Représentant l’Irak aux Oscars, The Journey, le troisième long-métrage de Mohamad al-Daradji, emmène le spectateur derrière la réalité d’une jeune femme terroriste, vers l’Homme loin de toute idéologie ou politique. Rencontre.
Alors qu’il tournait à Bagdad son deuxième long-métrage de fiction, en 2007-2008, Mohamad al-Daradji tombe dans le journal sur l’histoire d’une jeune femme qui avait voulu se faire exploser dans un centre de police, avant de changer d’avis au dernier moment. Sur l’image accompagnant l’article, la jeune femme apparaît nue, attachée sur la vitrine du centre de police alors qu’un policier tente de désamorcer l’explosif. «J’ai vu la peur dans ses yeux, et dans ceux du policier, ajoute Mohamad al-Daradji. L’image m’est restée en tête. Comment une femme, victime de la guerre, devient-elle bourreau?» C’est le point de départ du film The Journey.
Porté par l’Homme
Bagdad, décembre 2006. Dans la gare de la ville, se déploie un microcosme de l’Irak, et même «un microcosme du Proche-Orient», ajoute Mohamad al-Daradji. Tous les personnages se révèlent à mesure que Sara entre en contact avec eux. Sara qui est venue dans cette gare, ceinturée d’explosifs en vue de commettre un attentat suicide. Au moment où un homme de la rue, Salam, escroc, voleur et charmeur, dévoile son plan funeste, il est entraîné malgré lui dans une quête d’humanité. L’humain, l’Homme est d’ailleurs le seul parti pris de Mohamad al-Daradji dans sa démarche cinématographique. «En Irak, en raison de toute la violence qu’on a vécue, l’homme est devenu l’équivalent d’un chiffre, tout comme aujourd’hui en Syrie. Mais cet homme encerclé, ce réfugié, qui est-il?».
Pas de dimension politique dans son œuvre, pas d’intérêt non plus dans l’idéologie et les slogans, c’est l’homme qui le porte. D’ailleurs, face à la pensée extrémiste, il a placé un homme de la rue, un escroc, un être humain au-delà de tout. «J’ai travaillé sur le concept que chaque personnage est à la fois bourreau et victime, c’est la nature humaine». Même Sara, la kamikaze, est tout autant victime que bourreau.
Pourtant au départ, ça n’était pas le cas. «Dans les premières moutures du film, j’étais sévère envers la femme kamikaze, comme si c’était une revanche», jusqu’en 2011, où il a eu l’occasion d’entrer dans la prison des femmes terroristes. «J’en ai rencontré quelques-unes, dont l’une très belle et qui ne cillait pas; alors que les autres avaient le regard fuyant, elle, elle regardait droit dans les yeux, et elle me parlait de son expérience. J’ai été étonné, elle pouvait tout aussi bien être une amie, une sœur. Je pensais qu’elle était dépourvue de toute humanité, qu’elle était juste une machine à tuer, à force de les voir comme tels en Irak».
A Bagdad, le cinéma renaît
The journey est le premier film irakien à jouir d’une sortie commerciale en Irak, depuis plus de 27 ans que les salles de cinéma étaient fermées. Avec à son actif six longs-métrages, Mohamad el-Daradji est un des réalisateurs irakiens les plus connus sur la scène internationale, un des pionniers de la renaissance du cinéma irakien. Après 2003, le cinéma irakien connaît ses premiers balbutiements grâce à des initiatives privées, menée par Mohamad el-Daradji et des collègues cinéastes, jusqu’à la création en 2009, de l’Iraqi Independent Film Center, qui s’occupe de l’apprentissage cinématographique des jeunes, du développement du cinéma, de la production et même de la création d’un fonds dédié au cinéma. Loin d’être encore une véritable industrie, le cinéma irakien continue à se développer progressivement, se préoccupant essentiellement de sujets relatifs à l’histoire du pays, l’invasion, la guerre, le règne de Saddam, Daech…
NAYLA RACHED