Magazine Le Mensuel

Nº 2996 du vendredi 10 avril 2015

Livre

Maya Khadra. Ecrire pour bousculer les mentalités

Elle a 24 ans. Passionnée de littérature et d’écriture, elle publie un recueil de poésie, Moi en sépia, et un livre intitulé Derniers jours d’une nymphomane. A travers le parfum sulfureux de sa plume, Maya Khadra revient, certes, sur les sentiments qui taraudent l’âme humaine, mais aussi sur tous les non-dits et les jugements portés par une société libanaise en mal d’être et de vivre.
 

Dans vos deux ouvrages, vous parlez de sentiments amoureux, mais aussi d’érotisme et de sensualité. Pourquoi ce choix? Pour choquer? Pour déranger?
Ce qui m’intrigue, c’est que parler d’amour et d’érotisme choque, alors que lorsqu’on parle de guerre, cela ne choque pas. L’amour, l’érotisme et la sensualité, ces trois piliers, sont inhérents à notre nature humaine. Nous sommes des sociétés passéistes. Nous n’arrivons pas à accepter ce qui est beau dans notre nature humaine. En fait, c’est ma personnalité qui a parlé à travers mes livres. J’ai accumulé beaucoup d’expériences amoureuses dans ma vie, autant donc les exploiter dans mon œuvre littéraire. Ces ouvrages sont quelque part biographiques. Moi en sépia s’inspire d’un vécu. J’ai choisi l’écriture cathartique pour faire face à mes fantômes internes.

Au Liban, on a tendance à cacher sa vie privée pour éviter le qu’en-dira-t-on. Partager votre vécu amoureux ne vous dérange donc pas?
J’ai horreur du mot «cacher». J’aime la transparence. Certains m’ont reproché d’être exhibitionniste. Mais non, je ne le suis pas. Ma plume est un moyen d’exorciser mes démons internes. Moi en sépia a été écrit sur un intervalle de deux ans. J’avais 20 ans quand je m’y suis mise. La poésie était l’expression qui correspondait au mieux à mon lyrisme. C’est ma nature très sensible qui m’a poussée à recourir à cette forme d’écriture pour parler de mes deux grandes questions existentielles qui concernent la vie et l’amour. Ma personnalité se découvre, je me mets à nu devant le lecteur. J’aimerais contribuer à la libération des mentalités. J’ai libéré mon style et j’ai nommé un chat un chat. Mon choix des mots parfois crus est voulu. Déjà, que je sois une femme et que je parle de nymphomanie a dérangé. Mais cette forme d’écriture sera le socle des prochains livres que je vais écrire.

Quelles sont les principales critiques que vous avez reçues?
Dans les milieux conservateurs, certains ont prétendu que je faisais l’apologie de la nymphomanie rien qu’en se basant sur le titre de mon livre. Alors qu’en fait, la tonalité tragique prévaut plus que la tonalité érotique. Le titre est bluffant. On m’a reproché d’avoir adopté un style osé et cru. Les milieux religieux que je critique en filigrane dans mes ouvrages n’apprécient pas outre mesure mes écrits.
Mon milieu familial, lui, est plutôt cool avec la question. D’ailleurs, à la maison, on m’appelle «Maya la différente». Mes parents respectent cette différence.

Quel est le message que vous avez voulu transmettre?
C’est un message adressé principalement à la femme libanaise. Je souhaiterais qu’elle libère son corps des tabous, de l’idée du péché originel, source de tant de problèmes sur le plan sexuel. C’est un appel à la libération, mais aussi à la paix, au rejet de la violence sous toutes ses formes. L’amour n’est pas le vrai tabou, mais c’est la guerre qui l’est. Il faut se réconcilier avec soi pour que cela n’engendre pas de problèmes psychologiques, problèmes qui foisonnent dans nos sociétés propices à tous les genres de refoulement. Or, plus le refoulement augmente et plus la violence augmente.

Des projets?
Il y aura une suite aux Derniers jours d’une nymphomane, qui relatera l’enfance de la nymphomane et qui mettra en évidence les traumatismes qu’elle a vécus et qui ont abouti à l’émergence de sa personnalité pathologique. 

Propos recueillis par Danièle Gergès

Bio en bref
Maya Khadra détient une licence en langue et en littéraire françaises et d’un master spécialisé en narratologie et en psychanalyse de l’Usek (Université Saint-Esprit de Kaslik), elle y travaille, depuis, comme rédactrice en langue française. Elle est enseignante et journaliste. En octobre 2013, elle remporte le premier prix du journalisme francophone illustré en zone de conflits du Salon du livre francophone. Elle a participé à l’ouvrage collectif Le cèdre polyphonique en 2012.  En 2014, elle publie Moi en sépia, un recueil de poésie qui revient sur de grands moments de sa vie sur le plan amoureux, religieux et érotique. Derniers jours d’une nymphomane raconte l’histoire d’une femme nymphomane pendant la Guerre civile. Maya est en cours de préparation d’un doctorat en littérature française.

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