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Nº 3006 du vendredi 19 juin 2015

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Khalil Karam, ambassadeur du Liban auprès de l’Unesco. Un monument moderne libanais serait classé

Magazine a rencontré, à Paris, l’ambassadeur Khalil Karam, délégué permanent du Liban auprès de l’Unesco, pour en savoir plus sur le rôle du Liban dans cette institution dont le pays du Cèdre a été l’un des vingt membres fondateurs au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
 

Vous êtes un fervent défenseur de la francophonie. Pensez-vous qu’elle soit en perte de vitesse au Liban parmi la jeune génération?
En 2010, le Liban a été le premier signataire d’un pacte linguistique avec l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) au sommet de Montreux en Suisse. Cela constitue un symbole très important car, ainsi, le Liban, benjamin de la famille francophone, donne l’exemple dans ce domaine. Ce pacte stipule que pour les Libanais francophones, la langue française est une «langue seconde». Et pour les anglophones, elle sera enseignée comme langue étrangère. Sur le plan statistique, les élèves inscrits dans des établissements francophones au Liban représentent 65% de la population estudiantine. Mais le problème n’est pas le nombre, mais plutôt la qualité de l’enseignement du français. Or, le niveau de la langue n’a cessé de se détériorer de génération en génération. Une détérioration notamment due à la guerre. C’est la raison pour laquelle en 2011 nous avons engagé le Liban dans un programme de mise à niveau des enseignants (Ifadem). Ce programme est soutenu par l’OIF et piloté par l’Agence universitaire pour la francophonie (AUF). Le Liban-Nord fut choisi comme région pilote. Les formations y ont été très bien accueillies et les écoles de cette région ont applaudi cette initiative. Le Liban a joué un grand rôle dans la francophonie dans la mesure où nous ne voulions surtout pas être perçus comme étant en train de combattre la langue anglaise. Le Liban a été le promoteur du multilinguisme à l’OIF. Cela a inspiré le slogan de celle-ci: promouvoir la diversité linguistique. On ne défend pas la langue française en faisant la guerre à l’anglais, mais en œuvrant pour que les jeunes Libanais soient parfaitement trilingues! Car le Liban est un pays d’échanges et de services où parler plusieurs langues est une chose essentielle.

Quel est le taux d’analphabètes au Liban?
Il est presque inexistant! L’analphabétisme existe parmi les réfugiés qui affluent vers le Liban, mais il ne concerne pas les citoyens libanais, sauf pour quelques cas isolés.

Le Liban fut, en 1946, l’un des 20 pays fondateurs de l’Unesco. Quel rôle joue-t-il au sein de cette institution aujourd’hui?
Le petit Liban a toujours eu un grand rôle à l’Unesco. Pour commencer, la première conférence générale de l’Unesco en dehors du siège a eu lieu à Beyrouth en 1948! C’est à l’occasion de cet événement que le Palais de l’Unesco y a été construit.
Aujourd’hui encore, la délégation du Liban est très active au sein de l’Unesco dans tous les domaines: l’éducation, la culture, le patrimoine, les sciences… Le nombre de candidates libanaises qui postulent au concours Women in Sciences qu’organise l’Unesco conjointement avec L’Oréal le prouve. Un concours auquel participent des chercheuses du monde entier.
Ces deux dernières années, le Liban a présidé la conférence des Etats sur le patrimoine subaquatique. Ce domaine est très important pour nous, le Liban ayant un patrimoine subaquatique énorme qui date de l’époque des Phéniciens jusqu’à nos jours. Pendant la présidence du Liban, nous avons convaincu plusieurs Etats de signer la convention pour la protection du domaine subaquatique. Le problème de la préservation du patrimoine subaquatique libanais du XIXe siècle est lié au fait que celui-ci se trouve dans un périmètre limitrophe de la Syrie. Par exemple, nous avons un bâtiment anglais, le HMS Victoria, vaisseau amiral de la marine anglaise, qui est échoué depuis 1893 au large de Tripoli. Ce qui fait son intérêt est qu’il est le seul navire de guerre échoué en position verticale et resté dans un état intact! Le but est de le préserver pour que, dans l’avenir, des plongeurs du monde puissent venir l’admirer. D’ailleurs, l’Etat libanais œuvre dans ce sens. Il y a également plusieurs bateaux, notamment ceux appartenant à la France de Vichy, coulés au large de Beyrouth pendant la Seconde Guerre mondiale.

