Magazine Le Mensuel

Nº 3038 du vendredi 29 janvier 2016

ACTUALITIÉS

Discussions de Genève. L’opposition syrienne sous haute pression

Les pourparlers de paix sur la Syrie, initialement prévus pour le 25 janvier, débuteront finalement ce vendredi. Des divergences persistantes relatives à la composition de la délégation de l’opposition seraient à l’origine de ce report, tandis que sur le terrain, l’armée régulière continue son avancée.

Le nouveau round des discussions pour une solution en Syrie a bien failli de ne jamais avoir lieu. En tout cas, pas à la date prévue. Ces derniers jours auront ainsi été témoins d’un intense ballet diplomatique mené par les Etats-Unis, la Russie et les Nations unies. Initialement prévus pour commencer lundi dernier, le 25 janvier, les pourparlers de Genève devaient débuter ce vendredi, inaugurant six mois de discussions, que l’on imagine sans peine, difficiles.
Ces quelques jours de retard sur l’agenda prévu résultent de divergences persistantes concernant la composition de la délégation de l’opposition qui sera présente en Suisse. Staffan de Mistura, le tenace émissaire spécial des Nations unies sur la Syrie, a lui-même reconnu que «des blocages» persistaient sur ce point.
Sans surprise, la Russie, l’alliée incontournable du régime de Bachar el-Assad, a exigé de compter, au sein de la délégation de l’opposition, des personnalités proches de ses vues. Moscou espérerait la présence à Genève d’hommes comme l’opposant modéré Haïtham Manna, l’ancien vice-Premier ministre, Qadri Jamil, entre autres.
Un impératif bien évidemment rejeté par le Haut comité des négociations (HCN) issu de la réunion de Riyad, début décembre 2015, et qui avait rassemblé une centaine de représentants politiques et militaires d’opposition. Le 20 janvier, Riad Hijab, désigné coordinateur général de la coalition par ses pairs, avait déjà souligné: «Nous ne pouvons pas aller aux négociations, alors que notre peuple meurt de faim et vit sous les bombardements». L’ancien Premier ministre syrien avait ainsi rattaché une participation aux pourparlers à la mise en œuvre immédiate de mesures humanitaires, telles que prévues initialement par la résolution 2254. Une demande à laquelle Moscou a fait la sourde oreille, des bombardements de l’aviation russe tuant entre vendredi et samedi derniers, 90 personnes dans l’est du pays.
 

Pressions américaines
Autre obstacle, l’insistance de la Russie à imposer une participation des Kurdes aux futures négociations. Dans une conférence de presse, organisée mardi, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a martelé: «Sans le principal parti kurde syrien, (le PYD, ndlr), sans ses représentants, les négociations ne peuvent pas donner le résultat que nous voulons, à savoir un règlement politique définitif». Toutefois, a précisé Lavrov, si le Parti de l’union démocratique de Saleh Muslim n’était pas convié à Genève, Moscou ne mettra pas pour autant son veto. La coalition de l’opposition syrienne avait, à l’issue de la réunion de Riyad, exclu de facto le PYD, comme d’autres factions rebelles armées. Ce parti kurde, s’il est soutenu militairement par les Etats-Unis, reste considéré par la Turquie comme une branche du PKK turc, estampillé organisation terroriste par Ankara. Mardi, le Premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, a refusé «catégoriquement que le PYD et les YPG soient assis autour de la table».

 

