Fondateur et rédacteur en chef de la revue et du site d’information Janoubia, candidat malheureux aux dernières élections législatives, le journaliste Ali el-Amine est un farouche opposant au Hezbollah. Dans ses bureaux situés en plein cœur de la banlieue sud, à Haret Hreik, le fief du parti chiite, nous l’avons rencontré.
Son nom était déjà fait. Il s’est fait un prénom. Fils de l’uléma chiite Mohammad Hassan el-Amine, le jeune Ali a grandi dans une maison où son père, homme de pensée libre, d’une grande culture, ne ratait pas une occasion pour s’exprimer sur tous les sujets d’actualité, notamment l’occupation israélienne. «Mon adolescence a été marquée par l’occupation israélienne, qui était notre souci majeur. Tout le monde se retrouvait chez nous pour en discuter. Mon père avait une position très claire à ce sujet». Fortement marqué par son père, le jeune Ali l’accompagne souvent dans ses déplacements. «Les condoléances, les mariages, les funérailles étaient autant d’occasion pour s’exprimer sur la situation politique».
Passionné depuis toujours par l’écriture, il envoyait régulièrement ses écrits à la rubrique courrier des lecteurs de l’hebdomadaire al-Chira’h. «Mon père était aussi poète et souvent dans notre maison, on parlait de culture et de poésie en plus de politique. J’étais très influencé par cette ambiance que j’essayais de peindre dans mes écrits. Je lisais régulièrement les journaux. C’était pour moi la source principale d’information».
Il fait ses débuts dans la revue al-Aalam qui paraissait à Londres. «Souvent j’envoyais aussi des articles au quotidien As-Safir». Il collabore également à la page des Affaires (Qadaya An-Nahar) du quotidien An-Nahar dont était responsable Jihad el-Zein. «Cette page était la plus dynamique du journal. Elle attirait des écrivains et des intellectuels syriens opposés au régime et le Nahar a été le premier à leur ouvrir sa tribune. Sur un autre plan, Jihad el-Zein savait comment diriger les débats et les discussions, saisir les idées importantes. Cette expérience m’a enrichi et j’ai beaucoup appris de lui. Il m’a poussé à aller au fond des choses, à poser des questions. Depuis ce temps-là, j’avais une vision critique à l’égard du Hezbollah, de sa culture, de sa manière d’éliminer tout ce qui n’est pas lui et de s’accaparer le monopole de la résistance. J’ai beaucoup écrit dans ce sens». Ali el-Amine évoque un livre écrit en 1997 par l’actuel député Hassan Fadlallah sur l’expérience de la résistance depuis 1983. «J’avais fait une très vive critique de ce livre car il ne parle pas de tout ce qui est résistance avant le Hezbollah alors que la résistance existe bien avant le Parti de Dieu».
Contre l’idéologie religieuse. Son conflit avec le Hezbollah est ancien et revient à la mentalité du parti «qui considère chaque personne ayant des idées différentes de lui comme suspecte». Pour le journaliste, ceci vient de son idéologie qui se veut inspirée d’un background religieux. «Ce n’est pas à moi qu’on parle de religion alors que je viens d’une famille de religieux de père en fils! La religion n’est pas la cause du conflit. Ce sont les idéologies religieuses qui ont créé les différences. Je suis influencé par mon père dans cette affaire. Il avait une vision très claire. Il faisait partie de ceux qui étaient le plus capable de mettre à nu l’idéologie du Hezbollah car il avait la connaissance religieuse et la légitimité que lui conférait son statut. Mon père était une personnalité très en vue au temps de l’occupation israélienne. Il représentait le lien entre Saïda et le reste du Liban-Sud. Il fut arrêté par les Israéliens en juillet 1984 et expulsé vers Beyrouth».
Originaire du village de Chaqra, sa maison a été détruite trois fois par les Israéliens. De Saïda, où il a longtemps vécu, Ali el-Amine a conservé cette ouverture d’esprit. «Saïda est une ville agréable où il fait bon vivre. Il y a une telle sérénité. L’ambiance qui y régnait m’a aidé à comprendre les gens. J’ai vécu dans un environnement diversifié, entre chiites, sunnites et chrétiens. Même des hommes de gauche appréciaient mon père et prenaient plaisir à venir discuter avec lui».
