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Nº 3097 du vendredi 4 janvier 2019

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Le monde selon Carlos, de Laszlo Liszkaï. Kadhafi a reçu sadr puis a ordonné de l’assassiner

Ennemi numéro un pour les grands de ce monde dans les années 70-80, Carlos vit depuis plus de vingt ans derrière les barreaux de la Maison centrale de Poissy, en France. Le journaliste Laszlo Liszkaï a rencontré le «Chacal», qui n’a pas encore fini de livrer ses secrets.
 

Il fut un temps où la simple évocation du nom de Carlos, alias Illich Ramirez Sanchez, faisait trembler tous les chefs de gouvernements. Aujourd’hui, il n’en est rien. Le séducteur toujours tiré à quatre épingles appartient au passé. Les jeunes générations ignorent jusqu’à son existence. Pourtant, Carlos reste indissociable de l’histoire sanglante du Moyen-Orient, du Liban, du FPLP de Georges Habache.
Après s’être intéressé à ses années derrière le Rideau de fer pour un premier livre1, le journaliste Laszlo Liszkaï a décidé de reconstruire l’histoire de cette légende du terrorisme international, en le rencontrant plus d’une vingtaine de fois en tête-à-tête dans le parloir de la prison de Poissy entre septembre 2016 et avril 2017. Des rencontres qui se poursuivent encore aujourd’hui, à un rythme plus épisodique toutefois, depuis la parution de son livre. «Lors de notre première rencontre, confie Laszlo Liszkaï, venu signer son livre Le monde selon Carlos2 (éd. Erick Bonnier) au salon du livre, Carlos frimait pas mal, il a essayé de m’épater. Je me suis vite aperçu qu’il ne s’intéressait qu’à lui, c’est d’ailleurs son sujet préféré de conversation». «Sociopathe, manipulateur, séducteur», et surtout «n’éprouvant aucun remords», c’est ainsi que le journaliste d’origine hongroise décrit Carlos. Malgré ce portrait au vitriol, Liszkaï poursuit ses entretiens, qui lui permettent de retracer le parcours de celui qui fut l’ennemi numéro 1 de nombreux Etats, décrivant aussi un «personnage de roman, très intelligent et cultivé, borné aussi, ou encore, doctrinaire». «Quand il a décidé que quelqu’un était un traître, c’est fini pour lui. Il estime souvent que ses camarades n’ont pas été à la hauteur, le forçant à faire le sale boulot à leur place», raconte le journaliste. Lors de leurs tête-à-tête, Carlos lui conte dans le détail, alliant la parole au geste, les assassinats qu’il commet. «C’est glaçant, il a presque un orgasme en se rappelant tout ça. Il n’éprouve aucun remords d’ailleurs concernant les 83 personnes assassinées de ses propres mains».

Recruté à Moscou
De nationalité vénézuélienne, Illich Ramirez Sanchez baigne dès son enfance dans une ambiance révolutionnaire. Très tôt, il épouse la cause palestinienne. Refusant d’être commandé, et «désireux d’être le premier dans son domaine» — ce qui n’aurait pu être le cas en Amérique latine, déjà saturée de révolutionnaires —, il se voit recruté à Moscou par le représentant du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), Rifaat Abou Aoun, qui lui confirme avoir besoin d’hommes comme lui pour la cause. Carlos s’envole pour la Jordanie via Beyrouth. Au responsable du FPLP en Jordanie, Bassam Abou Charif, qui le reçoit, Carlos déclare «Je connais votre lutte. Je veux rejoindre le FPLP parce que je me considère comme un internationaliste et un révolutionnaire. Je veux apprendre votre tactique de guérilla». Le Vénézuélien rejoint les camps de Jerash et d’Ajlun, où il gagne ses galons de fedayin. C’est en 1971, après les batailles sanglantes de septembre noir en Jordanie, qu’il rencontre Wadi Haddad, alias Abou Hani. C’est lui qui théorisera, après la guerre des Six-Jours, l’internationalisation violente de la lutte palestinienne, qui passera par des actes de piraterie de l’air, des détournements d’avions, ou encore un rapprochement sensible avec les groupes d’extrême-gauche allemands et japonais.
Les années libanaises et syriennes de Carlos marquent, sans aucun doute, l’apothéose de sa «carrière». «Il avait carte blanche pour faire ce qu’il voulait, bien que ça soit sous le contrôle des services de renseignements syriens. Il était un peu comme un émir. Il avait beaucoup d’hommes armés et beaucoup d’argent à sa disposition, il faisait toutes ses arnaques, il était au courant de tout à l’époque», raconte Laszlo Liszkai. De fait, Illich Ramirez Sanchez renferme encore sans doute beaucoup de secrets. Il les livre parfois, même s’il est, la plupart du temps, impossible de contrôler la véracité de ses dires, la plupart des protagonistes de cette époque étant morts ou difficiles à retrouver.

L’affaire Sadr
Parmi les secrets qu’il a confiés au journaliste, Carlos livre sa version concernant la troublante disparition de l’mam Moussa Sadr alors qu’il s’était rendu en Libye avec deux de ses compagnons cheikh Mohamed Yaacoub et le journaliste Abbas Badreddine, en 1978. «Il m’a expliqué que Moussa Sadr a été reçu, avec ses compagnons, par le leader libyen Mouammar Kadhafi, lors de son arrivée à Tripoli, la rencontre avait été organisée par un colonel alors en poste à l’ambassade de Libye à Beyrouth», relate Laszlo Liszkai. «Tout de suite après l’entretien, le guide libyen les envoie récupérer de l’argent dans une caserne militaire voisine. C’est là que le colonel libyen assassine les trois hommes sur ordre de Kadhafi». Pas avare en confidences, Carlos confirme aussi au journaliste la version que tout le monde connait: «Les Libyens ont envoyé trois personnes vêtus des habits de l’imam Sadr, Yaacoub et Badreddine, en Italie, avec quelques papiers et documents, pour brouiller les pistes». Alors que le mystère autour de la disparition de Moussa Sadr reste entier, les révélations de Carlos interviennent tardivement et sont à prendre avec précaution, demeurant impossibles à vérifier, les principaux protagonistes étant décédés.
Sont-elles le fait d’un homme vieillissant, à la santé fragile, tentant de retrouver un peu de son lustre d’antan? Depuis son arrestation au Soudan par les services de renseignements français, comme un vulgaire gangster, un certain 14 août 1994, Carlos, qui se voyait bien «mourir les armes à la main», selon Liszkai, se voit comme «une victime, un prisonnier politique». «Il n’a jamais demandé pardon, il refuse de regarder dans le miroir. Pour lui, toutes ses actions ont été faites au nom de la cause, de la révolution». Depuis sa cellule de Poissy, Carlos reste inébranlable sur ses convictions d’antan, se revendiquant toujours comme anti-sioniste et anti-israélien et continuant de suivre les soubresauts qui agitent le monde, en livrant sa lecture des événements à ses visiteurs.

Jenny Saleh
 

1 Le monde selon Carlos, tête-à-tête avec le Chacal, de Laszlo Liszkai, éditions Erick Bonnier.
2 Carlos à l’abri du Rideau de fer, de Laszlo Liszkai, éditions du Seuil.

 

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