Le député sunnite de la Békaa-ouest, Abdel Rahim Mrad, affirme que d’ici deux mois, tous les pays arabes à l’exception du Qatar auront rétabli leurs relations avec la Syrie. Cet ancien ministre de la Défense s’attend à une amélioration de la situation économique avec le début du forage du premier puits de gaz, cette année.
Comment évaluez-vous la gestion du sommet économique arabe, notamment la polémique autour de la participation de la Syrie? Si vous étiez Premier ministre, auriez-vous reporté le sommet?
Le report du sommet ou la confirmation de sa date dépendent de l’état de l’organisation. Or, au vu des préparatifs, il aurait été préférable de le reporter de six mois, en accord avec la Ligue arabe. Le sommet n’était pas un succès et c’est dommage. Le Liban aurait pu en profiter car il est confronté à de graves difficultés économiques et financières et au problème des réfugiés syriens. La question du rétablissement et de l’amélioration des relations avec tous les pays, plus particulièrement la Syrie, aurait dû être inscrite à l’ordre du jour. La reconstruction de la Syrie, qui coûtera des milliards de dollars, est aussi une belle opportunité pour le Liban, qui est une plateforme d’où partiront les grandes compagnies. Organiser le sommet sans la participation de la Syrie était une grave erreur. La responsabilité est partagée. Il aurait fallu le reporter.
Les objectifs du sommet auraient dû être, selon vous, l’assainissement des relations entre les pays arabes, notamment avec Damas, l’examen de la question des réfugiés, et de placer le Liban au cœur du processus de reconstruction de la Syrie. Ces objectifs ont-ils été atteints?
Malheureusement non! Et la Syrie n’a pas réagi au fait d’avoir été écartée. Sans doute qu’elle le fera un jour.
Certains ont fait état de pressions américaines et arabes pour que la Syrie ne soit pas invitée. D’autres affirment que le camp présidentiel a voulu ménager le Premier ministre Saad Hariri. Qui dit vrai?
Il est important de comprendre ce qui se passe actuellement. Pensez-vous que les Emirats arabes unis auraient rouvert leur ambassade à Damas sans coordination avec l’Arabie saoudite? L’argument selon lequel ils n’ont pas invité la Syrie car ils craignaient la réaction de Riyad est faux. Les acteurs internes ont une lecture erronée de la question syrienne. Malheureusement, le camp présidentiel se comporte avec timidité concernant le dossier des relations avec la Syrie.
Pourtant, avant son élection à la première magistrature, le président Aoun avait des positions très avancées à ce sujet…
Des paroles, sans plus. Pourquoi ne se rend-il pas en Syrie alors que nous avons une ambassade dans ce pays? Est-ce acceptable que le Premier ministre ne salue pas l’ambassadeur de Syrie? C’est une insulte au président de la République. Saad Hariri attend que l’Arabie saoudite prenne position concernant les relations avec la Syrie pour lui emboîter le pas. Cela est inadmissible. Le Liban a ses propres intérêts et considérations.
Il ne faut pas oublier que M. Hariri a une expérience amère avec les Saoudiens, qui l’ont forcé à démissionner et l’ont séquestré en novembre 2017, à cause de positions qu’il a exprimées et d’autres mesures attendues de lui et qu’il n’a pas prises.
Il ne s’agit pas de cela. C’est pour d’autres raisons que je ne mentionnerai pas ici qu’il a été convoqué à Riyad. Pendant longtemps, l’Arabie saoudite a apporté un soutien au Courant du Futur, au président Saad Hariri et avant lui à son père Rafic Hariri. Il n’est pas clair comment cette aide a été utilisée et cet argent dépensé. Les responsables libanais doivent se convaincre que les Arabes ont décidé de normaliser leurs relations avec la Syrie. Le prince héritier Mohamed ben Salmane a reçu (il y a plus de deux ans, ndlr) le chef du bureau de la sécurité nationale syrienne, Ali Mamlouk. Une autre réunion aurait dû avoir lieu mais elle a été annulée pour des raisons de procédure.
