A ceux qui pourraient penser que la littérature est désuète, et n’apporte pas vraiment de perspectives professionnelles, Karl Akiki, chef du Département des Lettres françaises de l’USJ, leur lance «Détrompez-vous». Car les études en lettres françaises font aujourd’hui leur entrée sur le marché du travail.
En quoi consistent les études en lettres françaises?
Elles portent, d’emblée, sur l’étude des textes issus de la littérature française et francophone. L’étudiant, à la manière d’un chirurgien, dissèque le support dont il a la charge afin d’en faire ressortir tout le caché. Celui-ci peut être d’ordre psychanalytique, philosophique, sociologique, historique etc.: puisque la littérature fait partie des sciences humaines, elle renseigne d’abord sur l’humain par diverses approches. À un autre niveau, ces études s’intéressent également aux arts (peinture, sculpture, cinéma, musique, bandes dessinées…) avec lesquels la littérature entretient des relations étroites. Et, pour finir, ces études permettent à l’étudiant de développer des capacités de création tant à l’oral qu’à l’écrit puisqu’il est appelé à produire des supports divers.
Quelles sont les nouveautés dans ce domaine?
Le monde du XXIème siècle est avant tout numérique. La littérature n’est pas en reste puisqu’elle suit cette mouvance mondiale et s’intéresse à l’univers digital qu’elle commence à appréhender. Cela permet la création de nouveaux genres littéraires, de nouvelles approches, de nouvelles façons d’écrire. On parle donc de littérature numérique, d’humanités digitales ou de e-littératures.
On remarque aussi que la littérature s’empare du visuel. Au siècle dernier, elle flirtait avec le cinéma puisque de nombreux films étaient adaptés de romans. Aujourd’hui, l’inverse se produit puisque les techniques d’écriture littéraires sont réutilisées par la télévision et un rapport très intime se crée entre les lettres et les séries télés.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il existe aujourd’hui une riche veine de création littéraire: les auteurs se surpassent pour donner naissance à des œuvres novatrices qui renvoient une image du terrain. L’on peut penser, par exemple, à toute cette littérature francophone postcoloniale qui interroge son passé et son présent ainsi que son rapport au français et à la France.
Pourquoi faire des études en lettres françaises? Pourquoi dit-on qu’il s’agit de formation «en voie de disparition»?
Il s’agit d’abord d’une passion: on entre dans les lettres comme on entre dans les ordres, par vocation. Mais si l’on devait être plus pragmatique, plus terre à terre, on pourrait dire par besoin. Le besoin du marché. Ce dernier est saturé de médecins, d’avocats, d’ingénieurs: il est en recherche perpétuelle de personnes ayant suivi un parcours en sciences humaines. Cette formation permet d’avoir une façon de penser non formatée, qui ne peut, en aucun cas, être remplacée par une intelligence artificielle. Cette formation n’est pas en voie de disparition. Elle attire moins cette nouvelle génération qui veut tout tout de suite mais elle ne disparaîtra pas. De nombreux parents pensent à tort que la littérature ne nourrit pas son homme: détrompez-vous!
Quels débouchés aux niveaux local, régional et international?
Il est clair que l’enseignement scolaire est le premier débouché auquel l’on pense. Et, il faut le savoir, aux niveaux local, régional et international, de nombreux établissements sont à la recherche de profs de français et de littérature compétents, devenus une denrée rare. Il en est de même pour l’enseignement universitaire qui propose une plus grande ouverture à l’international puisque le monde académique littéraire est en pleine effervescence. Mais la littérature mène à d’autres horizons également. Les métiers d’éditeurs, de journalistes, de copywriters, de correcteurs, d’attachés de presse font partie des débouchés possibles. Et, d’une manière plus vaste, le monde de l’art s’appuie de plus en plus sur des personnes ayant suivi des études de lettres: critique d’art, scénariste, producteurs télés etc.
Quelles sont les qualités personnelles et professionnelles nécessaires pour intégrer cette formation?
Il faut, d’abord, avoir un amour des mots, des phrases et posséder une bonne maîtrise d’une ou plusieurs langues. Il faut également faire preuve de beaucoup de patience puisque l’analyse des supports littéraires et artistique nécessite une méticulosité sans pareille. Mais, il faut surtout faire montre de curiosité.
Des conseils pour réussir sa formation?
Garder intact le feu intérieur qui a poussé à une inscription en Lettres. S’implanter dans le monde réel au lieu de s’enfermer dans une tour d’ivoire littéraire qui ne s’intéresse qu’aux morts. Ôter ses œillères et se diversifier pour voir que la littérature peut se mêler de tout… même d’économie.
Que diriez-vous aux parents, inquiets de voir leurs enfants s’engager dans cette voie?
Un message traditionnel et cent fois répété: laissez vos enfants suivre la voie qu’ils souhaitent. C’est en aimant son métier qu’on y excelle. Quant aux élèves: osez vous démarquer!
Natasha Metni Torbey