Malgré les difficultés, Salim Habib se veut optimiste. Il est confiant dans les capacités des Libanais, du secteur économique et des banques en particulier, à saisir les opportunités.
Les bilans des banques de la catégorie Alpha sont au vert au 3e trimestre de 2016. On s’y attendait à la suite de l’ingénierie financière de Riad Salamé, dans le cadre de laquelle, banques, clients, BDL (Banque du Liban) et gouvernement ont trouvé chacun son compte. Mais si les banques vont bien, cela signifie-t-il que tout va bien?
Malgré un contexte contraignant, les banques libanaises continuent à présenter des résultats encourageants. Leur résilience, surtout celles de la catégorie Alpha, repose essentiellement sur la particularité macroéconomique du Liban. Ces banques ont su gérer leur position financière en dépit de leur exposition à la dette publique et l’augmentation de la vulnérabilité extérieure. Les banques vont bien, oui; aucun banquier ne peut dire le contraire. Mais, pour être honnête, cela ne signifie pas que tout va bien. Les banques remplissent leur rôle et leur fonction, mais c’est aussi aux autres secteurs d’en faire de même et, surtout, à l’Etat de prendre les mesures nécessaires pour que la répartition des richesses s’effectue de manière plus juste et plus équitable. J’entends par là que les politiques publiques devront jouer pleinement leur rôle. Je retiens les politiques budgétaire et fiscale, qui sont déterminantes pour améliorer les conditions de vie des Libanais. Normalement, le budget et la fiscalité sont conçus dans l’optique de relancer la croissance. Hélas, depuis plus de onze ans, l’Etat opère selon la règle de la douzième provisoire, sans voter une loi de Finance. Cette situation est malsaine et risque de s’aggraver si on n’y remédie pas. La politique monétaire, à elle seule, ne peut pas résoudre tous les problèmes économiques. Elle corrige des tendances et contribue à créer de la croissance. Elle le fait de manière remarquable et professionnelle.
En 2017, la BDL projette d’injecter de nouvelles liquidités sur les marchés d’un montant d’un milliard de dollars. Il s’agira de la 5e opération du genre. La politique de la croissance par le crédit se poursuit. Qu’en pensez-vous?
En l’absence de politiques publiques budgétaire et fiscale, il ne reste que la politique monétaire, en tant que moteur de l’économie, capable de relancer la croissance et de créer des richesses. Le but est de stimuler les investissements, d’encourager la consommation et de résorber le chômage. L’injection d’un milliard de dollars aura des effets multiplicateurs positifs pour l’ensemble des secteurs de l’économie, d’autant que l’inflation est toujours contenue et maîtrisée à des taux très bas. Il est nécessaire de créer de la croissance, car c’est la source de création des richesses. Cette injection des nouvelles liquidités est donc la bienvenue en 2017 pour l’ensemble des secteurs de l’économie et des strates de la société.
L’expansion des banques libanaises à l’étranger n’a pas toujours été concluante. Vingt-deux nouvelles branches de banques Alpha ont ouvert au Liban, alors que 10 branches à l’étranger ont mis la clé sous le paillasson. Pourriez-vous commenter ce fait, sachant que l’IBL a été la première banque à obtenir une licence d’exploitation à Irbil et la deuxième à s’y installer après Byblos Bank?
La conjoncture régionale et le contexte géopolitique représentent des contraintes majeures pour les banques libanaises opérant actuellement au Moyen-Orient. On continue de faire «des tests de résilience» en accord avec la BDL et les banques centrales des pays dans lesquels on opère, pour évaluer les risques existants et potentiels. Il est difficile d’exercer la profession bancaire dans un climat de troubles et d’instabilité permanente. Les risques deviennent de plus en plus menaçants et la prise de décisions plus complexe et incertaine. En ce qui concerne l’IBL (Intercontinental Bank of Lebanon) à Irbil, nous sommes toujours présents et vigilants. Par ailleurs, je souhaite que la paix et la stabilité reviennent dans ce pays et les autres Etats de la région, afin de préparer la reconstruction via de grands chantiers.
La structure des taux d’intérêt connaît des changements. Si les taux créditeurs en dollars sont à la hausse, ceux débiteurs vont suivre la même ascension. Les raisons sont autant exogènes (les taux de la Fed) qu’internes. Quelles sont vos projections à moyen terme?
Le «risque pays» est un élément majeur dans la politique des taux. Les agences de notation se basent sur les différents risques auxquels un pays est exposé pour lui avancer une note qui sera déterminante pour la fixation des taux. Le Liban n’échappe pas à cette règle. Les risques existent toujours. Il suffit d’observer le ratio dette/PIB, qui a dépassé 140%, et le ratio déficit public/PIB, qui avoisine les 8%, pour comprendre que la pression de la dette ainsi que les déficits budgétaires chroniques maintiennent les taux à un niveau assez élevé. Ajoutons à cela que la Fed a augmenté ses taux et envisage, pour 2017, d’autres hausses,
ce qui accentuera la pression sur les taux à moyen terme.
J’aimerais, toutefois, terminer par une vision optimiste de l’avenir. J’ai été convaincu, dès mon jeune âge, par la pensée positiviste. Toute ma carrière professionnelle a été fondée sur le réalisme, le pragmatisme et l’optimisme. Aujourd’hui, avec l’élection d’un président de la République et la formation d’un gouvernement, je suis encore plus confiant dans l’avenir du Liban, de son économie et de son secteur bancaire. Les Libanais sont courageux et entreprenants; ils aiment la vie malgré toutes les difficultés et les contraintes qui se dressent souvent devant eux. Agissons positivement en saisissant les opportunités. Nous obtiendrons toujours de meilleurs résultats.
Liliane Mokbel