Magazine Le Mensuel

Nº 2945 du vendredi 18 avril 2014

ACTUALITIÉS

Ukraine. Scénario de guerre civile

Depuis le retour de la Crimée dans le giron russe, par décision référendaire, la tension est encore montée d’un cran dans l’est de l’Ukraine, entre les pro-russes et les partisans d’une Ukraine unie. Avec, en filigrane, les luttes d’influence entre Moscou et l’Occident, qui campent chacun sur leur position.
 

Après le relatif apaisement qui a suivi le retour de la Crimée russophone dans le territoire russe le 16 mars dernier, par décision référendaire de ses habitants, la tension est de nouveau remontée ces derniers jours, du côté est cette fois de l’Ukraine. Dans un scénario que les observateurs occidentaux estiment similaire au précédent criméen, de nombreux groupes pro-russes, ainsi que des hommes armés non identifiés s’en sont pris, en fin de semaine dernière, à plusieurs commissariats de police et bâtiments municipaux, dans la province de Donetsk. A Slaviansk, ces groupes se sont ainsi emparés des bâtiments de la police, des services de sécurité et de ceux de la municipalité, après des assauts violents contre les forces de l’ordre présentes. Et en début de semaine, la ville paraissait toujours aux mains de ces groupes pro-russes, fermement décidés à ne pas céder. L’un des chefs de ces «terroristes», tel que le gouvernement transitoire de Kiev les a surnommés, Viatcheslav Pnomarev a même lancé, depuis son bastion, un appel à l’aide à Moscou. «Nous demandons à la Russie de nous protéger et de ne pas permettre un génocide de la population du Donbass. Nous demandons au président Poutine de nous aider (…) contre les fascistes au pouvoir à Kiev», a-t-il clamé. Soutenu au centre-ville de Slaviansk, par un millier d’habitants qui annonçaient qu’ils resteraient sur place tant qu’un référendum sur le rattachement de la province à la Russie ne serait pas organisé.
Les assauts et attaques de la part de groupes armés pro-russes se sont ainsi multipliés tout le week-end et en début de semaine dans la province de Donetsk, finissant parfois dans un bain de sang, comme à Slaviansk.
 

Ultimatum sans effet
Mardi, on recensait que pas moins de sept villes de l’est étaient aux mains des «insurgés».
Et ce, malgré l’ultimatum lancé depuis Kiev, dimanche matin par le président par intérim, Olexandre Tourtchinov, qui proposait l’amnistie contre la fin des violences. Il avait également annoncé une «opération terroriste de grande envergure» afin de reprendre l’avantage face aux groupes pro-russes et surtout de restaurer l’intégrité du territoire ukrainien. Lundi à 8 heures, l’ultimatum expirait, sans avoir convaincu les groupes séparatistes.
Après ces menaces d’intervention militaire, restées lettre morte, le président ukrainien par intérim a semblé lâcher du lest, lundi, en donnant, pour la première fois, un signe d’ouverture. Il a ainsi évoqué l’organisation d’un référendum national sur la partition du pays, simultanément avec l’échéance présidentielle anticipée, prévue le 25 mai. Tourtchinov s’est dit certain que «la majorité des Ukrainiens se prononceraient pour une Ukraine indivisible, indépendante, démocratique et unie». Mais ce référendum ne correspond pas aux demandes des partisans du fédéralisme dans les régions russophones, qui souhaitent, eux, l’organisation de scrutins locaux, plus avantageux pour leur cause qu’un scrutin national.
Si sur le terrain, les tensions sont extrêmement vives, côté diplomatie, on assiste également à un véritable bras de fer entre la Russie et l’Ukraine soutenue par l’Union européenne et les Etats-Unis.
Accusé par le gouvernement ukrainien pro-européen et ses alliés occidentaux de soutenir les groupes pro-russes dans l’Est, mais aussi de vouloir démembrer l’Ukraine, le président russe Vladimir Poutine a fait part de sa «grande inquiétude» concernant la situation. La Russie a ainsi demandé une réunion urgente du Conseil de sécurité de l’Onu, dimanche soir, qui a vite tourné au dialogue de sourds. Les Occidentaux, d’un côté, ont accusé Moscou d’avoir orchestré la tension dans l’est de l’Ukraine, tandis que les Russes mettaient Kiev en demeure de «cesser d’utiliser la force contre le peuple ukrainien». Le Kremlin a par ailleurs confirmé que Valdimir Poutine recevait «de nombreuses demandes» d’aide des régions de l’Est ukrainien et suivait la situation avec inquiétude. Des déclarations qui suscitent l’appréhension, à l’Ouest, faisant craindre aux Européens et Américains, qui soutiennent activement le gouvernement ukrainien, une intervention russe. La Russie ayant massé jusqu’à 40 000 hommes à la frontière, selon des chiffres avancés par l’Otan et l’Onu.

