Magazine Le Mensuel

Nº 3106 du vendredi 4 octobre 2019

Point final

Jésus renverse l’ordre des priorités

Jésus choque! Il manque de respect vis-à-vis des lois et des préceptes religieux! Parlez-en aux grands prêtres et aux pharisiens. Pour ces personnes connues pour leur attachement à ces lois, la liste de ses transgressions est longue: il «fait bon accueil aux publicains et aux pécheurs» et, scandale suprême, il mange avec eux. Il pousse la provocation jusqu’à appeler un publicain à devenir son disciple. Il se laisse laver les pieds par une «pécheresse». Il offense les grands prêtres en leur criant à la figure: «Les prostituées et les publicains vous précédent dans le Royaume de Dieu». Et j’en passe. Cette liberté vis-à-vis des lois et préceptes religieux est dangereuse car elle bouscule l’ordre social établi. Il faut préserver les «bons croyants» de son danger! Ça finira mal pour Jésus. Une crucifixion en bonne et due forme.
Jésus continuera à choquer tant qu’il y a des personnes qui considèrent les lois religieuses comme des finalités. Jésus renverse l’ordre des priorités. S’il prend des libertés vis-à-vis de ces lois, c’est pour rappeler qu’elles sont des moyens pour le salut des personnes. L’être humain est bien plus important pour Jésus que les lois et les préceptes religieux d’où sa phrase rendue célèbre «Le Sabbat a été fait pour l’homme et non pas l’homme pour le Sabbat» (Evangile de Marc 2, 27). Cela déplaît aux esprits étroits qui ont érigé les lois et les préceptes en idoles, délogeant ainsi non seulement l’humain mais Dieu lui-même. Le jugement a détrôné la miséricorde. Et, phénomène grave, on use de la violence envers toute personne qui transgresse lesdites lois.
Alors si Jésus revient parmi nous, qui le condamnera? Dans «le grand inquisiteur» tiré des Frères Karamazov, la réponse de Dostoïevski est sans appel. Jésus est condamné au bûcher par le Grand Inquisiteur, un cardinal. Dans son roman Le Christ recrucifié, Kazantzakis fait dire au père Fotis ces dures paroles: «En vain mon Christ, c’est vraiment en vain. Deux mille ans se sont écoulés et les hommes te crucifient encore. Quand vas-tu naître, mon Christ, pour ne plus être crucifié, mais vivant parmi nous pour l’éternité?».
Cette question de père Fotis continue à raisonner. Quand allons-nous arrêter de crucifier le Christ? L’attitude de nombreux chrétiens face aux déclarations et aux gestes du pape François sur l’immigration, l’environnement, les injustices économiques et la morale sexuelle révèle que les crucifixions ne sont pas terminées. Si l’on analyse le tollé provoqué au Liban il y a de longs mois face aux enseignements du père lazariste Ramzi Jreige, pourtant dans la droite ligne de l’enseignement de l’Eglise, cela fait froid dans le dos. Les propos violents qui ont émané de certains sites «chrétiens» révèlent que l’inquisition a de beaux jours devant elle. A défaut des bûchers, on utilise les réseaux sociaux pour démolir les personnes avec d’éventuels passages à des actes violents. Des propos très violents ont circulé sur les réseaux cet été envers des personnes tentant de calmer les esprits et d’appeler au dialogue face à l’affaire de Mashrou3 Leila.
Alors la question du père Fotis continuera à raisonner. Et si le Christ prend le risque de venir au Liban, qui le crucifiera? A chacun sa réponse… Pour ma part, je n’ose même pas y penser.

Père Gabriel Khairallah,
jésuite, professeur de Lettres à l’USJ.

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