Magazine Le Mensuel

Nº 3089 du vendredi 4 mai 2018

Supplément

Réforme du système éducatif. S’inspirer du modèle suisse

Lors d’un dîner-débat organisé par le club Rotary de Baabda, la problématique a été soulevée par l’ancien ambassadeur de Suisse au Liban François Barras, le président de l’Association des industriels au Liban (AIL) Fady Gemayel, et le chef d’une entreprise d’informatique de gestion et rotarien, Joe Hatem.
 

Les intervenants ont proposé que les dynamiques de l’éducation et du marché du travail locales s’inspirent de celles du modèle suisse qui a fait ses preuves. Le chômage dans la Confédération helvétique est à moins de 3%, un taux significativement moins élevé que de celui ses voisins, la France ou l’Italie. Le système éducatif en Suisse a pour pilier fondamental le programme d’apprentissage technique en milieu scolaire et les universités de sciences appliquées. Quelles sont les bases de ce système?
François Barras considère qu’il est possible d’enclencher une croissance économique en réformant le système éducatif libanais de manière à enregistrer un recul drastique du chômage. Il établit une comparaison entre l’activité économique fébrile dans son pays et le ralentissement qui caractérise celle-ci au Liban, faisant référence à la proportion de 12% des jeunes Suisses qui se tournent vers de hautes études universitaires et celui de près de 100% ambitionné par les Libanais. Cet écart dans les chiffres reflète une distorsion du marché du travail local qui est peu flexible et connait des difficultés d’adaptation. D’où l’émigration des cerveaux et le manque de personnes ayant des compétences techniques. Le diplomate affirme que la perméabilité entre les filières professionnelles et les filières académiques joue un rôle primordial dans le système de formation suisse.

250 métiers
Il explique qu’un jeune qui commence un apprentissage à 16 ans pourra facilement changer d’avis deux ou trois ans plus tard et reprendre un cursus universitaire. D’après l’ancien ambassadeur, il existe près de 250 corps de métier qui embauchent des apprentis dans le cadre de la formation professionnelle en milieu scolaire. L’apprenti travaille trois jours par semaine et suis une formation technique pendant une journée et demi. Les cours sont mis en place par les associations professionnelles et non l’éducation nationale, ce qui permet à l’apprenti de trouver rapidement un emploi vu sa formation de bonne qualité.
Après obtention d’un baccalauréat professionnel, le diplômé soit continue à travailler et progresser, soit s’inscrit dans l’une des universités suisses suisses de sciences appliquées, affiliée à un réseau très large. François Barras insiste que la formation professionnelle ou technique n’empêche pas un diplômé de devenir ministre, donnant l’exemple de l’ancien ministre suisse de l’Education, qui est venu au Liban il y a quelques années, ainsi que ceux des Pdg de Nestlé et UBS. Le secret de la réussite du modèle suisse réside dans le partenariat étroit entre l’économie et l’éducation. Dans la Confédération helvétique, l’éducation est une affaire nationale et le secrétariat d’Etat pour l’Education est intégré au ministère de l’Economie. L’ancien diplomate rappelle que la société libanaise doit changer de mentalité et de culture pour réussir à faire bouger le marché du travail, en se faisant un point d’honneur d’améliorer la formation technique et professionnelle des jeunes Libanais. Il relève une contradiction auprès des Libanais qui se précipitent pour placer leurs progénitures à l’école hôtelière de Lausanne, dont le cursus est plus proche de l’éducation technique que du système éducatif français ou américain.
Industriels coopératifs. Le président de l’AIL, Fady Gemayel, souligne à son tour que le secteur industriel a un grand besoin d’apprentis ayant une solide formation technique et professionnelle, alors que de telles formations ne sont pas assez développées. D’après lui, c’est toute une mentalité et une culture à modifier puisque les Libanais ont honte de déclarer que leurs progénitures ont choisi une filière technique. L’industrie libanaise n’est pas compétitive vu ses coûts de production élevés et doit miser sur l’innovation, la valeur ajoutée et la qualité, qui est le label des produits industriels suisses. Fady Gemayel dévoile que les industriels libanais planchent sur la mise en œuvre du modèle suisse qui profite tant à l’apprenti qu’au patronat. Il fait référence à l’entreprise Mitsulift, qui a passé un accord avec la CNAM Liban. Cette dernière est en train de former 27 apprentis qui seront recrutés par la boîte une fois leur éducation achevée. Il fait également allusion à la fondation Joseph Gemayel, qui sponsorise 207 étudiants qui préparent un DESS en technologie du papier à l’Université libanaise en coopération avec l’Université de Grenoble. Les diplômés seront embauchés par l’entreprise industrielle de Gemayel Frères pour le papier. Aussi est-il nécessaire de souligner que l’industrie locale a fait des avancées importantes puisque les transformateurs utilisés à Eurodisney portent la marque Matelec et sont de fabrication libanaise. Tout comme la présence de l’industrie libanaise dans le secteur de l’argenterie. Celle-ci fabrique sous licence, entre autres, des produits de la marque connue Tiffany.
 
Témoignage personnel
Joe Hatem, co-fondateur d’une société de gestion d’informatique et membre du Rotary club de Baabda, témoigne de sa propre expérience, ou sa micro-vision de la formation technique.Après avoir échoué le baccalauréat académique 1ère partie, il s’inscrit contre l’avis de ses parents à l’école technique de Sanayé, à Dekwaneh. Deux plus tard, il obtient son certificat et commence à travailler. Il se rend compte après un an de travail sur le terrain qu’«il y a une limite à ce jeu» par rapport à ses ambitions. Il reprend le chemin de l’université et décroche un diplôme de génie.
«Je peux vous garantir qu’en salle de classe, j’étais le seul étudiant à comprendre sur le champ les tenants et aboutissants de ce que le professeur expliquait en écrivant les équations au tableau», dit-il. Joe Hatem a plaidé pour une réforme du système éducatif au Liban en s’inspirant du modèle suisse et pour l’abolition du préjugé de la honte de voir ses enfants se rendre dans une école technique. «Ce n’est pas la fin du monde, c’est plutôt la reprise de l’économie», conclut-il.

Liliane Mokbel

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