Magazine Le Mensuel

Nº 3095 du vendredi 2 novembre 2018

Ils ont réussi

Curious Red. Une chaussure à la conquête du monde

Trois jeunes Libanais développent Maku, une sandale technique et esthétique, qui fait un tabac international grâce à la Toile et à une campagne de crowdfunding menée de main de maître. La marque promet une histoire à suivre.


«La nécessité est la mère de l’invention», dit le dicton. William Choukeir, designer produits, consultant pour différentes marques et entreprises et passionné de course à pied, souffre de maux de genoux à force de kilomètres parcourus. Il tente de se soigner en marchant pieds nus, revenant à une solution ancestrale. Sans succès. C’est au fil de ses recherches qu’il tombe sur le livre Born to run. Un ouvrage qui  parle des Tarahumara, une tribu indienne, réputée pour marcher et courir des kilomètres dans la Sierra Madre au Nord du Mexique, sur un terrain très difficile avec des sandales particulières très fines, les Huaraches, déconstruisant le mythe de la chaussure à air et à la semelle épaisse, laquelle ne fait qu’atrophier les muscles des pieds. Séduit, William décide de se fabriquer une sandale inspirée du design Huaraches. D’autant que les bienfaits de ce design pour ce qui est du renforcement des ligaments et des muscles du pied, sont confortés par des études récentes réalisées par les universités de Harvard et d’Oxford.
Quelque temps plus tard, la première sandale rompt. William Choukeir se retourne vers le marché, et s’aperçoit que tout ce qu’il achète ne lui convient pas. Deuxième tentative personnelle de ses propres mains, améliorant le design et la durabilité de la chaussure. Sa compagne Hanane bénéficie elle aussi d’une paire, puis ses amis, comme David el-Achkar, entrepreneur et consultant avec qui il partage le goût des voyages et du plein air. Arpentant les villes avec leurs sandales Maku, les trois mousquetaires et leurs amis sont souvent interpelés dans la rue à propos de leurs chaussures.
Ils réalisent alors qu’il y a peut-être une possibilité de business. Hanane Kai, illustratrice passionnée et talentueuse, se joint à William dans l’aventure pour en faire une marque. Elle s’occupe du branding, de l’identité et de la communication visuelle. Quant à David, il prend en charge les opérations, y compris la logistique et la gestion des  contrats.
Le designer peaufine son invention, essai après essai, recherche après recherche, etc.  Trente-sept essais et cinq ans plus tard, il estime avoir la bonne chaussure. Si les trois mousquetaires ont du souffle, les matériaux venant de plusieurs pays, et les premières paires confectionnées à la main nécessitant 4 heures de travail chacune, ils réalisent qu’ils doivent procéder autrement s’ils veulent les commercialiser. D’autant qu’ils veulent lancer une campagne de crowdfunding pour valider leur concept, tout en préfinançant les ventes.  
Ils s’attellent durant tout l’été 2016 à préparer la campagne par eux-mêmes et engagent deux jeunes Libanais pour la production de la vidéo: un directeur artistique et un cameraman. Lancée en septembre la campagne, ambitionne de lever 20 000 $, un objectif atteint en quatre heures et très vite dépassé pour atteindre les 40 000$ en huit heures et 90 000$ en un mois. Le succès est phénoménal. La campagne ayant une durée de vie d’un mois sur Kickstarter, ils la poursuivent sur Indiegogo, passivement pour 10 000$, ce site n’imposant pas de limite temporelle à la campagne. Les fonds proviennent de partout: 60% des Etats-Unis, 13% du Liban et le reste depuis vingt pays du reste du monde, du Brésil à Singapour en passant par l’Allemagne ou le Royaume-Uni.
A la suite de ce succès, les trois entrepreneurs décident de se structurer et de s’institutionnaliser, se projetant alors dans l’avenir. La société est inscrite aux Etats Unis, les avantages étant plus nombreux qu’au Liban: accès plus large aux services bancaires, plus grande flexibilité de la structure actionnariale et facilité bien plus grande à lever des fonds, sachant au demeurant que Kickstarter ne travaille pas avec des sociétés libanaises. Pour pouvoir s’adresser à des investisseurs internationaux, il vaut mieux être inscrit aux Etats-Unis, surtout par les temps qui courent. Les trois partenaires ont ensuite dû trouver le bon fabricant et partenaire d’assemblage. Une démarche qui a nécessité du temps, au vu de la complexité de la chaussure qui vise la résolution de plusieurs équations à la fois: ajustabilité individuelle grâce à la lanière, absorption des chocs, protection de la cheville, flexibilité totale, stabilité, fraîcheur et confort. Curious Red a choisi de mettre au point sa propre recette de caoutchouc adapté à cette chaussure aux spécificités multiples. Les lacets sont aussi faits sur mesure pour Curious Red en Europe. Et, c’est en Chine que les entrepreneurs supervisent actuellement la production du premier lot qui devrait arriver sur le marché d’ici un mois.
Le concept de chaussure s’adresse aussi bien aux sportifs qu’aux citadins, jeunes et moins jeunes, à ceux qui l’achètent pour la performance ou pour l’esthétique, ou encore ceux qui souffrent de problèmes particuliers aux pieds. La nature et le volume de la demande ont influé sur la stratégie de la marque: l’entreprise prévoit de produire des lots tous les quelques mois et de les vendre en ligne. Des discussions  sont en cours avec quelques grands distributeurs dans les grandes villes. L’entreprise n’a cependant pas encore tranché sur le modèle de distribution. D’autres produits sont en gestation, notamment une chaussure fermée mais pas que. La marque au renard rouge a mille astuces à révéler.

Nicole Hamouche
 

Related

Les créateurs d’Anghami. Un duo de choc

Laisser un commentaire


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.