Zahlé, la mariée de la Békaa, la capitale du catholicisme. Zahlé l’indomptable rebelle, sera le théâtre, ce dimanche 8 mai, de la mère des batailles. Après l’échec de toutes les tentatives pour trouver un consensus, trois listes s’affronteront finalement dans ce qu’on prévoit être une des batailles municipales les plus féroces du Liban, où partis politiques et familles traditionnelles vont s’opposer.
Le paysage électoral à Zahlé ne ressemble à aucun autre. La capitale de la Békaa, chacun le sait, a toujours eu une spécificité bien à elle. Aux guerres que se livraient les partis, à celles des familles traditionnelles contre les partis, succède aujourd’hui un paysage très particulier: la bataille des partis qui se sont ligués entre eux contre les familles traditionnelles de Zahlé.
Sur le terrain, après de vaines tentatives pour trouver un consensus, trois listes s’opposeront. La première, présidée par l’actuel président de la municipalité de Zahlé, Assaad Zougheib, est appuyée par le Courant patriotique libre (CPL), les Forces libanaises (FL) et les Kataëb. Pour la première fois dans leur histoire, ces trois partis politiques se trouvent réunis sur une même liste et c’est probablement la seule municipalité où l’on assiste à une véritable alliance entre le CPL et les FL à la suite de l’accord de Maarab. D’ailleurs, beaucoup disent que cette bataille sera cruciale et représentera un véritable test pour la nouvelle alliance entre les deux partis.
La deuxième liste, parrainée par la présidente du Bloc populaire, Myriam Skaff, est présidée par Youssef Skaff. Son but est de préserver la décision libre de Zahlé pour que celle-ci ne devienne pas otage de Rabié, Maarab ou Bickfaya. Son souci principal est de préserver l’environnement de la ville et de travailler à son développement.
Quant à la troisième liste, parrainée par le député Nicolas Fattouche, elle est présidée par son frère Moussa Fattouche.
Le nombre de listes qui ont vu le jour indique que, dès le départ, les tentatives de trouver un compromis n’étaient pas sérieuses. Les Forces libanaises ont tôt fait d’adopter la candidature de l’actuel président de la municipalité, Assaad Zougheib, et ont réussi à rallier à leur cause le CPL. La réclamation par le Bloc populaire, présidé par Myriam Skaff, de 10 membres sur les 21 dont est composé le conseil municipal, a été rejetée par les différents partis, ce qui a poussé ce bloc à livrer seul sa bataille, sans l’appui des partis chrétiens.
Skaff relève le défi
Le dernier fil entre Skaff et les FL a été rompu à Maarab, lorsque Samir Geagea a proposé le nom de Zougheib comme candidat consensuel, ce qui a été rejeté par Skaff, qui a estimé que le nom même de l’actuel président de la municipalité représentait une provocation. Skaff a refusé également la proposition des Forces libanaises de lui donner cinq membres au conseil municipal.
Dans le bras de fer qui oppose Myriam Skaff aux partis chrétiens, qu’elle accuse de vouloir délibérément fermer les maisons politiques traditionnelles, la veuve d’Elias Skaff a relevé le défi. Dans sa bataille contre les trois partis politiques chrétiens, elle bénéficie de l’appui du Courant du futur. Interrogée par Magazine, sur l’appui sur lequel compte Myriam Skaff, l’attachée de presse du Bloc populaire, Névine Aziz Hachem, répond: «Elle compte sur Zahlé et ses familles pour que leur décision demeure à Zahlé. Les Zahliotes réalisent amplement que les députés de la région ne lui ont rien apporté, lorsqu’on compare le développement de Becharré à celui de Zahlé, alors que les députés FL viennent de Zahlé. Nous voulons préserver notre environnement». Interrogée sur l’appui du Courant du futur, Névine Hachem explique: «Les voix sunnites ne jouent pas un rôle décisif à Zahlé et ne peuvent pas faire pencher le vote».
