Ingénieur du son et producteur, vivant en Allemagne, Khalil Chahine a patiemment et ardûment tracé son chemin, porté par sa passion pour ces métiers de l’ombre où se croisent technologie et art. Entre Beyrouth et Berlin, la culture n’a pas de frontières.
Après un passage au Caire pour une séance d’enregistrement et avant de revenir en Allemagne, à Berlin, où il réside depuis 2012, l’ingénieur du son et producteur Khalil Chahine était de passage au Liban pour revoir le pays, les amis et la famille. Il était venu porteur d’un projet qui lui tient à cœur: l’album Quest du groupe Out of Nations, qu’il a produit, et dont il a co-arrangé les 11 pistes avec la musicienne et parolière égypto-mexicaine, né aux Etats-Unis, Letty el-Naggar, qui a écrit les textes lors de ses voyages entre New York, Le Caire, Beyrouth et Berlin. «L’humain avant la nation; c’est l’idée principale du projet, explique Khalil Chahine. Ce thème est venu de ce qui se passe en Allemagne, un peu partout dans le monde, ce focus sur la nationalité, sur l’identité. La première question qu’on pose aujourd’hui quand on rencontre quelqu’un c’est ‘de quel pays tu viens?’. C’est devenu une habitude inconsciente, à laquelle on ne fait plus attention, alors que cette question prête à beaucoup de sous-entendus». Pour sensibiliser à cet état des choses, dans une approche sociopolitique, au risque même de se voir refuser l’accès à certains festivals, Quest tonne comme un voyage musical entre les cultures, porté par six musiciens de nationalités différentes, présentés comme des héros futuristes d’une humanité rêvée.
La production est ce travail dans les coulisses, «une frustration à laquelle on s’habitue, puisque le métier consiste justement à appuyer le travail des autres». Cela, Khalil Chahine le sait bien, lui qui coiffe à la fois la casquette de producteur et d’ingénieur du son, cet autre métier de l’ombre, méconnu mais pourtant indispensable. Encore plus au Liban où il n’est pas reconnu comme un métier en soi, où il n’est surtout pas enseigné comme une matière en soi, mais comme une partie d’un cursus audiovisuel, négligeant par là tout l’aspect d’ingénierie qu’il comporte, et ne se concentrant que sur le son, cet élément à la fois éphémère et aléatoire. Sans oublier le problème de l’attitude et de l’ego du Libanais, alors que «c’est l’ingénieur du son qui détient les outils» de la bonne acoustique d’une salle, d’un concert, là où généralement le son fait défaut au Liban, où les musiciens se plaignent.
L’appel du son. Khalil Chahine rêvait d’être musicien, ayant grandi dans une maison de mélomane, avec un père trompettiste et chanteur. Ses études terminées, il ambitionnait de suivre des cours de musicologie, mais c’était sans compter sur le veto parental, surtout maternel. Il insiste, mais la rengaine refait surface: il est nécessaire d’avoir un diplôme en poche. Autant alors suivre des études qu’on aime. Pour Khalil, ce sera la physique à l’université libanaise. Lors de sa dernière année, afin de relier la physique à sa passion, il se spécialise dans la psycho-acoustique, la manière dont l’homme perçoit le son. Il intègre ensuite le Studio Bakelite, à Montpellier, pour s’initier à l’enregistrement numérique alors tout récent.
A la fin de sa formation, il suit un stage qui sera déterminant dans son parcours, avec l’ingénieur du son, Fred Magnier. «C’est avec lui que j’ai tout appris, comment voir les instruments, comment penser le son». Sa carrière d’ingénieur de son semblait toute tracée en France, quand de mauvaises nouvelles lui parviennent du pays: son père est malade, et en tant que fils unique, il se devait d’intégrer le giron familial pour prendre les rênes du quotidien. Accablé de tristesse et pris par le devoir, c’est plus son mentor et ami, Fred Magnier qui semble bouleversé, refusant de lui adresser la parole durant deux semaines. «Puis j’ai reçu un coup de fil de lui qui m’invitait le soir chez lui pour rencontrer un ami». Cet ami, Max Bale, se préparait à venir à Beyrouth pour aménager les studios de RFI-Radio Liban. Khalil Chahine l’assistera dans cette tâche, lui qui s’y connaît en ingénierie du son, le pays, la langue.
De hasards en rencontres, il travaillera plus tard pendant 4 ans aux côtés de Michel Eléfteriadès, au Music Hall, puis avec Ziad Rahbani, entrecoupé de travail en freelance avec les musiciens du pays, commençant à se faire connaître. Au détour d’un projet de mixage en Allemagne, et une fois de retour à Beyrouth, il reçoit un coup de fil d’Allemagne lui proposant de venir travailler à Hambourg sur un projet avec l’orchestre arménien Kohar et sur des projets de recherche et de développement en sonorité 3D. L’aventure allemande commence.
Percer dans la concurrence. De Hambourg à Cologne puis à Berlin, Khalil Chahine trace son chemin, «au sein d’un univers ultra-compétitif, et ultra-concurrentiel», où il ne s’arrête devant rien pour combler toutes les lacunes, pour élargir ses horizons, prenant des cours de musique, des cours d’allemand et de phonétique, perçant sur la scène allemande par sa connaissance de la musique du monde, «au moment où le multiculturel était encore bien accueilli». Sur sa période allemande, Khalil Chahine ne s’étale pas beaucoup, évoquant en des termes presque techniques ses expériences, son apprentissage et son perfectionnement, les obstacles et les difficultés qu’il rencontre, contrairement aux souvenirs plus lointains de ses débuts au Liban où les détails et les anecdotes s’entremêlent avec son sourire.
Le parcours est long et la personnalité se forge au rythme des responsabilités. Cette année, Khalil s’attelle à deux projets de production, comme deux missions à accomplir jusqu’au bout. D’abord un projet d’afro-beat, avec un groupe afro-allemand. Plus près de nous, un album hommage à Philémon Wehbé, enregistré entre le Caire et Berlin. «Un ensemble de six compositions pour dire comment aurait été sa musique s’il était toujours en vie et vivait à Berlin». Pour que les cultures continent de se croiser.
NAYLA RACHED