Magazine Le Mensuel

Nº 3068 du vendredi 26 août 2016

general

Genius. Des mots à l’écran

Avec une tête d’affiche portant les noms de Colin Firth, Jude Law, Nicole Kidman et Laura Linney, Genius, signé Michael Grandage, plonge les spectateurs dans l’effervescence littéraire du New York des années 30.

Le scénariste, le réalisateur, les acteurs, les personnages, le biopic Genius emmêle toutes ces ficelles, entre réalité et fiction, cinéma, images et littérature. Genius, c’est l’histoire de l’écrivain américain Thomas Wolfe, auteur notamment de Look homeward, angel, The story of a buried life (L’ange exilé, une histoire de la vie ensevelie) et Of time and the river, a legend of man’s hunger in his youth (Le temps et le fleuve), décédé avant d’avoir atteint la quarantaine; s’il est peut-être tombé, depuis, dans l’oubli, son influence est toutefois considérable sur des auteurs comme Jack Kerouac, Philip Roth et Ray Bradbury. Genius, c’est aussi l’histoire de Max Perkins, un éditeur de génie qui a découvert et donné sa chance à Ernest Hemingway, qui lui aurait dédié son livre Le vieil homme et la mer, à F. Scott Fitzgerald et à Thomas Wolfe, au sein des éditions Scribner. Genius c’est donc avant tout l’histoire de ce lien qui lie Perkins à Wolfe, un lien tout à la fois professionnel et amical, décliné dans toutes ses complexités et ses nuances.
Genius plonge les spectateurs dans les années 30, à New York, au cœur des mots, des textes, des feuillets et des manuscrits, au cœur du cheminement de deux hommes déterminés à faire triompher l’écrit, les histoires qu’il véhicule. Thomas Wolfe, interprété par Jude Law, et Max Perkins, joué merveilleusement par Colin Firth. Deux hommes, deux caractères différents: volcanique, séduisant, agaçant pour le premier, sage, raisonnable et terre à terre pour le second. Tout les oppose, pourtant le lien qui les lie paraît presque indéfectible, au fil de la tourmente des mots et des mots tourmentés.
Au-delà d’un biopic sur un écrivain à la vie aussi volcanique que ses mots et son caractère, Genius nous emmène au cœur de la littérature, tout le cheminement qui mène de la pensée à l’acte, au mot, à l’imprimé, levant le voile sur les coulisses tout autant de l’écriture que de l’édition, et les êtres qui se cachent derrière cette image fantasmée et fantastique. Et derrière ces deux hommes, derrière Wolfe et Perkins, ou plus justement face à eux, il y a deux femmes, Aline Bernstein et Louise Perkins, la maîtresse-compagne de l’écrivain et la femme de l’éditeur. Pour Aline Bernstein, interprétée par Nicole Kidman, au meilleur de sa forme, l’un de ses meilleurs rôles, estime la critique, à l’instar de son interprétation dans The others ou The hours, où elle interprétait Virginia Woolf, une amante cougar, comme on le dit actuellement, qui s’est proposé d’entretenir financièrement l’auteur pour lui permettre d’achever son premier roman. De cette relation ambiguë et torturée, Nicole Kidman extrait toutes les blessures d’une femme amoureuse, poussant même la critique à estimer que son personnage aurait tout autant mérité un film à lui tout seul; une figure qui vient d’un passé pas si lointain que cela et qu’on se plaît à fantasmer. Plus dans l’ombre, la deuxième figure féminine de Genius, Laura Linney qui incarne Louise Perkins, délaissée par son éditeur de mari au profit de son combat professionnel, éthique et passionnel.
C’est au cœur de cette relation complexe entre l’écrivain et l’éditeur que se situe le principal intérêt du film, notamment les scènes où Perkins tente de convaincre son protégé d’effectuer des coupes drastiques dans ses longs textes, Wolfe étant connu pour son écriture prolixe. De déambulations urbaines en espaces clos, la relation se tisse, se fortifie, se métamorphose, de la séduction à l’étouffement, de l’amitié à la paternité. Et entre les deux, entre-temps, l’espace des mots, ceux de Thomas Wolfe.

 

L’ange exilé
«Si Genius a au moins une vertu», dit le producteur du film, John Logan, c’est, je l’espère, de donner envie aux gens d’acheter L’ange exilé et Le temps et le fleuve et de se mettre aussitôt à les lire, Thomas Wolfe (ayant) aujourd’hui presque totalement sombré dans l’oubli». Le projet de Genius remonte à une vingtaine d’années, porté à cœur par le scénariste et producteur John Logan, scénariste notamment de Skyfall, Spectre 007, Gladiator, Hugo Cabret… Depuis qu’il a lu le livre du biographe américain Andrew Scott Berg, Max Perkins: editor of Genius. «Dès ma découverte du livre, affirme-t-il, je me suis dit qu’il fallait que je raconte cette histoire. Etant moi-même auteur, les thèmes de l’histoire résonnaient très fort. Le combat qu’on peut mener avec sa propre réussite, et l’incidence que cette réussite peut avoir sur soi et ses rapports avec son proche entourage me fascinent».
De l’idée à la réalisation, le trajet fut long et difficile. Il a fallu d’abord rencontrer l’auteur, le convaincre, s’atteler à l’écriture du scénario, au choix du réalisateur, des acteurs… C’est donc à Michael Grandage que revient la mission de réaliser Genius. Issu du monde du théâtre, il signe là son premier long métrage, un biopic d’une facture classique qui fait toutefois ressortir encore plus la tempête des mots et des personnages, Max Perkins notamment dans lequel il se reconnaît: «Je pense que le rôle d’un éditeur est proche de celui d’un metteur en scène, dit-il. Il travaille avec des artistes qui ont un talent extraordinaire, mais qui ne savent pas forcément le canaliser, puis il doit se livrer à eux pour gagner leur confiance et leur permettre de donner le meilleur d’eux-mêmes. C’est très proche de ce que je fais avec les comédiens». Et dans Genius, au-delà d’une mise en scène qui ne prend pas beaucoup de risques, il est parvenu à extraire le meilleur de ses acteurs.

Nayla Rached
 

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