Magazine Le Mensuel

Nº 3081 du vendredi 1er septembre 2017

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KYC, Due Diligence… Obligations et droits des clients

S’inspirant du droit américain, les institutions financières, soumises au contrôle de la Banque du Liban (BDL), n’ont pas cessé, depuis le début des années 2000, d’élargir leur vocabulaire englobant des expressions telles que Know Your Customer (KYC, Connaître son client), Due diligence, Surveillance des mouvements des comptes bancaires, Traçabilité des transactions bancaires… Quels sont les droits et les obligations des clients?

Ces expressions sont des principes qui semblent avoir atteint leur maturité et sont mis en application dans leur acception la plus large par nos banquiers, au grand dam d’une clientèle qui se sent, de plus en plus, mal à l’aise, soumise à des injonctions de justifications jugées parfois exagérées ou inappropriées, voire même abusives. De leur côté, les banquiers ont du mal à comprendre la frustration de ces clients récalcitrants.
L’objectif premier de ces expressions était de collecter préalablement un certain nombre d’informations sur les clients. A présent, il s’agit d’«obligations», puisque ces concepts ont été intégrés dans «l’ordre juridique interne». Il est question de «vigilance», de «prévention», d’«obligations de mise en garde et de conseil» à l’adresse des emprunteurs non avertis et des investisseurs, dans le cadre de la gestion de leur portefeuille.
Ralliant le mouvement mondial de l’inclusion financière, le Liban a dû suivre normalement, via son ministère des Finances et ses banques, les standards internationaux de transparence, de clarté, de bonne gouvernance et de bonne conduite, tantôt au nom de la contribution à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, tantôt au nom du combat contre l’évasion fiscale et des préparatifs à l’implantation de la résidence fiscale à l’échelle internationale.
La clientèle doit comprendre qu’une seule transaction bancaire implique plusieurs agents et non seulement la banque et son client. Il y a une troisième, quatrième et parfois une cinquième partie par laquelle transiterait l’opération. Par exemple, en plus du client et de sa banque, il y aurait la Banque du Liban et ses entités affiliées telles la Commission de contrôle et la commission d’investigation bancaire, la banque étrangère correspondante de l’agent financier local et le récepteur. Une panoplie d’acteurs domestiques et internationaux, dont les règlements doivent être respectés à défaut de voir la transaction refusée et non réalisée.
La circulaire No 134/2016 de la BDL a introduit clairement les mots droits et obligations du client et droits et obligations de l’institution financière. Les banquiers sondés par Magazine s’accordent sur l’évidence que la directive de la Banque centrale vise, a priori, à «protéger le client et non à lui rendre la vie difficile». Ainsi les articles 1 et 2 de la circulaire No 134 évoquent-ils «l’éducation, la sensibilisation et l’explication au client de ses droits et de ses obligations envers sa banque», tout en précisant, dans une annexe, la nécessité pour tout souscripteur à un service ou produit bancaire de connaître tous les détails qui lui sont relatifs en termes de coût, de rendement, de méthode de calcul adoptée, etc. Conformément aux  dispositions des articles qui suivent, la notice d’informations sur les droits et obligations de la banque et du client sera rédigée en deux langues, dont l’une sera obligatoirement l’arabe, et publiée sur le site web de l’établissement financier, ainsi que sur le plus grand nombre de moyens de communication. Ce document serait dûment signé par la clientèle.
 
Pas de généralisation
«Les banques sont dans l’obligation de mettre en œuvre cette démarche, et cette circulaire est maintenant très largement appliquée. Il se pourrait que, pour les institutions bancaires avec un grand nombre de clients ou pour les clients non-résidents, certains n’aient pas encore été mis au courant», souligne Fouad Khalifeh, directeur de Conformité au Groupe Fransabank. Dans le même sens s’inscrivent les propos de Maurice Iskandar, directeur général adjoint de la Banque libano-française (BLF), qui déclare que près de 50% de la clientèle de la BLF a déjà apposé sa signature sur le document officiel, considérant que la généralisation de cette procédure à toute la masse clientèle serait facilitée et accélérée par la légalisation de la signature électronique. M. Iskandar précise que la BLF assure un suivi de sa clientèle à travers huit points de contact différents, qui lui permettent de faire parvenir leurs questionnements et réclamations, alors que le répondant se doit de proposer un règlement dans un délai de 15 jours. «Un rapport sur notre expérience avec la clientèle est envoyé régulièrement à la Commission de contrôle de la BDL», dit-il. Pour Malek Costa, chef du département Compliance à Blom Bank, «la relation entre le client et son banquier a connu, au fil des ans, un manque de confiance et de transparence. Ceci a poussé la BDL à émettre la circulaire
No 134/2016, afin de permettre aux banques et institutions financières au Liban de sensibiliser les clients et de les informer, de façon claire et précise, sur leurs droits et obligations. Comme elle vise à les avertir sur les conditions, les avantages et les risques associés à chaque produit ou service offert. Cette démarche est pleinement appliquée par les banques, et de façon régulière, à travers la diffusion de plusieurs publications, comme les affiches, brochures, campagnes publicitaires et autres, ainsi que par les entretiens individuels.  Ces procédures sont authentifiées par la signature de documents officiels confirmant leur connaissance de toutes ces informations».