Qu’en est-il des vestiges phéniciens?
Les vestiges phéniciens sont parsemés le long de la côte libanaise. Il y a une Anglaise qui s’est passionnée pour ces vestiges. Honor Frost était une archéologue et plongeuse qui a vécu près de 100 ans et qui a consacré sa vie à ces vestiges. Pépé Abed, lui-même centenaire, avait dit: «Il faut être plongeur pour vivre 100 ans!». Madame Honor Frost était tombée amoureuse du Liban. Elle a constitué une fondation à Londres dont le but est d’explorer le patrimoine subaquatique. Le Liban collabore à travers le CNRS avec cette fondation pour préserver son patrimoine.

Que peut faire l’Unesco pour préserver des sites archéologiques en péril comme Palmyre?
Malheureusement, l’armée de l’Unesco n’existe pas encore… Nous ne pouvons que lancer des mises en garde en mettant en avant le fait que ce site ne concerne pas uniquement les Syriens, mais l’humanité entière… (appel de la directrice générale Irina Bokova au Musée national de Beyrouth le 15 mai 2015). En revanche, nous œuvrons afin de contrer les trafics d’œuvres d’art en poussant les pays limitrophes à contrôler leurs frontières. Le ministère de la Culture, les forces armées et les douanes au Liban font beaucoup d’efforts dans ce sens. Il y a un poste chargé du patrimoine syrien qui a été créé au niveau du bureau régional de l’Unesco installé à Beyrouth. On arrive à faire beaucoup avec de petits moyens.

Le zajal a été inscrit à l’Unesco comme patrimoine immatériel! Qui en a-t-il eu l’idée?
Le zajal est le premier patrimoine immatériel libanais à avoir été inscrit à l’Unesco, le 27 novembre 2014. C’est le syndicat des poètes du zajal qui en a eu l’initiative et le ministère de la Culture libanaise les a soutenus énergiquement. Ce qui est incroyable est que la demande est passée du premier coup, alors que c’est rare que ça le soit. La célébration principale n’a pas encore eu lieu; elle se déroulera au Palais de l’Unesco à Beyrouth.

Concernant le patrimoine libanais, à part le zajal, qu’y a-t-il d’inscrit au patrimoine de l’Unesco?
En 1984, l’Unesco a inscrit d’emblée les sites de Baalbeck, Anjar, Byblos et Tyr. En 1998, la vallée de Qannoubine est devenue l’un des rares sites spirituels à faire partie du patrimoine mondial de l’Unesco avec la Forêt des cèdres.

Y a-t-il d’autres sites libanais que vous présenterez afin qu’ils soient classés patrimoines de l’Unesco?
Bien sûr, mais cela reste confidentiel… Tout ce que je peux vous dire est qu’il s’agirait d’un monument moderne qui serait le premier à être classé dans le monde arabe.

Roula Cusson, Paris

Un parcours atypique
L’actuel ambassadeur du Liban auprès de l’Unesco est un diplomate au parcours atypique. C’est sous l’influence de Charles Hélou que ce scientifique de formation se passionne pour la francophonie. En effet, l’ancien président était un précurseur en la matière puisque, dès 1986, il œuvrait pour le développement d’un «espace francophone économique». Khalil Karam avoue que bien que n’ayant pas reçu de formation économique, c’était la promotion de la francophonie en tant que telle qui l’a d’emblée intéressé. Son investissement pour cette cause lui vaut de devenir en 2008 le représentant personnel du président Michel Sleiman pour la Francophonie, au moment où il occupait le poste de vice-recteur au développement de l’Université Saint-Joseph à Beyrouth.
C’est en 2013 qu’il devient ambassadeur du Liban auprès de l’Unesco, une institution qu’il connaît bien pour y avoir déjà effectué plusieurs missions en tant que membre du Conseil exécutif (1997-2001), ainsi que président du Groupe francophone à l’Unesco, ou encore en tant que vice-président de la Commission nationale libanaise pour l’Unesco.

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