 

Poutine intraitable
Pour tenter de faire plier Moscou, la Maison-Blanche et l’Union européenne ont décidé lundi d’élargir leurs sanctions à d’autres membres de l’entourage de Vladimir Poutine, ce qui n’a pas semblé effrayer davantage les dirigeants russes.
Au premier plan, malgré son peu d’intérêt envers l’Ukraine, le président américain, Barack Obama, s’est entretenu, depuis, à plusieurs reprises avec son homologue russe. Mardi matin, on apprenait que le président américain avait rappelé à Vladimir Poutine «l’importance que la Russie retire ses troupes de la frontière avec l’Ukraine afin de faire retomber les tensions», menaçant la Russie de nouvelles sanctions. Il aurait aussi demandé à son homologue d’user de son influence avec les groupes armés pro-russes «pour les convaincre de déposer les armes». Les Etats-Unis ont dans le même temps annoncé qu’ils accordaient une garantie de crédit d’un milliard de dollars à l’Ukraine. Une somme qui viendra s’ajouter au prêt d’environ un milliard d’euros accordé par l’Union européenne, au terme d’une réunion des ministres européens des Affaires étrangères lundi.
Devant les accusations d’ingérence et d’escalade de la part des Européens, comme des Américains, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a dénoncé «l’hypocrisie (des Occidentaux) qui dépasse les bornes». «Nous demandons depuis longtemps (…) une réaction adéquate. Nous avons clairement dit que le recours à la force (…) remettrait sérieusement en question les perspectives de coopération dans le règlement de la crise. Nous n’entendons aucune réaction. Nous n’entendons que des appels à la Russie pour qu’elle cesse de s’ingérer», a-t-il déclaré. «On peut se souvenir que la violence sur le Maïdan, qui s’est soldée par des dizaines et des dizaines de morts, était qualifiée de démocratie, alors qu’on parle de terrorisme à propos des manifestations pacifiques qui ont lieu maintenant dans le sud-est», a ajouté Lavrov.
En parallèle, Moscou a dénoncé la visite du chef de la CIA à Kiev, durant le week-end, et demandé des éclaircissements à ce sujet, auxquels Washington a opposé une fin de non-recevoir. John Brennan y aurait rencontré le gouvernement par intérim, ainsi que les chefs des forces de l’ordre. Dans un commentaire accordé à l’agence de presse russe, Ria Novosti, le journaliste américain George Mapp, spécialisé dans les enquêtes sur les activités des services de renseignements et les questions de sécurité, a considéré cette visite comme une démarche logique dans le contexte du grand jeu géopolitique.
Mapp a qualifié la situation de «partie d’échecs cruciale et délicate jouée par tous les pays impliqués». Selon lui, l’un des objectifs des Etats-Unis consiste à détourner l’attention de la Russie de la question syrienne, tandis que dans sa confrontation avec l’Occident, Moscou pourrait montrer au monde entier, notamment aux pays du groupe Brics, qu’il est capable d’infliger un préjudice à l’économie et à la monnaie américaines. D’après Mapp, «il est fort probable que la CIA soit non seulement impliquée dans les manifestations, mais qu’elle les ait directement orchestrées et dirigées depuis le début». «Le scénario ukrainien qui se déroule ces derniers mois porte l’empreinte claire de la CIA», affirme aussi le journaliste.
Quant à savoir jusqu’où ira ce bras de fer et si l’escalade pourrait plonger l’Ukraine dans une guerre civile, les analyses divergent.
Dans Le Figaro, Ian Bremmer, président du think-tank Eurasia Group, ne croit pas au scénario d’une confrontation militaire dans lequel les Etats-Unis s’impliqueraient, «tout simplement parce que l’engagement militaire est exclu par la Maison-Blanche». Selon lui,  «Les Américains vont aider l’Ukraine économiquement et renforcer la défense de leurs alliés de l’Otan, mais Obama a infiniment moins d’intérêt pour l’Ukraine que Poutine», ce qui crée «un réel avantage pour la Russie». Mis à mal sur le plan international pour son inaction (notamment en Syrie) et son manque de résultats, le président américain tente de faire bonne figure. Washington pourrait ne pas s’opposer frontalement à la Russie, dont il a besoin dans les dossiers iranien et syrien.
Concernant les objectifs de Vladimir Poutine, les analystes s’accordent pour souligner que son idée fixe est de restaurer la grandeur russe. En créant une Union eurasiatique, avec en son sein, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, l’Arménie et au moins une partie de l’Ukraine. Une Union eurasiatique qui permettrait de contrebalancer l’influence de l’Union européenne, qui fait du surplace depuis plusieurs années. Toutefois, dans L’Express, la chercheuse au CNRS, Marie Mendras, estime que le «Kremlin n’a aucun intérêt à un rattachement formel des régions de l’est de l’Ukraine à la Russie. Mais il veut les mettre sous tutelle, les détacher de l’orbite de Kiev». D’où l’intérêt de la Russie pour la «fédéralisation» de l’Ukraine. Cela permettrait aux provinces ukrainiennes de se développer plus librement, et ainsi d’affaiblir le pouvoir central de Kiev.
C’est sans doute ce scénario qui devrait être mis en avant par Moscou, lors des pourparlers de jeudi à Genève, qui devaient réunir autour d’une même table l’Ukraine, la Russie, les Etats-Unis et l’Union européenne. Pas sûr qu’il soit accepté par les autres parties…  


