On l’appelle le pays du miel et du lait. Pourtant, l’apiculture libanaise est encore très marginalisée. Où en est le développement de ce secteur? Quels sont les nouveaux acteurs? Quelles sont les difficultés auxquelles ils font face?
Le Liban est un des rares pays au monde où les abeilles se nourrissent de sources naturelles de nectar toute l’année, permettant une très grande variété de miel, explique Riad Saadé, président du CREAL, le Centre de recherches et d’études agricoles libanais.
«La diversité de climat et la biodiversité végétale particulières au Liban, permettent de produire trois types de miel différents sur trois saisons: le miel des zones côtières (les abeilles se nourrissent du pollen des fleurs d’agrumes), le miel noir de moyenne altitude et le miel des hautes montagnes (plus de 1 200m d’altitude)», détaille le chercheur.
Depuis quelques années, les ONG internationales s’intéressent à ce secteur, qui pourrait booster le développement des régions rurales dans tout le pays. En effet, l’apiculture est une activité lucrative qui nécessite peu d’investissement initial. «L’élevage d’abeilles est une occupation lucrative vu le faible investissement par ruche: 100 dollars environ, explique le chercheur, et les revenus escomptables, si l’apiculteur assure un rendement moyen de 20 kg par ruche, peuvent s’établir à 600 dollars par ruche dès la première année. Encore faut-il qu’il veuille bien s’en occuper», nuance-t-il.
C’est ce que confirme Roland Kaddoum, un nouvel acteur sur le marché du miel, qui précise que si le métier s’apprend facilement, deux ingrédients sont tout de même nécessaires pour réussir: la passion et le savoir-faire. «Nous traitons avec des créatures très sensibles que sont les abeilles, l’apiculteur doit donc veiller au grain et être là au risque d’encourir d’énormes pertes».
Nouveaux acteurs
Ces cinq dernières années ont été marquées par l’arrivée sur le marché de nouveaux acteurs et investisseurs. Roland Kaddoum va lancer le miel du Nazih. Ce médecin de profession voue depuis longtemps une véritable passion pour l’apiculture qui lui vient de son père, lui-même apiculteur. «Quand mon père est décédé, j’ai voulu reprendre son affaire et l’amener à un autre niveau, la faire évoluer, explique l’entrepreneur. Aujourd’hui nous avons environ 200 ruches et produisons quelques 900 kilos de miel annuellement.
Marc Antoine Bou Nassif a lui cofondé L’Atelier du miel en 2012, avec son frère et un ami également par passion. «Nous sommes tous les trois des passionnés de nature et ce fut une occasion pour nous de découvrir tout le territoire, les types de floraisons ainsi que les saisons. Nous avons ainsi créé la route du miel sur laquelle nous déplaçons nos ruches pour suivre les floraisons. Nous produisons de cette manière plus de 30 variétés de miel et permettons à nos abeilles de se nourrir toute l’année naturellement».
Obstacles au développement
Selon le ministère de l’Agriculture, cité par une enquête de la BlomInvest, le Liban compte sur son territoire environ 6 340 apiculteurs, qui possèdent 274 390 ruches. La production de miel fluctue au fil des années, en fonction de la météo et de l’écosystème. Dans les saisons de forte récolte, une ruche contenant 60 000 à 70 000 abeilles produit environ 50 kg de miel. Ce volume diminue à seulement 10 kg/ruche dans les mauvaises années.
Malgré les avantages compétitifs du Liban sur le secteur, les professionnels doivent faire face à de nombreux obstacles. Le premier étant, selon les sources interrogées par Magazine, la «concurrence déloyale» de produits de moindre qualité importés au Liban et vendus sous le label de miel local. «Des miels venus de Chine ou d’ailleurs sont vendus avec une appellation de haute qualité comme s’ils étaient récoltés au Liban», explique Roland Kaddoum.
C’est aussi ce que souligne le cofondadeur de L’Atelier du Miel. «Les obstacles principaux sont la contrefaçon et l’absence de réglementation. Aujourd’hui, n’importe qui peut inscrire le label qu’il souhaite sur son produit et le commercialiser comme un miel de qualité. Au niveau sanitaire, il n’existe pas non plus de permis sanitaire pour avoir des ruches et s’en occuper».
Autre obstacle souligné par l’entrepreneur, le manque de professionnalisme des apiculteurs qui exerce souvent cette profession en métier d’appoint. «Aujourd’hui, beaucoup d’entre eux pratiquent encore ce métier de façon marginale et désorganisée», explique-t-il.
C’est aussi ce que souligne le président du Creal. «Les apiculteurs, à quelques rares exceptions, ne maîtrisent pas les techniques d’élevage des abeilles, tant au niveau du choix des reines qu’à celui des soins et traitements des ruches, jusqu’à la récolte du miel. Ceci réduit la moyenne de production à près de 6 kg/an/ruche alors que la moyenne mondiale est de 20 kg/an/ruche», souligne-t-il.
Pour Marc Antoine Bou Nassif, «ce qu’il faut aujourd’hui pour redonner au Liban sa place sur le marché du miel, c’est un effort du gouvernement pour rajeunir le métier, le rendre tendance et le professionnaliser».
Soraya Hamdan