Une femme de 34 ans, née sans utérus, a reçu un don de sa mère, âgée de 57 ans, en vue d’une future grossesse. Une prouesse médicale réalisée par l’équipe du professeur français d’origine libanaise, Jean-Marc Ayoubi, à l’hôpital Foch de Suresnes, près de Paris. Il a répondu aux questions de Magazine.
Pour la première fois en France, une femme de 34 ans, infertile, a pu bénéficier d’une greffe d’utérus, grâce à un don de sa mère, a annoncé l’hôpital Foch de Suresnes (Hauts-de-Seine). Une prouesse médicale réalisée avec l’utérus d’une donneuse vivante, celui de la mère de la receveuse, par l’équipe du professeur français d’origine libanaise, Jean-Marc Ayoubi, chef de service d’un des plus grands centres de gynécologie obstétrique et médecine de la reproduction en France, notamment à l’hôpital Foch. Cette technique a déjà été pratiquée en Suède et a permis la naissance d’une dizaine d’enfants en bonne santé depuis 2014. C’est d’ailleurs avec des équipes suédoises que les médecins de Foch préparaient depuis des années la première greffe française.
Pour quelles patientes?
En France, deux équipes ont reçu l’autorisation de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) pour réaliser des greffes utérines. L’équipe du Pr Jean-Marc Ayoubi, qui travaille en collaboration avec l’équipe suédoise du Pr Brännström, a obtenu l’autorisation pour dix greffes utérines sur des femmes atteintes du syndrome MRKH, à partir de donneuses vivantes. Une équipe du CHU de Limoges a eu l’aval pour un essai clinique, afin de réaliser 8 greffes d’utérus prélevés sur huit donneuses en état de mort cérébrale. À la différence de la naissance très médiatisée en décembre 2018 au Brésil d’un bébé issu d’une greffe d’utérus sur donneuse décédée, les transplantations réalisées en Suède et aujourd’hui en France ont été réalisées sur une donneuse en bonne santé (la mère ou la sœur de la receveuse dans la plupart des cas).
«La patiente greffée est née sans utérus à cause d’une maladie congénitale rare, le syndrome de Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser (MRKH). La donneuse est sa mère, une femme ménopausée de 57 ans», explique le Professeur Jean-Marc Ayoubi. «Cette révolution médicale pourrait répondre ainsi aux besoins de milliers de femmes atteintes d’infertilité utérine, et leur offrir la possibilité de mener à bien une grossesse malgré une absence d’utérus, à la suite d’une malformation à la naissance. Une fille sur 4 500 peut naître avec un vagin et des ovaires normaux mais sans utérus (syndrome MRKH). Cette technique concerne également des patientes qui ont subi une hystérectomie (une ablation de l’utérus) consécutive à un cancer de l’utérus ou les cas d’hémorragie de la délivrance…». Et le Pr Ayoubi d’insister que «pour obtenir une grossesse, une greffe d’utérus doit être précédée d’une Fécondation In Vitro (FIV) avec congélation des embryons, avec les ovocytes de la femme greffée. Ainsi, la patiente qu’on vient de transplanter n’est pas encore enceinte et le transfert d’embryons préalablement congelés se fera dans dix mois», annonce-t-il, assurant que les deux femmes, dont les identités n’ont pas été dévoilées, «vont bien». Concernant le profil des donneuses, le professeur Ayoubi déclare «qu’il existe plusieurs procédés pour récupérer un utérus: à partir d’un donneur vivant ou d’une patiente en état de mort cérébrale. En Suède, une quinzaine de femmes au moins ont fait don de leur utérus, de leur vivant. À Suresnes, notre équipe a fait le choix des donneuses vivantes. Il y a des avantages et des inconvénients pour les deux façons de faire. À ce jour, une seule grossesse a été menée à terme avec une donneuse décédée, au Brésil. En France, le don d’organes issu d’une personne vivante est possible s’il ne met pas en danger la vie du donneur (la greffe de l’utérus est une opération très complexe, nécessitant plusieurs heures de chirurgie) et selon des critères stricts comme l’obtention de l’autorisation d’un comité indépendant et d’un juge après s’être assuré du lien de parenté entre la donneuse et la personne qui reçoit l’utérus (mère, sœur, tante, éventuellement amie très proche …) pour écarter tout risque de commercialisation, de chantage ou de pression financière, psychologique…». «Les donneuses peuvent également être des femmes ménopausées, puisque l’utérus n’a pas d’âge», soulève le gynécologue. «Ce sont les ovaires qui vieillissent; l’utérus étant un organe fonctionnel qui se met au repos à la ménopause, mais qui se réveille et fonctionne normalement à partir du moment où on lui administre de l’œstrogène. Ainsi, on envisage le recours à des utérus prélevés chez des femmes ménopausées entre 40 et 60 ans, ayant eu au moins un enfant».
