Le mufti de la modération
Des sources beyrouthines nous affirment que le mufti de la République, cheikh Abdel Latif Deriane, a joué un rôle de premier plan pour conserver un minimum d'unité au sein de l'establishment politico-religieux sunnite, lors de la crise provoquée par la démission surprise, le 4 novembre, de Saad Hariri. Le dignitaire religieux a apporté un soutien total à la députée Bahia Hariri et s'est employé à étouffer les discours extrémistes et empêcher l'utilisation de la rue. Des observateurs soulignent que les muftis des régions ont respecté les consignes et les conseils de Dar el-Fatwa, à l'exception du mufti de Tripoli, qui était plus proche des positions d'Achraf Rifi, lesquelles étaient alignées sur les positions saoudiennes.
Les sources beyrouthines indiquent que l'Egypte a encouragé le mufti Deriane à adopter une position modérée dans cette crise, susceptible de plonger le Liban dans les affres de la guerre. Cheikh Deriane a montré qu'il était plus proche d'al-Azhar au Caire que des dignitaires extrémistes d'Arabie saoudite.
Qui est le bras droit de Bahaa Hariri?
Un nouveau personnage, inconnu du grand public, s'est introduit dans le paysage politique libanais à la faveur de la crise provoquée par le démission surprise et, probablement, la détention de Saad Hariri à Riyad. Il s'agit de Safi Kalo, le chef de cabinet de Bahaa Hariri, qui a été dépêché par son patron auprès de certains leaders politiques locaux et régionaux. Membre d'une riche famille sunnite d'origine syrienne, Safi Kalo avait pour mission de promouvoir l'entrée en politique de Bahaa en tant que successeur de son frère cadet. Selon certaines informations, Walid Joumblatt aurait signifié à son interlocuteur la fin de la rencontre lorsque ce dernier a évoqué avec lui cette question.
Les chocolats et Saad Hariri
Après l'annonce de la démission surprise de Saad Hariri, le président Michel Aoun a réuni les acteurs du pays dans les différents secteurs. Dans la semaine du lundi 6 au vendredi 11 novembre, le chef de l'Etat a reçu les responsables des services de sécurité, des diplomates, des hommes politiques, des leaders de partis et des chefs de syndicats. La rencontre avec les acteurs économiques du pays a été l'une des plus animées. Pris de panique, certains responsables d'instances économiques ont rappelé qu'ils possédaient d'importants intérêts en Arabie saoudite et exprimé leurs craintes des mesures de rétorsion qui pourraient être prises par Riyad. Exaspéré, le président Aoun a lancé à l'un d'eux: «Une boîte de chocolat n'est quand même pas plus importante que Saad Hariri!»
Le «niet» de l'agence
Une source informée a révélé à Magazine qu'une grande agence de presse internationale, sollicitée pour recueillir une interview de Saad Hariri alors qu'il se trouvait à Riyad, a décliné l'offre. Les dirigeants de l'agence ont estimé non éthique de faire l'interview alors que des questions sont posées sur les circonstances entourant le séjour de Hariri en Arabie saoudite. Ce n'est qu'après le refus de l'agence que Paula Yaacoubian, qui se trouvait à Dubaï, a été chargée de la mission.
Gebran Bassil
Le ministre des Affaires étrangères a fait preuve d'un dynamisme hors pair en visitant en moins de trois jours sept capitales européennes, pour expliquer la position du Liban dans l'affaire Hariri. Empruntant tantôt l'avion tantôt le train, le chef de la diplomatie a sillonné l'Europe, allant de Paris à Moscou, en passant par Bruxelles, Londres, Berlin, Rome et Ankara. Certains observateurs ont souligné que ce périple rappelle le tour du monde effectué par Rafic Hariri en 1996, lors de la guerre israélienne contre le Liban.
Jamal al-Jarrah
Le ministre des Télécommunications a été un des rares responsables du Courant du Futur à accréditer la thèse de l'interception d'une tentative de brouillage «d'origine iranienne» du matériel électronique du convoi du Premier ministre Saad Hariri. Il a été fermement recadré par les dirigeants de son parti; qui ont mis l'accent sur la nécessité de se focaliser sur le retour de leur chef et d'ignorer toutes les autres questions.
