Magazine Le Mensuel

Nº 3092 du vendredi 3 août 2018

Portrait

Pierre Karam. La recherche au service du bien-être

Sélectionné par le World Economic Forum parmi les 50 extraordinary scientists de moins de 40 ans dans le monde, le Dr Pierre Karam participera en septembre prochain à la 12ème édition de cette manifestation annuelle, en Chine, à Tianjin.
 

Au départ, entre Pierre Karam et la chimie, il n’y avait aucune alchimie. «A l’école, j’étais bon dans toutes les matières à part la chimie. Ce n’est qu’en classe de Seconde que cette matière nous a été enseignée avec beaucoup de simplicité et que j’ai commencé à l’aimer après avoir obtenu une première bonne note. Mais c’est en Terminale que j’en suis tombé amoureux grâce à M. Boueiri, qui m’en a transmis le goût. Je me suis rendu compte de l’importance de la chimie dans notre vie quotidienne».
Après un premier diplôme en chimie obtenu à la LAU grâce à une bourse d’études, où son professeur Ahmad Kabbani l’introduit au monde de la recherche, c’est à l’Université américaine de Beyrouth (AUB) qu’il obtient son master. «Auprès du Dr Lara Halaoui, j’ai appris comment mener une recherche, comment réaliser une expérience, l’analyser et en conclure des faits scientifiques. Elle a construit ma façon de penser, m’a appris comment approcher un problème scientifique, en retirer la data et l’analyser».
A la McGill University, au Canada, Pierre Karam poursuit son PhD. Il travaille sur le virus de l’hépatite C. «Il n’existait aucun traitement pou l’hépatite C. Notre étude concernait la manière d’agir du virus. Nous avons même expérimenté quelques médicaments qui ont permis de mettre un terme à cette maladie», souligne le Dr Karam. En 2009, il obtient pour ses travaux un prix prestigieux, le Young Investigator Award, décerné par le Forum International pour l’hépatite C. «Ce prix est octroyé à quelqu’un qui a fait une percée majeure dans le traitement de cette maladie», explique-t-il. En février 2010, il reçoit un autre prix, le Student Achievement Award, de la Bio Physical Society, une très grande conférence à laquelle assistent plus de 50 000 personnes à San Francisco.

Dans la recherche
A la suite de son PhD, Pierre Karam obtient un post-doctorat de l’université de Berkeley. «Cette formation a changé ma perspective concernant la recherche et la manière de la mener à terme. Auparavant, elle se limitait pour moi au niveau du laboratoire. A Berkeley, j’ai rencontré des personnes qui transposent leurs recherches du laboratoire au monde extérieur. Cette conception a élargi mon horizon. Il fallait désormais penser au moyen de faire bénéficier la société de mes recherches».  
Fort de ses diplômes prestigieux, de ses multiples récompenses et de son expérience, âgé seulement de 28 ans, Pierre Karam décide de rentrer au Liban, malgré les multiples offres alléchantes qu’il reçoit, pour occuper le poste de Assistant Professor of Chemistry à l’AUB. «J’ai choisi de rentrer parce que les autres pays n’ont pas besoin de quelqu’un comme moi. Par contre, au Liban, je pouvais faire la différence». Auprès de ses étudiants, Pierre Karam introduit une nouvelle approche critique de penser et de réfléchir. «La société a procédé à un lavage de cerveau auprès de toute une génération, la poussant à croire qu’il fallait suivre un leader politique, ou un chef spirituel pour réussir. Nous n’avons pas appris à demander des comptes aux responsables sur leur gestion. C’est en poussant les étudiants à réfléchir sur les réalisations des responsables que nous pouvons surmonter cette situation. J’ai appris à mes étudiants à ne pas être d’accord avec moi et à utiliser les arguments de manière objective. Je leur apprends à donner leur opinion quelles que soient leurs convictions. Ceci me rend très fier. De cette manière, j’ai la chance de pouvoir apporter un changement dans notre société».
Le chimiste tente de convaincre tous ces jeunes qui rêvent d’autres horizons, qu’ailleurs l’herbe n’est pas forcément plus verte qu’au Liban. «Je peux vous assurer qu’aucun Libanais n’est pleinement heureux à l’étranger. Ils ont tous la nostalgie du pays, de la famille et des amis». S’il n’ignore pas la qualité du niveau de vie qui existe à l’étranger, il reste convaincu que les Libanais sont à blâmer eux-mêmes pour la situation dans laquelle ils se trouvent. «Malgré tout, je reste optimiste pour l’avenir et je garde espoir. On peut commencer le changement au niveau des jeunes. Si je réussis à modifier la manière de penser d’un seul étudiant, j’estime avoir accompli ma mission».
Action associative. Depuis son retour, Pierre Karam rassemble toute son expérience et son savoir pour contribuer au bien-être de la société. «Au niveau de la recherche, j’ai réalisé que nous souffrons de la pollution bactérienne de l’eau. Pour détecter si l’eau est contaminée ou pas, cela nécessite deux jours selon les procédés normaux. Mais lorsqu’il s’agit de boire, nous avons besoin d’une réponse immédiate. C’est ainsi que j’ai pensé qu’il fallait utiliser mes recherches pour mettre au point un système de détection rapide de la pollution de l’eau. Une partie de mes recherches est centrée sur la détection des marqueurs génétiques en utilisant des téléphones portables. C’est comme cela que j’ai eu l’opportunité d’adapter le système pour détecter des bactéries spécifiques dans l’eau potable». Le chimiste crée alors une application qui permet de déterminer la présence et le type de bactéries qui se trouvent dans l’eau. «Le problème se situe au niveau du financement de l’application ainsi que de la partie optique et chimique». Le chercheur relève le manque de compréhension de l’importance de l’impact de la science sur la vie du citoyen. «Les gens ont peur de la chimie et craignent les produits chimiques alors qu’il existe des produits naturels nocifs, tels que le venin du serpent».
Dans son souci de servir la communauté, Pierre Karam fonde avec le Dr Joseph Estephan (LAU) et le Dr Ghada Kadamani (Balamand) une ONG baptisée Ilmé élmak. «Notre but est d’identifier un problème de santé et de réaliser une expérience en vue d’y sensibiliser le public. Les expériences scientifiques ne sont pas étrangères de la vie quotidienne. Par exemple, une bouteille d’eau en plastique peut paraître propre mais en réalité elle peut contenir des bactéries».  
L’objectif du World Economic Forum, qui réunit les hommes de sciences ainsi que de grandes figures politiques mondiales, est d’identifier un problème auquel l’humanité entière fait face. «Une solution à ce problème est proposée par cette assemblée composée de personnalités du monde politique, scientifique, économique et financier. Un suivi des solutions proposées devrait être assuré pour les deux prochaines années, au bout desquelles on se retrouve pour présenter une solution. Durant ces deux années, le World Economic Forum va supporter des projets locaux que nous suggérons».
Pierre Karam espère trouver le financement pour le développement de son application sur le niveau de pollution de l’eau et élargir l’activité de l’ONG dont il fait partie. Sa sélection par le World Economic Forum est une source de fierté.
«Cette reconnaissance du travail que j’effectue au Liban vient confirmer que le niveau de nos recherches est d’envergure internationale. «Notre but est d’éduquer les gens et d’offrir des solutions».

Joëlle Seif

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