Lesquelles?
Il avait été convenu que la rencontre resterait confidentielle, or elle a été divulguée…
Comment évaluez-vous la polémique autour de la participation libyenne au sommet et ce qui en a découlé?
Cette affaire a été mal gérée par certaines parties libanaises. C’est le colonel Mouammar Kadhafi qui est responsable de la disparition de l’imam Moussa Sadr. Deux ou trois autres personnes connaissaient le secret, l’une d’elle est encore en vie et se trouverait au Qatar. Ceux qui ont renversé et assassiné Kadhafi ne peuvent pas être tenus responsables de ce qui est arrivé à l’imam. Le Liban doit entretenir de bonnes relations avec tous les Arabes et des rapports privilégiés avec la Syrie. Nous devons respecter ce postulat et en dépit des erreurs qui peuvent survenir, nous ne devons pas nous faire des ennemis.
Le ministre Gebran Bassil parle d’une «victoire» après l’adoption par le sommet arabe de la position libanaise relative aux réfugiés. Partagez-vous ce triomphalisme?
Pour évaluer la question des réfugiés, il faut voir les montants que les Arabes vont débourser. Il y a aussi le soutien international. Il faut que les déplacés retournent chez eux d’ici un an. L’aide doit se poursuivre même après leur retour. Cependant, le pouvoir libanais continue de traiter timidement avec la Syrie dans le dossier des réfugiés. Je salue, à cette occasion, le général Abbas Ibrahim, pour les efforts qu’il déploie afin d’organiser le rapatriement de déplacés. Mais pourquoi le président de la République et les ministres concernés ne coordonnent-ils pas avec la Syrie pour accélérer et faciliter ce processus?
Vous rentrez d’une tournée arabe qui vous a mené en Egypte, aux Emirats arabes unis et en Syrie. Quelles impressions avez-vous recueilli?
J’ai rencontré des responsables dans les pays que j’ai visités. En Syrie, je me suis entretenu avec Ali Mamlouk et le vice-ministre des Affaires étrangères, Fayçal el-Mokdad. Il y a une quasi-unanimité pour le retour de la Syrie dans le giron arabe. Seul le Qatar s’y oppose encore. Il existe une coordination entre les Emirats, l’Egypte et l’Arabie saoudite à ce sujet. La Syrie pourrait être conviée au prochain sommet arabe, qui aura lieu en Tunisie en mars. L’Egypte est en passe de normaliser ses relations avec Damas. Il est possible que le président Abdel Fattah el-Sissi se rende en Syrie ou que le président Bachar el-Assad visite prochainement Le Caire, avant le sommet de Tunis. D’ailleurs, l’Egypte n’a jamais fermé son ambassade en Syrie et un nouveau chargé d’affaires, Mohamed Ezzeddine, vient d’y être nommé. D’ici à deux mois, toutes les ambassades arabes ou presque seront de retour à Damas.
Etiez-vous porteur de messages entre les responsables de ces pays?
J’ai toujours fait les bons offices, aussi bien en Syrie qu’en Egypte. Mon voyage en Arabie saoudite, où j’ai rencontré le prince Mohamed ben Salmane, il y a deux ans, s’inscrivait aussi dans ce cadre. Je continue à avoir des contacts indirects avec les dirigeants saoudiens.
Après l’escalade israélienne en Syrie, dans la nuit du 20 au 21 janvier, y a-t-il un risque de guerre totale?