Avancées du régime
A l’heure où nous écrivions, aucune liste concernant la composition de ladite délégation de l’opposition n’avait filtré. Sans doute pour ne pas ajouter au trouble, Staffan de Mistura avait refusé, dès lundi, de donner des détails sur les personnalités et groupes qui seraient finalement invités à Genève.
Si les désaccords entre le HCN et la Russie sur la composition de la délégation de l’opposition, étaient, finalement, prévisibles, ceux avec les Etats-Unis l’étaient, en revanche, beaucoup moins. Selon un membre de l’opposition, la rencontre entre le chef de la diplomatie américaine, John Kerry, et Riad Hijab aurait été «une catastrophe». Le secrétaire d’Etat américain aurait, selon cette source, relayée par Le Monde, «présenté une lettre d’exigence de la Russie et de l’Iran et menacé de lâcher l’opposition si elle ne s’engageait pas à les respecter». «Il a bien insisté sur le fait que le seul objectif américain en Syrie était la lutte contre l’Etat islamique». Parmi les exigences, «la tenue de discussions de proximité» − et non plus directes −, mais aussi la création, à une échéance de six mois, «d’un gouvernement d’union nationale» et non plus de transition, ou encore la possibilité pour Bachar el-Assad de participer à l’élection présidentielle au terme de la période transitoire de 18 mois.
Il n’en fallait pas plus, on l’imagine, pour mettre le feu aux poudres, côté opposition. «Lâchée» par les Etats-Unis, elle ne se sentirait plus soutenue que par ses alliés régionaux de la première heure, à savoir l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, ainsi que par la France. Le journaliste du Figaro, Georges Malbrunot, relayait les «confidences» d’un diplomate onusien qui estimerait que «les Français sont les ayatollahs des négociations de Genève. Plus que les Saoudiens et les Turcs». «Les Français ne veulent pas entendre parler d’autres opposants que ceux de Riyad», selon ce diplomate. Par ailleurs, Malbrunot relate, toujours selon la même source, que «John Kerry est très remonté contre Riad Hijab», car celui-ci «a annoncé la nomination de Mohammad Allouche à la tête des négociateurs anti-Assad dix minutes avant une rencontre Kerry-Lavrov». Mohammad Allouche, qui n’est autre que le cousin de Zahrane Allouche, chef de Jaïch el-Islam, tué par une frappe du régime le 25 décembre et à l’origine du bombardement de l’ambassade de Russie à Damas.
En visite au Laos, lundi, John Kerry a manifestement tenté de minimiser les dissensions avec les membres de l’opposition, évoquant des «rumeurs» et des «tensions» normales, dans ce contexte.
Les négociations qui doivent s’ouvrir ce vendredi, et dont Staffan de Mistura espère qu’elles seront une «success-story à la genevoise», s’annoncent, dans tous les cas, compliquées. Et seront à observer en parallèle avec les évolutions sur le terrain.
Le régime de Bachar el-Assad, conforté par le soutien militaire de la Russie, de l’Iran et des milices chiites, continue sa progression. Lundi soir, on apprenait que les forces régulières, soutenues par l’aviation russe et le Hezbollah libanais, s’étaient emparées de la ville de Cheikh Meskine, dans la province méridionale de Deraa, près de la frontière jordanienne. Une victoire clé, la ville constituant un carrefour stratégique menant au nord à Damas et à l’est, à la ville de Soueida, toutes deux tenues par le régime. Toutefois, la majorité de la province de Deraa reste aux mains des rebelles, issus surtout du Front al-Nosra. Les troupes du régime ont aussi progressé sur plusieurs fronts, dont celui de Lattaquié, au nord-ouest, et d’Alep, au nord.
Dimanche, les forces du régime se sont emparées de la localité de Rabia, qui constituait le dernier bastion rebelle stratégique dans la province de Lattaquié. Rabia était aux mains de l’opposition depuis 2012, en grande partie contrôlée par des groupes rebelles, composés de Turkmènes syriens et du Front al-Nosra. Là aussi, les frappes russes auraient joué un rôle crucial dans cette victoire. La prise de Rabia permet aux troupes loyalistes de couper les routes de ravitaillement des rebelles de la frontière turque vers le nord de la Syrie.
Néanmoins, la partie est loin d’être gagnée pour les forces fidèles au régime. Mardi, un double attentat suicide a été revendiqué par l’Etat islamique contre un barrage militaire dans le quartier de Zahra, à Homs, tuant au moins vingt-cinq personnes, dont quinze soldats pro-régime.

Jenny Saleh
 

Al-Nosra, plus dangereux que Daech?
Alors que les efforts des coalitions engagées en Syrie portent essentiellement sur l’éradication de l’Etat islamique, un rapport de l’Institute for the Study of War et de l’American Enterprise Institute vient semer le doute. Selon les auteurs du rapport, parmi lesquels Fred Kagan, architecte de la «stratégie de projection en Irak» et Kim Kagan, ancienne conseillère du général David Petraeus, la filiale syrienne d’al-Qaïda, le Front al-Nosra, représenterait une plus grande menace pour les Etats-Unis que Daech, sur le long terme.
«Des attaques conjointes des deux organisations terroristes pourraient menacer l’économie mondiale et provoquer les sociétés occidentales à instaurer des restrictions intransigeantes en termes de libertés et de droits civils, créant ainsi un risque pour les valeurs et le mode de vie américains», indique le document.
«Bien qu’à l’heure actuelle le Front al-Nosra n’organise pas d’attaques en Occident, contrairement à Daech, il a un potentiel au moins tout aussi puissant», souligne Kim Kagan. «Al-Nosra se répand tranquillement au sein de la population et de l’opposition syriennes. Il attend son heure pour prendre le contrôle du jihad mondial, qui tombe aujourd’hui des mains de Daech», ajoute la politologue. D’après Kagan, al-Nosra a pris la décision tactique de ne pas attaquer l’Occident pour l’instant. «La priorité du commandement d’al-Qaïda consiste à assurer les succès en Syrie et à éviter de devenir une cible des USA», précise-t-elle dans le rapport.

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