Jenny Saleh
 

Bagarre au Parlement ukrainien
Triste image que celle donnée par les parlementaires ukrainiens le 8 avril dernier. Alors qu’il exprimait sa colère face au gouvernement transitoire, Petro Symonenko, un député communiste, a été interrompu par deux élus du parti d’extrême droite Svoboda, ainsi que des hommes de la sécurité du Parlement. Le député communiste reprochait aux nationalistes leur rapprochement avec Moscou, alors que l’Assemblée débattait des manifestations pro-russes dans l’est du pays. Ce différend de points de vue a déclenché de violents affrontements entre les parlementaires, qui en sont venus aux mains. Les coups de poings ont volé entre les adversaires politiques qui se sont vu soutenir par leurs camarades respectifs. Résultat, une bagarre générale en plein Parlement, alors que le pays traverse une crise grave, comme cela s’était déjà produit en février dernier.

La diplomatie sur Google Maps
Le service de cartographie sur Internet, Google Maps, a décidé d’user de diplomatie. La Crimée, rattachée à la Russie depuis le 18 mars par décret, apparaît ainsi de trois manières différentes sur le site Web. Sans doute afin de représenter au mieux la discorde autour du statut de ce territoire, auparavant ukrainien. Afin de ne pas s’attirer les foudres de l’Ukraine, mais aussi de la Russie, Google a ainsi décidé de faire apparaître la Crimée différemment, selon l’origine géographique des utilisateurs de Google Maps. Les internautes russes peuvent ainsi visualiser une Crimée distinctement séparée de l’Ukraine par une frontière. Les utilisateurs ukrainiens, eux, se voient proposer une autre carte de leur pays, avec une Crimée restée ukrainienne. Enfin, pour les internautes des autres pays du monde, Google Maps a élaboré une carte, où une délimitation en pointillés sépare la Crimée de l’Ukraine.

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