Alors qu’on commence à envisager dans les salons un retrait israélien du Liban-Sud, Ali el-Amine tente d’établir des ponts entre les gens, entre les habitants de Hanin et Aïn-Ebel qui se trouvent à Beyrouth. Il organise plusieurs rencontres chez lui qui donnent l’occasion aux gens de se retrouver. Pour le journaliste, «la variété et la coexistence sont une force et une source de richesse. Ceci nous apprend à réfléchir de manière différente et de voir les choses sous un autre angle».
Entre 2000 et 2003 Ali el-Amine travaille à Dar el-Sayyad et fonde en même temps la revue Chou’oun Janoubia (Les affaires du Sud). «J’ai débuté ce projet avec Kassem Kassir. Notre but était de mettre l’accent sur les régions libérées du Sud, leur développement, etc.… De 1978 à 2000 toutes ces régions étaient soustraites à l’Etat libanais. La vie des habitants des régions occupées alimentait mon imagination. J’étais curieux de savoir comment ils vivaient et passaient leurs temps. J’ai fait plus tard de nombreuses interviews avec ceux qui allaient travailler en Israël. J’aimais les rencontrer, entrer chez eux et discuter avec eux. C’est ainsi qu’est né le mensuel Chou’oun Janoubia».
L’année de la transformation
En 2003, Ali el-Amine travaille au quotidien Al-Balad où il signe un article trois fois par semaine. «C’était au moment où les voix commençaient à s’élever contre l’occupation syrienne». Pourtant sa relation avec le Hezbollah n’a pas toujours été aussi mauvaise. «J’étais en contact avec des membres du parti et je les connaissais bien. Mais après la guerre de juillet 2006, la position du Hezbollah a changé. Il a adopté le principe selon lequel celui qui n’était pas de son avis, était contre lui. Ses membres ont commencé à avoir un sentiment de supériorité et à traiter les gens avec condescendance».
Selon le journaliste, l’année 2006 représente une période de transformation. «C’est devenu un phénomène social. Ils ont crée une animosité envers les autres et ont pratiqué un sentiment de supériorité. Ils ont introduit la notion d’agent israélien et de blasphème politique». Le journaliste relève qu’après 2006, sa relation avec les membres du parti a été totalement rompue. «Certains partisans étaient réticents à me saluer au début, puis leur attitude est devenue plus claire en 2006 et franchement hostile par la suite. Leur Ya Achraf el nass (Les plus nobles) est une notion très dangereuse, comme si l’honneur et la noblesse ne concernaient qu’eux! Mes opinions sont en conflit avec eux. J’ai été victime d’une farouche campagne de diffamation et d’intimidation». Cette attitude ne lui fait-elle pas peur? «Je considère que ce que je fais donne un sens à ma vie. Je suis convaincu que cette attitude est destructrice pour le pays et pour la communauté chiite. S’opposer à cela est une mission sacrée, un devoir important, qui me donne de la force. De nombreuses personnes ont peur et ne disent pas ce qu’elles pensent vraiment. En tant que journaliste, j’avais la liberté de parler et je viens d’une famille connue, qui n’a pas à faire ses preuves. En réalité, toutes les campagnes dont j’ai été victime n’ont fait que me renforcer et me faire connaître du public. Tout cela contribue à me donner de l’assurance et une confiance en moi. Etre le fils de l’uléma Mohammad Hassan el-Amine me donne de la force».
Dans la foulée de la guerre en Syrie, il fonde en 2011 le site d’information al-Janoubia, qui soutient la révolte syrienne et se prononce ouvertement contre l’intervention du Hezbollah en Syrie. En continuant à s’occuper du site, il publie des articles dans le quotidien Nida’ al Watan. Farouchement opposé à la «politique d’élimination» pratiquée par le tandem chiite, Ali el-Amine se porte candidat aux élections législatives de 2018. «Je savais parfaitement que je n’avais aucune chance d’être élu, mais je voulais montrer qu’on pouvait avoir un avis différent alors que le tandem chiite veut étouffer toute voix qui est différente de la sienne».
Le journaliste met en garde contre le danger que représente la pensée du Hezbollah. «Ce halo qui entoure la force du Hezbollah, cache un vide énorme. Il n’y a aucune personnalité de poids, aucune culture. On n’a jamais entendu une poésie ou une pièce de théâtre écrite par ces gens-là. Ils interdisent la musique. Les chiites étaient ouverts et aujourd’hui ils sont renfermés sur eux-mêmes, il n’y a aucun échange, aucune discussion. Comment dans ce contexte peut-on produire une œuvre artistique? Les chiites ne sont pas conformes à l’image que le Hezbollah donne d’eux. Nous essayons de résister à cette situation».
Joëlle Seif