Magazine Le Mensuel

Nº 3085 du vendredi 5 janvier 2018

Cinéma en Salles general

Le grand écran au Liban. D’hier, d’aujourd’hui et de demain

Publié aux Editions Rawiya, l’ouvrage Le Cinéma au Liban, de Raphaël Millet, marque à la fois une première et une référence dans le monde du 7e art local. Il propose une vue d’ensemble prenante d’un cinéma, d’un pays, d’un devenir.

Que de choses peuvent être dites à propos du cinéma libanais, mais que peu de choses sont dites. Le cinéma au Liban de Raphaël Millet est là pour combler un vide. Certes, il y a quelques ouvrages et des travaux qui ont été écrits à ce sujet, et que Millet mentionne dans son introduction, mais, dit-il, «cette absence d’ensemble m’a conforté dans l’idée qu’il était nécessaire d’avoir une vision complète de l’histoire du cinéma au Liban… Si c’était le livre que je voulais lire, il fallait que je l’écrive».
Comme le suggère l’intitulé, il ne s’agit pas uniquement du cinéma libanais, puisque l’ouvrage fait mention de films étrangers tournés au Liban, comme intrinsèquement liés à son histoire cinématographique. Une histoire qui commence à la fin du XIXe siècle, en avril 1897, quand l’Italien Alexandre Promio, un des nombreux opérateurs cinématographiques envoyés aux quatre coins de la planète par les Frères Lumière, captura les premières images en mouvement de Beyrouth: «deux «plans Lumière» typiques, d’environ 40 à 50 secondes chacun (…) tournés au centre-ville, l’un Place des Canons, l’autre dans le Souk Abou Nasser».
Voilà une des nombreuses informations distillées dans l’ouvrage, que le lecteur s’empressera de compiler dans sa mémoire, et auxquelles il reviendra encore et encore. Des anecdotes, des dates, des faits marquants. 1929: Les Aventures d’Elias Mabrouk de Jordano Pidutti est considéré comme le 1er long-métrage de l’histoire du Liban; 1936, sortie en salles de la production inaugurale de la maison beyrouthine, Lumnar Film, fondée par Herta Gargour, Sous les ruines de Baalbeck, le 1er film parlant libanais, et apparemment le 1er long-métrage entièrement produit, filmé, et monté sur place. 1961, Beyrouth organise le 1er Festival international de film au Liban, l’un des tous premiers du genre dans le monde arabe. La liste est longue et fournie.

Un portrait du Liban
Minutieusement détaillé, en faits et en images, l’ouvrage s’inscrit dans une approche chronologique en toile de fond, avec la déclinaison progressive de quatre chapitres: «Les premiers temps», «Ce qu’on appelle l’âge d’or», «L’art de la survie», «L’art du renouveau». Chacun est introduit par une vue d’ensemble de la période concernée, tissé de correspondances à la fois historiques et thématiques, avant d’accorder des recoins divers à des figures de cinéastes, car «dans un pays où le cinéma n’existe pas vraiment en tant qu’industrie solidement constituée, ce sont les cinéastes qui ont été et restent encore la principale force d’impulsion», précise Millet. Si le lecteur d’aujourd’hui est familier avec les noms célèbres de son cinéma, c’est en revanche avec émerveillement qu’il découvrira les figures enfouies ou méconnues de son histoire, comme Ali al-Ariss, le premier réalisateur d’un film libanais, une figure burtonienne à la Ed Wood, Assia Dagher, pionnière du cinéma, ou encore le destin tragique de Christian Ghazi, ou même des genres facilement zappés, tels les films d’action…
Tout comme il sillonnera dans les dédales des circuits de distribution, des cinémas, des fondations: Rivoli, Royal, Majestic, Roxy, Opera, Dunia, Empire… Enfin, on perçoit une image d’ensemble d’une industrie toujours en devenir. Plus qu’un simple coup de projecteur sur le cinéma du pays, le livre de Millet propose «un portrait synthétique du Liban», à travers le prisme du 7e art, lui «donnant ainsi plus de visibilité sur la carte cinématographique mondiale».
D’hier, d’aujourd’hui et de demain, cet ouvrage de référence est une réflexion allant de l’avant. On referme le livre, avec l’envie de le relire, porté par cette phrase méditative d’Etel Adnan: «Beyrouth est trop préoccupé pour connaître la mer».

Entre les pages
Intercalés dans l’ouvrage, 11 conversations avec 11 figures du cinéma au Liban…
Mario Haddad: «Aujourd’hui, il faut absolument qu’on puisse absorber le trop-plein de cinémas en ville».
George Nasser: «Beaucoup de gens écrivent, certes, mais on n’écrit pas un scénario, on le construit…».
Mounir Maasri: « Le Liban a toujours souffert de deux maux majeurs: l’émigration et le manque de définition de son identité…».
Mohammed Souaid: «Je pense qu’il n’y a pas de «devoir de mémoire», mais au contraire qu’il existe «un devoir de fiction» tendant à rendre nos souvenirs plus durables».
Georges Schoucair: «Ce que les gens commencent à comprendre au Liban, c’est qu’il n’est pas possible de fonctionner seul dans l’industrie du cinéma».
 

Nayla Rached

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