Magazine Le Mensuel

Nº 3098 du vendredi 1er février 2019

Temps fort

Routes de la soie. Le Liban veut sa place sur la carte

Le gouvernement chinois cherche à financer de grands projets d’infrastructures au Liban. En contrepartie, Pékin convoiterait une partie des puits de gaz offshore.
 

A l’instar de 68 pays, le Liban s’apprête à tirer profit du plan Obor – «One Belt, One Road» (une ceinture, une route) – un projet faramineux amorcé en l’an 2000 par Pékin, puis officiellement lancé en 2013, pour faire renaître la voie historique reliant l’empire du Milieu à l’Europe et à l’Afrique orientale. Concrètement, la Chine entend financer de vastes projets routiers, ferroviaires et maritimes pour booster les échanges économiques avec les pays traversés. Elle compte également asseoir son influence dans les domaines de la santé, des services, le secteur financier ou encore la culture, afin d’élargir les marchés de ses entreprises à l’étranger. Au Liban, le feu vert pour le premier projet d’envergure a été donné en mars. Il s’agit du financement d’un conservatoire de 5 500 m2 et d’une salle de concert de 1 200 places à Dbayé. «C’est un pas de géant pour la musique au Liban et au Moyen-Orient», se réjouit Walid Moussalem, directeur du Conservatoire national supérieur de musique. L’ouvrage, dont le coût est estimé à au moins 32 millions de dollars, doit être mis en œuvre très prochainement par des architectes chinois. «Avec ce conservatoire, les Chinois voulaient faire quelque chose de marquant, qui ait une forte visibilité dans la région», explique-t-il.

Moderniser les infrastructures
Il revient désormais au gouvernement libanais d’identifier les autres chantiers qui pourraient profiter du fonds souverain consacré aux routes de la soie, lequel s’élève à plus de 40 milliards de dollars. Cet argent pourrait par exemple servir à financer la construction d’un tunnel entre Beyrouth et Damas ou encore de réactiver la liaison ferroviaire Tripoli-Homs. La première étape de cette coopération a été scellée en septembre 2017 à l’issue d’un accord de coopération conclu à Yinchuan, dans le nord de la Chine, entre le ministre sortant de l’Économie et du Commerce Raëd Khoury et le président de la Commission nationale pour la réforme et le développement (NDRC), He Lifeng. Les deux pays se sont engagés à identifier des «projets communs» dans les domaines des transports, des infrastructures, des investissements et de l’énergie. Les Libanais voit dans OBOR une chance unique de moderniser leurs infrastructures, dont la vétusté constitue un des facteurs à l’origine de la morosité économique du pays.
En contrepartie, Pékin obtiendrait des garanties pour l’exploitation de deux puits de gaz offshore en Méditerranée. C’est d’ailleurs la perspective d’avoir accès aux ressources maritimes libanaises qui aurait convaincu la Chine de placer le Liban sur la carte des nouvelles routes de la soie. «L’avantage c’est que la Chine peut démarrer les travaux d’infrastructure bien avant qu’elle ne commence à encaisser les produits dérivés de ces puits de gaz», souligne Georges Sioufi, avocat et représentant du cabinet chinois Jingsh Law Firl pour plusieurs pays dont le Liban.

Garanties de transparence
Pour le Liban, le défi sera de répondre aux critères de transparence réclamés par Pékin. «Les Chinois ont mené beaucoup de réformes anti-corruption en Chine. Ils exigent que la conclusion des contrats se fasse selon un accord direct, sans intermédiaire entre le fonds et les projets proposés», rappelle Nagi Mouzannar, président du Comité des accords commerciaux de la Chambre de commerce de Beyrouth et du Mont-Liban. «Or la difficulté avec la partie libanaise, c’est qu’ils veulent toujours agir à travers des intermédiaires pour qu’il y est des commissions et un tas d’interférences».
A l’instar des bailleurs de fonds de la conférence CEDRE, le gouvernement chinois veut des garanties préalables d’une optimisation maximale de ses investissements au Liban. «Le problème est que le côté libanais n’a toujours pas opéré les changements qu’il faut pour pouvoir approcher ces contractants de manière transparente», déplore-t-il.
Cela fait longtemps que la communauté internationale appelle de ses vœux des transformations structurelles dans le pays. «Déjà dans les années 2000, lors des accords de partenariat qu’on a avait conclus avec l’Union européenne, Beyrouth s’était engagée à réaliser ces reformes, poursuit le responsable. Mais on n’a rien fait. On n’arrive pas encore à se mettre à niveau des administrations modernes qui puisse servir à la fois les intérêts des Libanais et aussi pouvoir être prises au sérieux par la partie contractante».
La balle est donc, une fois encore, dans le camp du gouvernement, estiment les observateurs. Le pays sera-t-il à même de saisir l’opportunité immense qui se présente à lui?

Relier Shanghai à Londres
Selon les termes de l’accord de coopération avec la Chine, signé  par le ministre sortant de l’Économie et du Commerce, Raëd Khoury, les deux pays s’engagent à mettre en place un «plan d’action» pour améliorer leur coopération, et à «atteindre les objectifs de développement communs» dans le but de «renforcer leurs liens politiques et économiques», dans les domaines des transports, infrastructures, investissements, ainsi que les énergies fossiles et renouvelables.
La Route de soie est historiquement la voie commerciale qui reliait l’Asie et l’Europe depuis le IIe siècle avant J.C. Elle a contribué à l’essor des anciennes civilisations, chinoise, égyptienne, indienne et romaine.
Le projet de la nouvelle Route de la soie a vu le jour en 2013, à la suite d’une décision du nouveau président chinois Xi Jinping. Le Liban figure sur la liste avec plus de 65 pays que doit traverser la nouvelle Route de la soie. Le projet prévoit la construction d’un réseau routier et ferroviaire de plus de 13 000 km reliant Shanghai à Londres, en passant par le Liban. Connu en Chine comme «la ceinture et la route» (One Belt, one road), une ceinture terrestre qui relie la deuxième économie mondiale à l’Europe occidentale via l’Asie centrale et la Russie et la route maritime qui lui permet de rejoindre l’Afrique et l’Europe par la mer de Chine et l’océan Indien, ce projet mettra des milliards de dollars en jeu.

Philippine de Clermont-Tonnerre

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