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Nº 3028 du vendredi 20 novembre 2015

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Etat d’urgence et menaces persistantes. Paris, meurtri, refuse de sombrer

C’est de loin l’attaque la plus meurtrière que la France ait connue. Au lendemain d’un double attentat suicide dans la banlieue sud de Beyrouth, qui a coûté la vie à 43 personnes, c’est au tour de Paris d’être la cible de la barbarie de Daech. A peine remise des événements de janvier dernier, qui avaient vu la rédaction de Charlie Hebdo décimée par les frères Kouachi et les meurtres de clients d’un supermarché Cacher situé porte de Vincennes, la France est de nouveau en deuil. Les Français vivent désormais sous l’état d’urgence.

 

Marguerite Silve, Paris
Il ne suffira pas de quelques semaines pour apaiser les esprits. Les attentats de la semaine dernière à Paris ont atteint un tel niveau de violence (129 morts et 352 blessés) qu’il semble difficile d’envisager un retour à la vie normale, du moins rapide. Echaudée par la tuerie de Charlie Hebdo, le 7 janvier dernier, qui avait engendré une immense vague d’émotion à travers le pays et des mobilisations massives («Je suis Charlie»), la France fait aujourd’hui face à un terrorisme qui repousse les limites de l’impitoyable en s’attaquant cette fois à de simples civils. Appuyer là où cela fait mal, le groupe «Etat islamique» l’a bien compris en mitraillant froidement à l’AK-47 ces personnes venues prendre un verre en ce soir de match sur les terrasses de la rue Bichat (Xe), Fontaine au roi (XIe) et Charonne (XIe). Boulevard Voltaire (XIe), un kamikaze fait sauter sa ceinture d’explosifs, alors que la serveuse prend sa commande. L’explosion défigure deux clients et blesse la serveuse à l’abdomen.
Des scènes de panique, des cris, des larmes et du sang versé, voilà ce que laissent derrière eux les «soldats du califat» autoproclamé d’Abou Bakr el-Baghdadi. Laura, résidante de la rue Marie et Louise, à proximité de la rue Bichat, a tout vu de sa fenêtre. «J’étais en train de travailler et j’ai d’abord cru à des pétards… puis, soudain, le bruit est devenu assourdissant et j’ai compris qu’il se passait quelque chose. J’ai ouvert la fenêtre et j’ai vu des corps gisants qui gesticulaient. Je devinais des flaques de sang, les gens couraient partout et criaient à l’aide… c’était terrifiant».
Quelques minutes plus tard, le Bataclan, célèbre salle de spectacles parisienne, est investi par quatre assaillants non masqués, armés de kalachnikovs. Ils tirent à l’aveugle dans la foule et sont munis de ceintures d’explosifs qu’ils finissent par actionner. Le bilan de la tuerie est effroyable, 89 morts.

 

Paris, désert, se recueille
Le jour se sera finalement levé sur la capitale, saignée à blanc par les meurtres de la veille. Dans les rues désertes, la plupart des commerces sont fermés et quelques rares passants, sortant acheter leur pain, promènent leurs chiens ou descendent leurs poubelles. Une matinée presque normale en ce samedi 14 novembre et pourtant… sur les visages on peut lire l’incompréhension, la tristesse, le repli sur soi. Dans les rues et en voiture, les regards se croisent et se questionnent, sans jamais s’adresser la parole, témoignant d’un traumatisme omniprésent. Sur les écrans des cafés restés ouverts, les chaînes d’information en continu diffusent en boucle les images tragiques de la soirée et donnent des informations supplémentaires aux téléspectateurs. Le président de la République, François Hollande, a décrété la veille l’état d’urgence, une première depuis la guerre d’Algérie, et trois jours de deuil national. Au fil de la journée, rythmée par les déclarations des responsables politiques et les annonces successives des décès, les rassemblements spontanés se multiplient dans la capitale malgré l’interdiction des services de police. Des bougies, bouquets de fleurs et messages de soutien en plusieurs langues s’entassent devant les cafés, encerclés par les rubans de balisage de la police. Les passants venus se recueillir sont émus, certains en larmes, d’autres recherchant le besoin de parler, d’exprimer leur ressenti, ou tout simplement d’être là. A ce moment précis une question se pose… comment en est-on arrivé là? Comment peut-on être ivre d’Allah au point de commettre l’irréparable? Pourquoi des civils innocents? «Je suis la France, je suis Paris, je suis musulmane, mais je ne suis pas Daech», peut-on lire sur une feuille, scotchée sur un poteau. A quelques mètres de là, aux abords du Bataclan, les passants venus rendre hommage arpentent le boulevard Voltaire, regroupés derrière les barrières qui verrouillent le périmètre.
Margaux, parisienne partie faire ses études à Lyon et venue pour le week-end, raconte: «J’ai l’impression d’être dans une bulle depuis deux jours. C’est surréaliste… Je n’arrive pas à réaliser ce qui s’est passé. Je suis en colère et triste». Pour les établissements restés ouverts au public, la majorité des terrasses sont vides, à de rares exceptions près. Un logo «Je suis en terrasse», calqué sur le modèle du célèbre «Je suis Charlie» a été posté sur les réseaux sociaux, peu de temps après les attaques.