Anciens et nouveaux clients
Sur un autre plan, les gens se sentent frustrés, dans la mesure où il n’y a pas lieu de segmentation de la clientèle entre celle de longue durée, dont «la traçabilité des opérations serait évidente», et la nouvelle clientèle. A Fransabank, toute relation bancaire avec le client est régie par les normes de transparence totale, qu’elle soit de longue ou de courte durée. Il n’est ainsi pas possible de discerner les clients nouveaux de ceux qui existent déjà, ni d’utiliser la règle de courte ou longue durée de la relation. Toute opération bancaire faite par un client, même au niveau d’une seule opération, doit être claire quant aux parties qui la constituent (fournisseurs, employeur, employé, salaire, transfert, dépôts, etc.), en conformité directe avec les déclarations du client quant à la source des fonds, et dotée des documents de support si nécessaire. Cette démarche vise à protéger les clients, et assurer la pérennité d’une banque, identifier les mauvaises opérations et/ou le mauvais client qui essaient d’utiliser le système pour blanchir des fonds provenant de sources illégales. Pour Blom Bank, souvent, dans les banques, les clients ne sont pas classifiés selon la durée de leur collaboration avec l’établissement, mais selon «le niveau de risque» que présente chacun d’eux. A titre d’exemple, nous citons la nature, le secteur et le lieu de son travail, le niveau de solvabilité. Concernant la BLF, Maurice Iskandar estime que la situation financière d’un client est «en évolution continue» et, par conséquent, le banquier ne peut pas faire de segmentation de son comportement vis-à-vis d’un ancien et d’un nouveau client. S’il prêche la nécessité pour un banquier «d’être raisonnable» à l’égard d’un vieux client, il affirme qu’un bon client peut devenir mauvais au fil des années et vice versa. Le banquier doit connaître son client, dans l’absolu, d’une manière proche. Néanmoins, il est plus difficile pour un nouveau client d’ouvrir un compte bancaire et d’effectuer une transaction qu’un habitué de la banque. Toutefois, pour ce dernier, si le banquier suspecte une transaction «hors normes» ou «non familière», la procédure de suivi est mise en œuvre selon les mêmes critères appliqués au nouveau client. «Le client est catégorisé sur base d’une approche de degré de risque», ajoute-t-il.

Pas de seuil
En réponse à une question, Costa Malek, de Blom Bank, souligne que la BDL n’a pas fixé un seuil des montants des opérations bancaires exemptées de pièces justificatives, pour permettre aux banques et institutions financières libanaises d’assumer totalement leurs obligations et responsabilités envers les banques et institutions internationales correspondantes. Ces dernières imposent, effectivement, la mise en œuvre d’un système de contrôle très strict et l’adoption de mesures de grande prudence dans les opérations de virements bancaires, même quand il s’agit de petits montants pour pouvoir lutter contre tous les risques de transferts illicites. Ces dispositions ont été clairement précisées dans la circulaire No 126 de la BDL, et les banques locales sont appelées à appliquer tous ses articles dans leurs transactions. Cette orientation prise par la BDL aide nos banques à agir en conformité avec les lois, règlements et prescriptions internationales, et à entretenir une relation de confiance avec le monde financier extérieur. Quant à Fouad Khalifeh de Fransabank, il souligne que l’idée de la pièce justificative est de prouver la source et la destination des fonds. Une fois la source et la destination prouvées par une pièce justificative, il n’y a plus lieu d’exiger des documents pour toutes les autres transactions similaires. Toute opération qui sortira du cadre «ordinaire» des transactions du client (changement du montant, du destinataire, etc.), devra ainsi être dotée d’une pièce justificative qui supporte son authenticité. Dans la même lignée, s’inscrit la réponse de Maurice Iskandar de BLF. Il fait remarquer que des questions sont posées par nos banques correspondantes sur des montants minimes de 2000 $ comme sur des montants de 2 millions $. «Nous n’avons pas d’autre choix que de donner toutes les indications que nous possédons», dit-il, affirmant que «le dévoilement des informations se fait dans le respect du principe du secret bancaire en ce qui concerne les Libanais, mais qui ne couvre certainement pas les abus».
Ceci dit, le client n’a pas le droit de refuser les demandes de son banquier, car elles sont normalement administrées par des circulaires et des lois locales et internationales. Toute opération ou relation avec le client est régie par une connaissance totale par la banque du client, de son travail, de la source de ses fonds, etc. Si cette transparence n’est pas assurée, la banque ainsi que le client ont le droit de rompre la relation.

Liliane Mokbel

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