Magazine Le Mensuel

Nº 3097 du vendredi 4 janvier 2019

Point final

Béni par l’algorithme

En 2016, lorsque je parlais à un groupe de politiciens de l’utilisation de la psychométrie et de la sociométrie à travers les big data pour l’influence des masses, j’ai été taxé d’auteur de science-fiction. Ce n’est que deux ans plus tard, avec le scandale de Cambridge Analytica, que ces personnes ont réalisé l’ampleur des dégâts qu’on pouvait occasionner à partir des données facebook.
La science des big data ne s’arrête pas là et, après avoir servi à dynamiser, émanciper, outiller et habiliter les citoyens (empowerment), notamment dans le cas du printemps arabe, elle est aujourd’hui, aussi, et même uniquement, un outil de propagande et de manipulation de ceux-ci. Même au Liban le scandale dudit Dark Caracal, en février 2018, n’aurait jamais dû passer sous (quasi-)silence. Le tweet du 8 décembre 2018, de M. Ziad Assouad, partisan du parti actuellement à la tête de l’Etat, «l’Etat français devrait s’inspirer de l’expérience libanaise pour démonter les manifestations […] Inspirez-vous de l’expérience des derniers jours du mouvement de la société civile qui ressemble à ce qui se passe aujourd’hui (avec les gilets jaunes) et puis mettez-les dehors (les suspects et les naturalisés)», est très significatif à ce propos.
La politique n’est qu’un des rares aspects touchés par l’invasion de l’intelligence artificielle (IA) dans nos vies. Nous savons (presque) tous qu’Apple, Google, Microsoft, Samsung, facebook et beaucoup d’autres, nous suivent à la trace, stockant tous nos déplacements, au mètre près, partout dans le globe, analysant chaque interaction même anodine pour nous pousser à devenir plus dépendants, plus consommateurs, créant même des fantômes digitaux (shadow profiles) pour ceux qui ont décidé de s’évader des réseaux sociaux en se basant sur les recherches, les messages et les carnets d’adresses de leurs amis.
Pourtant, lorsqu’on parle, même en milieu académique, de ces dangers et de leurs implications sur notre vie, les chercheurs prétendent que, pour le Liban, «ce n’est pas de sitôt». Pourtant, le nouvel iPhone est lancé en même temps à New-York et à New-Jdeidé. La nouvelle plateforme facebook aussi.
Il y a quelques jours, Łukasz KRÓL, un jeune chercheur polonais spécialisé dans le domaine de l’IA, me racontait l’histoire d’un conducteur Uber, heureux d’avoir été «béni par l’algorithme». En effet, «l’algorithme» a remplacé le hasard et décide si le conducteur Uber va avoir les bons clients et les bonnes courses ou s’il va être privé de bonnes affaires. Il décide si cette jeune fille va se faire conduire par un psychopathe ou par un gentil monsieur.
En tant qu’utilisateurs, nous devons savoir que «l’algorithme» décide des résultats de nos recherches sur Google et des amis qui verront ou pas nos statuts sur facebook. Ces algorithmes remplaceront progressivement les emplois des «sciences dures»: la gestion, l’ingénierie, la médecine… Un appel pour nous afin de repenser notre humanité qui, elle, sera la dernière à être remplacée par «la machine».

 

Nasri Messarra
Responsable du Master Infocom (MIC) à l’USJ. Consultant en marketing digital et en médias sociaux

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