Magazine Le Mensuel

Nº 3087 du vendredi 2 mars 2018

Cinéma en Salles

Ghada al-Eid de Lucien Bourjeily. «Le travail artistique ne s’achève qu’avec le public»

Connu essentiellement comme homme de théâtre, Lucien Bourjeily signe, avec Heaven without people, son premier long-métrage, à l’écriture et à la réalisation. Prix spécial du Jury au dernier Festival International de Dubaï, Ghadaal-eid est sur les grands écrans du pays. Entretien.

Ghada al-eid tonne comme un huis-clos…
Oui, c’est un huis-clos. Dans mon travail, j’essaie généralement de choisir la meilleure méthodologie pour que l’histoire arrive de la meilleure manière possible auprès du public. Dans celle-ci en particulier, j’ai senti que le format du huis-clos était le mieux adapté. C’est l’histoire d’une famille libanaise, le premier microcosme, la première institution dans tout pays, à travers laquelle on peut comprendre le pays. Je suis très content que des étrangers aient pu sentir une connexion avec cette famille, de manière intime, mais aussi politique et sociale, tout comme un Libanais peut le faire. Ils ont perçu à quel point les relations humaines au sein de cette famille étaient authentiques. Le film se déroule dans la maison familiale, un espace clos, fermé, un foyer, afin que les personnages se comportent entre eux de manière naturelle, qu’ils soient à l’aise pour parler, pour avouer. D’ailleurs, la dynamique de la maison, la psychologie des personnages changent à chaque fois que les gens entrent ou sortent de la maison; le huis-clos influe aussi sur ceux qui s’y trouvent. C’est aussi un huis-clos au niveau du temps: l’histoire se déroule sur 1h30 et le film est d’1h30.

Vous avez choisi de filmer caméra à la main. Pourquoi?
 Ça aurait été tellement plus facile d’installer un trépied et de filmer. Mais dès qu’on met un trépied, l’effet sur le public s’en ressent, on perd la spontanéité du texte; une spontanéité construite, qui a pris beaucoup de travail et d’effort, comme une partition musicale où les dialogues s’entrecroisent et s’interpénètrent. Ça nous a pris également des semaines de répétition pour créer cet effet de spontanéité, de documentaire, avant que la caméra n’entre en action. La caméra, durant tous les jours de tournage, avait essentiellement une fonction: qu’on sente que le caméraman ne sait pas ce qui va se passer, tout comme le spectateur, comme s’il suivait les personnages et l’action, et qu’au moment même il réagissait. La caméra devait toujours apparaitre comme si elle réagissait avec l’instant. C’est un choix artistique pour donner plus de réalité.

Tous les choix ont donc été fait dans le sens de la spontanéité, même celui des acteurs non connus?
Parmi les acteurs du film, il y des comédiens de théâtre, il y a d’autres qui avaient déjà suivi avec moi des ateliers de théâtre, et il y a finalement ceux qui n’avaient jamais joué auparavant. A partir de là, j’ai fait avec eux des workshops, comme une partie intégrale du travail. Ca a créé une balance, ils se sont entraidés, je les ai aidés. On a même travaillé avec l’espace, pour qu’ils se l’approprient, qu’ils sentent que c’est une maison, leur maison, et non un studio, qu’elle a son esprit, son âme.
Je voulais des acteurs qui ne soient pas connus pour garder ce même effet d’authenticité. Le public ne les connaît pas, ne connaît pas leur vie. C’est pour cette raison aussi que nous n’avons pas mis leurs noms au générique du début. D’ailleurs, certains spectateurs m’ont demandé à la fin de la projection, si les acteurs étaient effectivement des membres d’une même famille. Pour moi, c’est une réalisation en soi. Le travail artistique ne s’achève qu’avec le public.

Parlez-nous du processus d’écriture.
Pour moi, le plus important c’est l’histoire. J’avais une histoire que je voulais raconter. Le travail d’écriture a pris 6 mois, mais il y a des années de prises de notes. Il y a des idées qui ont trouvé leur place dans le film, d’autres non. D’autres encore ont été coupées au montage.
Je n’essaie pas de résumer le Liban. C’est une famille particulière qui possède ses spécificités. Il y a plusieurs familles, situations et histoires entendues qui m’ont inspirées au fil des ans. Toutes les situations sont réalistes, j’y tenais. Il y a des situations courantes, d’autres plus rares, d’autres encore sont improbables, mais elles se sont toutes passées dans la vie. Dans la construction du texte, une situation induit l’autre, un dialogue entraîne l’autre, comme un effet domino, qui renforce justement ce réalisme.

Nayla Rached

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