 

Fausses alertes et panique
Samedi 14 novembre, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, annonce l’ouverture d’une enquête pour déterminer l’identité des auteurs. C’est chose faite, avec de nombreuses perquisitions en France dès le lendemain, apaisant quelque peu les tensions. «C’est bon ils bossent, Toulouse, Lyon, Bobigny», comme en témoigne un SMS reçu ce jour-là. Au fur et à mesure que le week-end passe, Paris tente de se remettre de ses blessures. Le répit sera de courte durée. Dimanche, aux alentours de 19h, la place de la République (où se tient une foule venue se recueillir) est évacuée après une alerte à la fusillade. Aussitôt les réseaux sociaux s’affolent et parlent de tirs également entendus à Belleville (dans le XXe) et dans le quartier du Marais (IVe et IIIe). Quai de Jemmapes, dans le Xe arrondissement de la capitale, le skate-parc du quartier se vide en quelques minutes et ses occupants se réfugient dans les halls d’immeubles avoisinants. Les habitants, rentrés s’abriter, s’interrogent sur la situation, confuse. Ce sera finalement une fausse alerte… aux pétards.
En revanche, mercredi 18 novembre, le danger était bien réel. A l’aube, des coups de feu nourris éclatent à Saint-Denis, au nord de Paris. Les riverains ne savent pas ce qui se passe. Des forces de police encerclent un appartement squatté, où se sont réfugiés plusieurs suspects. Les policiers donnent deux fois l’assaut, dans un fracas d’armes automatiques et d’explosion. Une femme kamikaze se fait sauter. Soudain, Paris redevient désert, les habitants se barricadent dans leurs appartements, les sirènes hurlent. Le cauchemar n’est donc pas terminé.

 

La riposte de la France
La réponse de la France ne s’est pas fait attendre. Dès dimanche soir, l’aviation française envoie dix chasseurs frapper de plein fouet la ville syrienne de Raqqa, fief de Daech. Deux sites sont ainsi visés, un centre de commandement utilisé par l’EI comme centre de recrutement et dépôt d’armes, et un site industriel inachevé abritant «un camp d’entraînement terroriste», selon un communiqué de la Défense. Cette opération a été coordonnée avec les forces américaines. En France, l’opération est largement savourée par les Parisiens. «C’est indispensable dans l’esprit de tout le monde… Cela montre qu’on ne se laisse pas faire, qu’on est forts!», peut-on entendre dans les discussions ce soir-là.
Les avions français lanceront deux autres vagues de raids, lundi à l’aube et dans la nuit de mardi à mercredi.
Trois jours après les attaques, une minute nationale de silence est observée. Lundi, dans chaque école, mairie, et autres bâtiments administratifs, ainsi qu’à l’Assemblée nationale, les Parisiens se regroupent pour rendre hommage aux victimes. Dans la capitale endeuillée, les drapeaux sont en berne, mais le message d’humanité et l’esprit de solidarité générale sont impressionnants. Le soir-même, la Tour Eiffel, symbole de la ville à travers le monde et qui fait la fierté des Parisiens, s’illumine en tricolore, porteuse de la devise municipale «Fluctuat nec mergitur» (qui signifie «Il (le bateau) est battu par les flots mais ne sombre pas»), devenue un véritable slogan de résistance.
Depuis les événements, les commerces ont rouvert et les terrasses se remplissent… peu à peu. Déterminés à combattre le terrorisme et la barbarie, les Parisiens ne comptent pas rester immobiles. Commencer par vivre, tout simplement.

M.S.

 

Trévidic dénonce le laxisme
Interrogé par de nombreux médias français, au lendemain des attaques, l’ancien juge antiterroriste, Marc Trévidic, dénonce sans langue de bois le laxisme des dix dernières années dans la lutte contre le fondamentalisme et, plus encore, des deux dernières: «Pendant trois ans, on a laissé grossir un monstre, personne n’a rien fait». Il a également mis en garde contre la «capacité de projection (des terroristes) et celle à gâcher du personnel. Je pense que si l’émir de l’Etat islamique en Syrie demandait à main levée qui veut faire un attentat en France, 200 bras se lèveraient…», prenant pour exemple les cas de l’avion russe abattu dans le Sinaï et celui de l’attentat de Beyrouth. Il insiste également sur la fermeté à avoir dans la lutte contre le salafisme, invitant la population à «ne pas avoir peur des mots». L’ancien juge fustige l’ambiguïté des sociétés modernes, qui «sont copines avec des gens qui ont une idéologie très proche» de Daech, notamment «l’Arabie saoudite et le Qatar», sous prétexte que ces derniers mènent une économie libérale. Pointant du doigt la politique étrangère américaine, il souligne un «paradoxe total (…) On adore les fondamentalistes religieux s’ils sont libéraux économiquement, c’est leur credo. Tant que nous ne sortirons pas de cela… où sont nos valeurs? On serre la main à quelqu’un qui voile intégralement sa femme sous prétexte qu’il nous achète des armes et nous vend du pétrole?». Il ajoute: «Il faut lutter contre cette idéologie et tous ceux qui la propagent ne sont pas nos amis».

 

 

 

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