Magazine Le Mensuel

Nº 3082 du vendredi 6 octobre 2017

Point final

Le tracé des frontières par le sang et le feu

Lorsqu’en 1920, le général Gouraud proclame le Grand Liban, il joint au décret 318 des cartes des frontières de l’Etat libanais avec la Syrie et la Palestine. Ces documents ont été conservés au ministère libanais de la Défense et aucune copie n’a été envoyée aux organisations internationales pour donner un caractère officiel aux frontières.
Pour des raisons politiques, sécuritaires et cadastrales, la Syrie a ignoré ce tracé. De plus, la comparaison des cartes militaires syriennes aux cartes libanaises montre l’existence de 36 points litigieux le long des frontières, allant de Hneider, au nord, au hameau de Hora, au sud. Les régions les plus disputées entre les deux pays se trouvent à Deir el-Achaër, Masnaa, Ersal et les fermes de Chebaa. Lors de la présence syrienne au Liban, aucune démarche n’a été entreprise pour effectuer un tracé des frontières.
Pendant la période du retrait syrien du Liban, en 2005, et de la guerre israélienne de juillet 2006, le Conseil de sécurité de l’Onu a voté trois résolutions (1559, 1680, 1701) appelant au tracé des frontières entre les deux pays. Conformément aux alinéas 10 et 14 de la résolution 1701, une commission libano-internationale a été créée, pour aider le Liban à contrôler et surveiller ses frontières. Cette commission est parvenue à exécuter un projet-pilote, le long de la frontière septentrionale. Par conséquent, la contrebande de marchandises et le trafic humain ont considérablement baissé. En 2010, les gouvernements libanais et syrien ont convenu de procéder au tracé des frontières en partant du nord au sud, à la demande de la Syrie qui a estimé que les fermes de Chébaa sont un territoire arabe occupé qui doit d’abord être libéré. Mais les travaux de délimitation n’ont pas commencé à cause de l’éclatement de la crise en Syrie, en 2011.
Au mois d’août dernier, l’armée libanaise a exploité le momentum régional et international, et l’effondrement de Daech en Syrie et en Irak, pour lancer une opération militaire éclair, qui lui a permis de libérer des terroristes les jouroud de Ras-Baalbek et Qaa. Pour la première fois, l’armée libanaise s’est déployée sur une ligne frontalière litigieuse, sous l’œil de l’armée syrienne, qui frappait simultanément le même ennemi de l’autre côté de la frontière.
La libération par l’armée nationale d’une terre libanaise par le feu et le sang, et son déploiement sur la ligne frontalière, constitue une occasion historique qu’il faut exploiter, de la même façon qu’a été exploité le moment opportun pour établir des relations diplomatiques avec la Syrie, en 2008. Il faut entamer les démarches juridiques et diplomatiques pour établir le tracé des frontières libano-syriennes surtout avec l’apparition des signaux positifs suivants:
● Le tracé des frontières est peut-être devenu une requête syrienne, pour mieux contrôler les passages illégaux et faire échec aux projets de partition en gestation, surtout après le référendum qui a eu lieu au Kurdistan le 25 septembre.
● Le soutien international au processus de délimitation en raison de l’existence de trois résolutions qui y font référence.
● L’intérêt porté par la Russie à ce processus, d’autant que Moscou peut faire entendre sa voix auprès des autorités syriennes. Cette question a été évoquée par le Premier ministre Saad Hariri lors de sa visite en Russie à la mi-septembre.
● Les déclarations du secrétaire général du Hezbollah selon lesquelles il remettrait à l’armée libanaise les régions frontalières que le parti a libéré des terroristes.
● L’annonce par la Grande-Bretagne qu’elle poursuivra le projet de construction de miradors le long de la frontière libano-syrienne.
Aussi, nous estimons que le gouvernement libanais doit saisir cette opportunité et prendre les mesures nécessaires concernant les frontières terrestres, exactement comme il l’a fait en 2011, lorsque le Parlement a voté la loi délimitant les frontières maritimes et a fourni aux Nations unies les cartes officielles.
Le sang des martyrs et des blessés de l’armée libanaise, qui a irrigué la frontière orientale, lancera-t-il le signal du début du tracé des frontières libano-syriennes?

 

Hamid Iskandar
Ancien général, Docteur en information et communication

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