Des recherches de longue haleine
«Le prélèvement de l’utérus sur la mère donneuse a été réalisé par chirurgie robotique», poursuit le Pr Ayoubi. «Nous possédons une expertise dans le domaine de la chirurgie robotique en gynécologie qui date de plus de dix ans. Nous avons d’une part, collaboré avec l’équipe suédoise dans le cadre d’un projet de recherche européen portant sur l’intérêt de la chirurgie robotique dans le domaine de la greffe utérine et participé, d’autre part, également en Suède, à cinq prélèvements et greffes d’utérus par chirurgie robotique, en attendant les autorisations administratives relativement longues en France. Cette première française est un bel exemple de collaboration à l’échelle européenne et internationale. Le gynécologue met en relief les avantages de la chirurgie robotique: «une précision, une sécurité supplémentaire pour la donneuse et une réduction du temps d’intervention de 12 heures pour une opération ‘classique’, à 8 heures». «Grâce à ces greffes utérines, qui ont nécessité plus de 13 ans de recherche, d’abord sur des animaux (souris puis brebis), la Suède a vu naître plus de 10 bébés en bonne santé depuis 2014, la dernière naissance datant de novembre 2018. Les receveuses sont en moyenne âgées de 27 à 28 ans, non fumeuses et en bonne santé. Les donneuses sont des femmes ménopausées (mères ou sœurs des patientes en priorité), ayant eu des grossesses normales et pas de fausses couches à répétition». Ailleurs dans le monde, plus d’une quinzaine de naissances ont été signalées à la suite de transplantation utérine: deux aux USA (décembre 2017 et février 2018), une au Brésil (décembre 2017), une en Italie (juin 2018), une en Inde (octobre 2018) et une autre en Chine (février 2019).
Une greffe provisoire
«La durée opératoire a été de l’ordre de 14 h pour les deux interventions, celle du prélèvement étant la plus longue. Ce dernier doit être très méticuleux pour que l’utérus soit réimplantable», précise le Pr Ayoubi. «Le robot, offrant une meilleure vision, en 3D, facilite la dissection de vaisseaux très fins. La greffe se fait, elle, par chirurgie classique. Elle n’a pas vocation à être permanente en raison du traitement antirejet. Il s’agit d’une ‘greffe provisoire’ pour avoir un enfant», rappelle le gynécologue. «A ma connaissance, deux ou trois femmes dans le monde ont conservé l’utérus greffé pour mener une deuxième grossesse. Le traitement immunosuppresseur, antirejet, est «moins lourd» que pour d’autres transplantations. Il est adapté à la grossesse, comme on le fait dans le cas des greffées du rein, enceintes», conclut-il. Selon un expert, parmi les pays pratiquant cette greffe figurent bien sûr la Suède (leader dans ce domaine), le Mexique, le Liban, l’Arabie saoudite, l’Allemagne, la République Tchèque, la Belgique, les Etats-Unis, l’Inde, la Chine, le Brésil, la Turquie et l’Italie.
Marlène Aoun Fakhouri