ayant combattu l’Armée libanaise, cette même année et près de trois mois durant. «Mes frères et moi étions des musulmans pratiquants, mais nous le sommes devenus beaucoup plus après la mort de mon frère à Nahr el-Bared». Selon Abou Ghurair, son frère possédait de nombreux magasins dans le camp. Il se serait rendu sur place après le début des combats afin de surveiller l’état de ses biens et aurait été abattu par l’Armée libanaise alors qu’il traversait un barrage. «Mon neveu et moi nous nous sommes alors engagés dans la lutte auprès de Fateh el-islam, c’était une question d’honneur, de «tar» (vengeance), nous étions obligés de laver l’honneur de son sang, bien qu’après réflexion nous pensons avoir été manipulés par Chaker el-Absi (le chef du Fateh el-islam)». Abou Ghurair ainsi que les jihadistes se rendant en Syrie ont pour 
la plupart combattu contre les alaouites à Bab el-Tebbané.
en de Fateh el-islam

 

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