Des sources informées à Zahlé rapportent à Magazine que le candidat chiite du Hezbollah, Ali el-Khatib, qui faisait partie du conseil municipal en 2010 et avait été élu sur la liste de Skaff, a intégré la liste d’Assaad Zougheib à la suite des pressions exercées sur lui par le Hezb. Face aux divergences à l’intérieur de la liste (CPL-FL-Kataëb), Khatib a voulu se retirer et réintégrer la liste Skaff. Positivement accueilli par le Bloc populaire, qui estime que, nonobstant son appartenance au Hezbollah, la famille Khatib demeure une alliée des Skaff, il a dû affronter à nouveau les pressions, mais il a préféré se retirer carrément de la course. Ces sources confient que le Hezbollah aurait tenté vainement de convaincre le Bloc populaire de laisser un siège vacant, mais celui-ci aurait pris sur sa liste un autre candidat.
Accusé d’être inféodé aux partis et de ne pas représenter la ville, Assaad Zougheib a voulu montrer clairement, en déclarant sa liste, qu’il ne fallait pas la limiter uniquement à celle des partis. Il a souligné que les membres des partis qui l’appuient sont aussi originaires de Zahlé, refusant de considérer qu’ils ne faisaient pas partie du tissu social du chef-lieu de la Békaa.
Quid du Hezbollah?
En parallèle, un autre féroce combat se joue également entre Nicolas Fattouche et les Forces libanaises, après le veto opposé par les FL contre toute collaboration avec le député de Zahlé. Un combat auquel s’est joint le Courant patriotique libre, nouvel allié des FL. La réponse de Fattouche ne s’est pas fait attendre. Il a rendu publique une liste de 21 membres, présidée par son frère Moussa. A son tour, il se prépare à livrer une lutte acharnée pour assurer sa présence dans la ville et faire face à ses adversaires, en particulier à son ancien allié, le CPL.
Si la position des sunnites est désormais claire avec l’appui déclaré du Courant du futur à la liste parrainée par Myriam Skaff, la grande inconnue demeure le sort des voix chiites et, en particulier, celles du Hezbollah. Officiellement, ce dernier semble vouloir adopter la neutralité, alors que ses alliés sont répartis sur trois listes électorales qui s’affrontent. De source bien informée, Magazine a appris que le Hezbollah a, d’ores et déjà, fait part au général Michel Aoun de l’intention du parti de ne pas voter pour les candidats des Forces libanaises partout sur les listes où cette formation est alliée au CPL, comme c’est le cas de Zahlé. De prime abord, il semble donc que le panachage sera la règle et qu’il est difficile, voire même impossible, qu’une liste complète soit élue.
La question qui se pose est de savoir si les partis politiques réussiront à mettre un terme au leadership des grandes familles de Zahlé. Pour la première fois dans son histoire, le chef-lieu de la Békaa fait face à une alliance entre les partis, alors que la règle générale était la lutte des partis entre eux ou alors la lutte d’un parti contre les familles. Un habitant de Zahlé rappelle que dans l’inconscient des Zahliotes, il existe une animosité entre eux et les Forces libanaises, auxquelles ils font assumer la guerre et l’encerclement de la ville en 1981. Sur un autre plan, cet habitant indique que la ville avait bien accueilli l’ancien ministre assassiné Elie Hobeika et qu’elle ne porte pas particulièrement dans son cœur le chef des FL, Samir Geagea. Victoire de la politique ou du féodalisme? Quoi qu’il en soit, ce sont les habitants de Zahlé qui auront le dernier mot.
Joëlle Seif
Soixante-six mille électeurs
Avec l’expiration du délai des candidatures, 112 personnes ont déposé les leurs aux élections municipales de Zahlé-Maalaka et de Taanayel. Le conseil municipal de Zahlé sera composé de 21 membres. Les listes électorales à Zahlé comptent 66 000 électeurs dont 20% appartiendraient à la communauté musulmane. Dans l’ensemble, 11 000 électeurs musulmans approximativement, répartis entre 7 000 chiites et 4 000 sunnites. La grande majorité des chrétiens appartient à la communauté grecque-catholique.