De passage au Salon du livre de Montréal pour présenter son dernier roman, Notre vie dans les forêts, (éditions P.O.L.), Magazine a rencontré Marie Darrieussecq, une femme qui n’a pas peur de forcer les mots et l’imagination pour faire réfléchir.
Notre vie dans les forêts. Un titre somme toute assez paisible. On penserait à une promenade bucolique, un paysage serein et une histoire entre amour et tension. Mais pas du tout. Dès les premières lignes du dernier ouvrage de Marie Darrieussecq, on est déstabilisé. On penserait ne rien comprendre avant que les événements ne prennent place et que l’effroi ne s’installe. «Le personnage ne sait pas vraiment ce qui lui arrive. Je fais confiance aux lecteurs et aux lectrices pour comprendre et imaginer ce qui lui arrive». Et c’est un peu le cas dans son roman Truismes (vendu à un million d’exemplaires et traduit dans une trentaine de langues).
Marie, l’héroïne au corps disloqué, vit avec son double, son clone, qu’elle appelle Viviane, qui lui garde jalousement ses membres de «rechange». Elle évolue dans un environnement sordide, mené par des «cliqueurs», ces personnages qui enseignent au robot à faire des associations. Pour échapper à ce monde déshumanisé, Marie et un groupe de résistants se réfugient dans la forêt d’où elle écrit, d’une façon saccadée, dans l’urgence, comme si la fin du monde était pour demain.
fable amusante. À la lecture du roman, ponctué de touches d’humour, un malaise s’installe. C’est le but recherché par celle que l’avenir de la planète inquiète. «Un roman, c’est une question posée, d’une façon si possible neuve, dans un récit qui soulève des questions. Qu’est-ce qui arrive à nos corps? Comment est-on surveillé? Pourquoi se laisse-t-on surveiller? Comment peut-on échapper à la surveillance? Qu’arrive-t-il à la planète? Aux forêts? Comment se déplace-t-on dans ce monde?». L’écriture de cette dystopie qui décrit un monde abject, n’a pas été sombre pour son auteure. Elle avoue même avec un rire sonore qu’elle s’est beaucoup amusée à écrire ce livre qu’elle a rédigé d’un trait, sans plan pré-établi. «C’est un livre très énergique, assez comique par moments. Cela m’a rendu euphorique. C’est une fable amusante. Un peu sinistre, mais c’est parce que le monde lui-même est sinistre et que notre avenir est là. C’est imminent. C’était pour moi un moyen de lutter contre mon angoisse».
Pas de leçon de morale, ni de conclusion péremptoire chez cette ancienne psychanalyste, auteure d’une vingtaine de livres, qui met non seulement ses pensées, mais aussi son imagination au service de sa plume et qui affirme avec bonheur: «J’adore l’âme humaine. Je ne m’en lasse pas. Mais ce qui me fascinait le plus dans la psychanalyse, c’étaient les rêves des gens. Tous les rêves se ressemblent mais chacun a une singularité inouïe. Les gens se ressemblent tous mais sont aussi absolument singuliers et ça je ne m’en lasse pas. Je le savais déjà, mais le fait d’être psychanalyste me l’a confirmé avec émerveillement. On a tous des chagrins d’amour, mais chacun a eu le sien, et ça, c’est merveilleux. La littérature peut arriver à rendre universel le chagrin d’amour, à essayer en tout cas, de parler à tous. C’est assez difficile, mais c’est vers ça qu’il faut tendre».
Gisèle Kayata Eid