Israël ne peut pas s’engager dans une grande guerre sans le feu vert américain. En 2006, il était soutenu à fond par les Etats-Unis et, malgré cela, il a perdu. Les deux dernières semaines, les Israéliens souhaitaient obtenir un cessez-le-feu mais Washington les a presque contraints à poursuivre la guerre. Ils ont perdu. Aujourd’hui, Israël fait mille calculs avant d’envisager d’agresser le Liban car il sait pertinemment que la Résistance possède des moyens beaucoup plus importants qu’en 2006, aussi bien au niveau de l’expérience au combat, des effectifs, que de l’armement. Ce qui se passe en Syrie sont des raids lancés à distance contre des positions iraniennes et du Hezbollah. Et le monde regarde sans broncher. Je ne pense pas que la Syrie soit prête pour une guerre totale et je ne crois pas qu’Israël oserait déclencher un conflit d’envergure, surtout avec la présence russe.
La Syrie se dirige-t-elle vers la partition?
Absolument pas. La Syrie retrouvera son unité et redeviendra le cœur vibrant du monde arabe, comme l’a décrit Jamal Abdel Nasser. Nous l’avons entendu de la bouche même du président Assad.
Mais Assad n’est pas le seul acteur? Il y a la Turquie aussi…
L’instauration, le long de la frontière syro-turque, d’une zone auto-administrée dans le cadre d’une décentralisation, a été proposée au président Assad. Il a catégoriquement rejeté ce projet. Il a dit qu’il n’acceptait pas un nouveau Kurdistan dans son pays. Il a la garantie de la Russie et de l’Iran.
Qui vous a tendu un piège dans l’affaire du représentant au gouvernement des députés sunnites indépendants (la Rencontre consultative), dont vous faites partie?
Nous avons proposé trois noms: Hassan Mrad, Osman Majzoub et Taha Naji. Le député Kassem Hachem a mis un bulletin blanc. Mais le président Nabih Berry a dit qu’il avait choisi Jawad Adra, et ce nom a été inscrit sur le bulletin de M. Hachem. A part Fayçal Karamé, aucun des six membres de la Rencontre consultative sunnite ne connaît ce monsieur. Nous avons donc dépêché auprès de lui Hicham Tabbara et Osman Majzoub, pour lui demander de venir nous voir afin de connaître ses opinions politiques. Il a fait savoir qu’il souhaitait intégrer le bloc de Gebran Bassil et qu’il ne pouvait pas se joindre à nous car nous étions les alliés du Hezbollah. Nous avons alors refusé qu’il soit notre représentant au gouvernement. Même ceux qui l’ont nommé, c’est-à-dire Nabih Berry et Kassem Hachem, l’ont désavoué.
Où en sommes-nous actuellement?
Ceux qui forment le gouvernement doivent choisir comme ministre l’un des six membres de la Rencontre consultative ou l’un des trois noms que nous avons proposé. Nous sommes soutenus dans cette revendication par le Hezbollah et le mouvement Amal. Concernant le gouvernement, il semble que les choses soient en train de mûrir. Gebran Bassil a proposé plusieurs idées et celle d’un gouvernement de 32 ministres semble faire son chemin. Saad Hariri nommerait le ministre alaouite et le président Aoun celui des minorités chrétiennes. M. Hariri souhaite obtenir l’assurance que le gouvernement des 32 (avec un alaouite et un minoritaire) ne devienne pas un fait accompli.
Les Libanais sont confrontés à des difficultés économiques sans précédent. Même pendant la guerre, la situation n’était pas aussi mauvaise. Que leur réservent les mois à venir?
L’image qu’offre le Liban est effectivement très sombre. Comment expliquer que 25 ans après la fin de la guerre, il n’y a toujours pas d’électricité? Comment justifier le problème des déchets, la pollution du Litani, la hausse effrayante des cas de cancer…? Cette image ne changera pas avant qu’ils ne commencent à forer le premier puits de gaz, cette année, ce qui provoquera un choc positif. A condition que la corruption et le vol de l’argent public cessent. Est-il possible qu’un directeur général, Ahmad Jamal, et ses frères, soient soupçonnés d’une vaste opération de falsification de diplômes dans quatre universités et qu’ils n’aient toujours pas été déférés devant la justice? Ces agissements doivent cesser!
Paul Khalifeh