Vous êtes né à Bagdad, où vous avez vécu jusqu’à l’âge de 10 ans, puis à Beyrouth, de 1969 à 1975, avant de vous installer en France. Vous avez des racines chypriotes, grecques, arméniennes, libanaises, françaises. Comment ce mélange de culture a-t-il façonné votre vision des choses? Quels souvenirs gardez-vous de Beyrouth ?
Quand on me demande «D’où venez-vous?», je réponds de la Méditerranée, c’est là le point commun entre ces différentes cultures qui, au fond, ne sont pas très différentes. Ma vision des choses, c’est que la vie est plus belle avec de l’huile d’olive. Mes souvenirs de Beyrouth? Ma grand-mère et son petit balcon d’où je voyais, la nuit, clignoter les lumières des barques de pêcheurs et les voitures rouler vers la montagne; le Saint Georges (elle habitait juste en face); Achrafié où nous vivions avec mon frère et mes parents, l’entrée du collège de Nazareth où j’attendais le bus du ramassage scolaire qui nous transportait jusqu’à Jamhour. Tous les matins, j’espérais que le car ait du retard… Le vendeur ambulant qui hurlait «Alalamiiinioo» en passant dans la rue en bas de chez nous et mon frère qui hurlait en retour pour qu’il ferme sa gueule; les premières roquettes et surtout celle qui a explosé sur le balcon du salon suivi d’un souffle et d’une belle lumière bleue.
Comment votre approche du dessin a-t-elle évoluée, notamment par rapport à l’évolution de la BD elle-même?
Je me sens dessinateur depuis quelques années, alors qu’avant je me considérais beaucoup plus comme un auteur de bandes dessinées. Sinon, je trouve que la bande dessinée est plus intéressante aujourd’hui qu’auparavant, tant du point de vue narratif que graphique, et ça me pousse à écrire et dessiner autrement.
Monsieur Jean, Henriette, ni des super-héros, ni des anti-héros. Comment des gens du quotidien deviennent-ils des personnages de BD à succès?
Je crois que le cinéma, la littérature et la musique des années 60 et 70 ont développé cette typologie de l’anti-héros (Woody Allen, Bob Dylan, François Truffaut, Charles Bukowski, etc.). Nous avons, Philippe Dupuy et moi, transposé cette approche dans la bande dessinée, influencés par Gotlib, Robert Crumb, Martin Veyron, Jean-C. Denis et Petit Roulet.
Vous avez longtemps collaboré avec Philippe Dupuy avant de vous consacrer à un travail en solo et diversifié, touchant la musique, la philosophie… Quels sont les avantages de l’un et de l’autre?
Il y a des avantages et des inconvénients dans les deux cas. Le fait d’être seul maître à bord me permet toutefois d’évoluer selon mes envies. Ma seule convenance et, finalement, ce n’est pas plus compliqué de porter tout seul le poids de ses erreurs ou de ses échecs, qui en plus, dans notre métier, ne sont pas très graves. Nous sommes dans une économie tellement restreinte que les déconvenues sont, au pire, vexantes et toujours bénignes.
Connaissez-vous la BD arabe? Quel regard portez-vous dessus?
J’essaie de lire le dernier numéro de Samandal en arabe. C’est excitant et compliqué à la fois. La typographie arabe est tellement belle que c’est une valeur ajoutée graphiquement. J’apprécie énormément les ouvrages de Mazen Kerbaj, Zeina Abirached et Lamia Ziadé.
Vous venez au Liban pour animer des ateliers de travail avec les étudiants de l’Alba (Académie libanaise des beaux-arts). Quels conseils donneriez-vous à un jeune dessinateur?
Apprenez à et prenez le temps de lire vos contrats.
Nayla Rached