Magazine Le Mensuel

Nº 3007 du vendredi 26 juin 2015

Livre

Les miroirs d’Eve d’Antoine Raad. La pomme, le diable et le mystère

Les miroirs d’Eve est le titre de l’ouvrage récemment publié par le poète libanais Antoine Raad. Présentés en trois langues, arabe, français et anglais, les textes sont accompagnés de dessins du peintre irakien Hani Mazhar.
 

«Une pomme rouge à la main/Eve séduit Adam au paradis/Un fléau de malheurs s’ensuivit/La suite de l’histoire est connue/Et depuis, tout Adam garde dans son gosier/Un désir prisonnier». Dès qu’on évoque la femme, dès que l’homme évoque la femme, c’est immanquablement, pas toujours fort heureusement, qu’apparaît l’image de la pomme, signe du péché originel, qu’Eve aurait tendue à Adam, la femme à l’homme. La femme qui, dans l’ouvrage de Raad, se faufile souvent par le biais du diable, qu’il soit dans sa chevelure, ses intentions ou son reflet dans le miroir.
«Il existe dans la langue arabe une similarité quasi parfaite entre le mot femme ‘‘Maraat’’ et le mot miroir ‘‘Miraat’’, ce qui invite à la réflexion», écrit dans la préface Zahida Darwiche Jabbour. De par le titre de l’ouvrage, Les miroirs d’Eve, Antoine Raad associe ces deux mots, le reflet et le symbole de toutes les femmes, pour tenter, toujours selon la préface, «de cerner les figures multiples de la femme dans un langage où la plume qui écrit sur la page blanche se double du pinceau d’un peintre irakien de talent, Hani Mazhar, et où le poème dialogue avec le dessin qui l’éclaire et le complète pour former ensemble une œuvre d’une beauté remarquable qui parle à l’affect et berce l’imagination, comme elle enchante l’oreille et plaît à l’œil».

 

Entre le mot et le dessin
Dans ce mariage entre les mots d’Antoine Raad et les dessins de Hani Mazhar, il y a peu de place à l’imaginaire, à la suggestion, tellement fidèles l’un à l’autre, tellement réfléchissant, reflétant l’un l’autre sans aucun interstice par où l’esprit pourrait vagabonder. Un chapitre, un titre, un poème, une citation et un dessin; c’est sous cette forme que se déclinent les différents feuillets du livre. Des titres: La pomme du péché, L’éclat assassin, La perle et le verre, Le miroir pervers, Le premier amour… aux diverses citations et dictons: «Quand le diable n’y peut rien, il délègue une femme», «La femme est le fruit le plus délicieux de la terre et du ciel», «La femme n’est pas créée pour être admirée de tous, elle est créée pour le bonheur d’un homme»… aux strophes de quelques vers qui se déclinent en arabe, français et anglais: «Je brûle d’envie pour une métisse/Une femelle aux désirs instinctifs et naïfs/Sa glace est d’elle si amoureuse/Qu’on la dirait lesbienne?»… la femme se voit parée de tous les attributs, de tous les cataclysmes, de tous les mystères, qui ne sont finalement que le reflet du désir de l’homme.
«L’homme recherche dans la femme l’Autre comme Nature et comme son semblable, écrit Simone de Beauvoir dans Le deuxième sexe. Mais on sait quels sentiments ambivalents la Nature inspire à l’homme. Il l’exploite, mais elle l’écrase, il naît d’elle et il meurt en elle; elle est la source de son être et le royaume qu’il soumet à sa volonté; c’est une gangue matérielle dans laquelle l’âme est prisonnière, et c’est la réalité suprême; elle est la contingence et l’Idée, la finitude et la totalité; elle est ce qui s’oppose à l’Esprit et lui-même. Tour à tour alliée, ennemie, elle apparaît comme le chaos ténébreux d’où sourd la vie, cette vie même et comme l’au-delà vers lequel elle tend…».
Présente tout au long des pages, au détour de chaque mot, de chaque dessin, la femme ne cesse de s’esquiver, engendrant illusion après l’autre. «Antoine Raad, conclut Zahida Darwiche Jabbour, a réussi dans son recueil à proposer au lecteur un bouquet de poèmes amoureux et un véritable hymne à la femme, ainsi qu’une invitation à jouir de la vie et de la jeunesse avant que l’âge ne nous surprenne et nous ravisse le bonheur».
«La femme est l’avenir de l’homme. Madame revenez demain», lit-on quelques pages plus loin. La femme devrait-elle se sentir flattée d’être l’objet de tant d’images? Puisqu’il s’agit de dicton, «il faut de tout pour faire un monde».

Nayla Rached

Bio en bref
Antoine Raad est un poète libanais ayant occupé plusieurs postes tout au long de sa carrière, à savoir président du Syndicat général des enseignants au Liban et président du Club arabe en Grande-Bretagne. Il est actuellement président du Conseil culturel de la région de Byblos. Dans ses écrits, il a exploré les thèmes de la patrie et de la femme.

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