Le nombre des stations-services à Achrafié est en régression continue au point où les habitants peuvent parler aisément «d’une disparition des stations-services de quartier» à moyen terme. L’exercice prospectif met l’accent sur la survenue probable de conditions d’accès difficile à l’approvisionnement à proximité en carburant des citadins, voire l’avènement d’un point de rupture. Celles qui restent se comptent sur les doigts d’une seule main et se situent à la périphérie de cette agglomération.
La région résidentielle d’Achrafié ne fait pas figure d’exception. Au contraire, il s’agit d’un mouvement brutal qui s’étend à presque toutes les localités résidentielles ou commerciales de la capitale. La dernière fermeture d’une station-service à Achrafié est toute récente et concerne la grande station d’essence de la rue Messarra, parallèle à celle de la rue Mgr Ghofril, à Fassouh. Le périmètre de la station a été emmuré et les résidants du quartier ont bien compris que le terrain a été vendu et serait destiné à la construction d’une tour.
La problématique réside non pas dans la rareté des stations d’essence, mais dans leur concentration ou leur mauvaise répartition géographique sur l’ensemble du territoire national. C’est l’évaluation de la tension entre la demande et l’offre qu’il s’agit d’aborder, en d’autres termes, le référencement de la provenance et de la destination des utilisateurs, ainsi que leurs habitudes en matière de consommation de carburants.
Evolution du parc roulant
Il n’y a pas de baisse de la circulation automobile et l’usage de la voiture ne perd pas de terrain, surtout en milieu urbain. Ainsi, la demande en carburants routiers n’est pas en train de diminuer. En fait, le transport individuel et privé est massifié dans la capitale libanaise. Un transport en commun organisé et décent est inexistant. De plus, les modes de transport économiques alternatifs, tel le covoiturage, ne rentrent pas dans les mœurs des Libanais, tout comme les transports actifs, comme les déplacements à pied ou à vélo, ne sont pas de mise vu la chaleur et l’inadéquation du réseau routier. Soulignons que l’évolution du parc roulant se fait sur base d’une percée des petites cylindrées moins gourmandes en énergie, mais celles-ci n’affectent en rien la demande soutenue sur la consommation d’essence. Cette argumentation est d’autant plus appropriée qu’il n’y a pas de prémices à un transfert progressif vers les voitures fonctionnant au diesel ou les véhicules électriques.
Parallèlement, l’expérience libanaise a montré que la volatilité du prix du bidon d’essence au cours des deux dernières décades n’avait pas grandement pesé sur la structuration du poste de dépenses allouées à l’achat de carburant par les ménages à moyen et haut revenu. Ce qui revient à conclure que la demande sur l’essence n’est pas tributaire des fluctuations des prix.
Marché saturé
L’industrie des dérivés pétroliers est un marché saturé si l’on compte treize permis d’importation et de distribution émis à des compagnies et un réseau de distribution comprenant près de 2 200 stations-services dûment enregistrées et non moins d’un millier opérant illégalement sans permis, selon les chiffres avancés par BlomInvest. En effet, les grands «majors» pétroliers tendent à optimiser leurs portefeuilles en vendant leurs réseaux de distribution à des détaillants de carburant indépendants. En général, ils préfèrent consolider leurs portefeuilles en cédant leurs actifs immobiliers et en se recentrant sur l’exploitation et la production. Le marché local serait hautement saturé avec une station d’essence chaque trois kilomètres. Certaines sources du milieu estiment que le Liban a sept fois le nombre de stations-services nécessaires à la satisfaction de ses besoins. Toutefois, ces stations d’essence se délocalisent et se réinstallent sur les principaux axes routiers internationaux, ainsi qu’aux entrées nord, sud et est de la capitale. Ce déséquilibre du maillage perturbe la mobilité et le ravitaillement tant des particuliers que des utilitaires dans la capitale. L’énigme de ce phénomène est facile à décrypter, il relève du ratio de rendements sur les actifs immobilisés pour les propriétaires des stations-services.
Le rendement foncier
Ce n’est pas que le fonctionnement des stations-services de quartier n’est pas rentable ou a une rentabilité faible, mais l’investissement dans la construction et la promotion immobilière est juteux dans la capitale. Les raisons reposent sur la politique suivie par l’Etat dans le domaine de l’exploitation immobilière, notamment dans la capitale, où les terrains éligibles à la construction d’appartements ou d’espaces-bureaux deviennent extrêmement rares. Cette rareté des parcelles constructibles à Beyrouth a conduit à une progression exponentielle des prix des terrains et, par conséquent, a contraint le gouvernement à optimiser le levier sur la valeur du foncier. Ainsi, il a planché sur la valorisation de la densité, c’est-à-dire l’augmentation du coefficient d’occupation des sols, qui permet d’améliorer les recettes attendues de l’opération de construction et de dégager ainsi un budget supérieur pour le foncier.
Des stations d’essence sous immeuble
Interrogé par Magazine, le propriétaire d’une série de stations-services dans les banlieues de Beyrouth s’est prononcé contre l’aménagement de pompes à essence sous immeuble ou dans les parkings souterrains, affirmant qu’en France, cette formule est en train de disparaître, présentant de nombreux désavantages. Il y a, a priori, la dangerosité de la promiscuité des pompes à essence et des habitations, qui augmente le risque d’incendie, les nouvelles normes internationales de protection de l’environnement et les maints problèmes qui peuvent surgir en raison des désaccords entre copropriétaires.
Six millions de litres par jour
La moyenne de consommation de carburant par jour au Liban varie entre 5 et 6 millions de litres. Ce volume a enregistré une légère tendance haussière au cours des deux dernières années en raison de l’augmentation du flux de réfugiés syriens. Ce constat a été contredit par un autre importateur de pétrole qui a déclaré qu’il a dû faire face à une baisse de la demande de 20% au cours de la période précitée, à cause, selon lui, du recul du nombre de touristes.
Les prix de vente des dérivés pétroliers sont fixés par le gouvernement. Ils sont publiés le mercredi de chaque semaine et sont calculés sur base de la moyenne des cours internationaux les quatre dernières semaines tels qu’avancés par le référencement de la compagnie Platts. Le bidon d’essence est soumis à une taxe de 7 000 livres incluant la TVA et la taxe douanière.
50% du marché pour 3 sociétés
Les majors qui accaparent plus de 50% du marché des dérivés pétroliers au Liban sont Total, Medco-Phoenicia et Hypco. Les autres importateurs détiennent chacun près de 10% du marché. Ceci n’a aucun rapport avec le nombre de stations-services qui appartiennent à ces majors. Sur le terrain, Medco-Phoenicia possède 320 stations d’essence, Coral 200 et United 189.
Liliane Mokbel