Nettoyage au Futur
Parallèlement aux efforts politiques et diplomatiques déployés par le président Michel Aoun pour obtenir le retour au Liban de Saad Hariri, une autre bataille se déroulait dans l'ombre au sein du Courant du Futur (CDF). Les proches du Premier ministre s'efforçaient de colmater les brèches ouvertes par un certain nombre de ministres, députés et cadres du CDF, plus alignés sur la position de l'Arabie saoudite que sur celle de la direction du courant. Cette crise a permis à Saad Hariri de connaître ses vrais fidèles et d'identifier les «chevaux de Troie» implantés dans son plus proche entourage. Des sources informées affirment que le CDF va connaître prochainement une opération de nettoyage dans le but d'écarter toute personne jugée non loyale. Le secrétaire général du CDF, Ahmad Hariri, a indirectement confirmé lorsqu'il a dit, le 23 novembre dernier: «Chaque tournant politique s'accompagne d'un changement d'orientations et de l'équipe de travail».
Le grand manitou
Un spécialiste de la scène sunnite au Liban a déclaré à Magazine que l'authentique représentant de la vision du prince héritier d'Arabie saoudite, Mohammad Ben Salman, n'est «ni Achraf Rifi ni aucune autre personnalité politique connue du grand public». «Celui qui est dans le secret des dieux s'appelle Radwan es-Sayyed», dit-il. Cet académicien, détenteur d'un doctorat en théologie d'Al-Azhar et d'un doctorat en philosophie d'Allemagne, se chargerait d'expliquer et de véhiculer la «vision» saoudienne auprès des élites sunnites.
Candidats imperturbables
En dépit de la gravité de la crise que le Liban a traversé les trois premières semaines de novembre, certains candidats aux élections législatives ont poursuivi leur campagne comme si de rien n'était. Ils n'ont pas modifié d'un iota leurs programmes ni leurs discours, qui étaient totalement déphasés par rapport au drame qui risquait de plonger le Liban une nouvelle fois dans les affres de la guerre.
La bête noire de Thamer al-Sabhan
De tous les responsables du Courant du Futur et des personnalités entourant Saad Hariri, le plus honni par les Saoudiens serait Nader Hariri, le chef du cabinet du Premier ministre et fils aîné de la députée Bahia Hariri. Une source proche du parti plaisante que le ministre saoudien des Affaires du Golfe, également chargé du dossier libanais, Thamer al-Sabhan, «ne peut pas voir Nader en miniature». Les responsables saoudiens lui reprochent d'être l'artisan du compromis qui a mené Michel Aoun au Palais de Baabda et son cousin au Grand sérail. Une source beyrouthine indique qu'après sa démission, Saad Hariri a appelé son chef de cabinet pour lui demander de disparaître des radars et de ne faire aucune déclaration pour ne pas aggraver la situation.
Rifi: «influence exagérée»
«Nous avons toujours dit que l'influence et le poids réels d'Achraf Rifi sur la scène sunnite étaient exagérés, il s'agissait surtout d'un phénomène médiatique sans racines profondes». C'est ce qu'a déclaré à Magazine un député proche de Saad Hariri pour commenter l'échec de l'ancien ministre de la Justice à mobiliser la rue en faveur des Saoudiens, y compris dans sa ville de Tripoli. «Il n'a même pas été capable de protéger les portraits de MBS qu'il a fait accrocher», a ajouté le député.
Bahia Hariri, la gardienne du temple
De l'avis de ses amis et de ses adversaires, la députée Bahia Hariri a montré qu'elle avait des nerfs d'acier et de grandes qualités dans la gestion des crises. Selon des informations sûres, c'est l'intervention vigoureuse de la députée de Saida qui a empêché le Courant du Futur (CDF) de s'aligner totalement sur la position saoudienne, ce qui aurait eu pour conséquence de mettre un terme à la carrière politique de Saad Hariri. Après avoir compris que le Premier ministre était dans une situation anormale en Arabie saoudite, elle a bloqué toute discussion sur les raisons de la démission, se focalisant sur la nécessité d'obtenir le retour de son neveu à Beyrouth. Elle a réussi, avec l'aide du ministre Nouhad Machnouk, à mettre en minorité les faucons du CDF.