Magazine Le Mensuel

Nº 2983 du vendredi 9 janvier 2015

general

Aoun-Geagea. Enterrer la hache de guerre!

La première conséquence du dialogue entre le Courant du futur et le Hezbollah s’est traduite sur le plan chrétien. Les deux principaux pôles maronites en lutte tantôt sourde et tantôt ouverte depuis des années, Michel Aoun et Samir Geagea, ont compris qu’ils ne pouvaient pas ne pas se rencontrer, alors que le Hezbollah et le Courant du futur ont réussi à s’asseoir autour de la même table. Mais de là à imaginer qu’une entente entre eux est proche, il y a encore un grand pas que nul n’est prêt à franchir.

Depuis quelque temps déjà, le Vatican multipliait les pressions sur Bkerké pour que le siège patriarcal et son chef trouvent le moyen de réunir les pôles chrétiens. Le Vatican était convaincu qu’en cette étape particulièrement critique de l’histoire des chrétiens dans la région, ceux du Liban ne pouvaient pas continuer à être aussi divisés. Cette division avait en effet de graves conséquences sur leur moral dans la région, d’autant que les autres composantes libanaises leur faisaient assumer la responsabilité de la vacance à la tête de l’Etat. Il fallait donc agir au plus vite, ne serait-ce que pour la forme.
 

Discussions sérieuses
L’amorce du dialogue entre le Courant du futur et le Hezbollah, séparés par un fossé bien plus profond que celui qui existe entre Aoun et Geagea, a ainsi été le catalyseur et, depuis, les préparatifs vont bon train pour organiser une rencontre entre le chef des Forces libanaises (FL) et le leader du Courant patriotique libre (CPL). De proches conseillers des deux hommes ont été chargés du travail, Melhem Riachi, responsable du département de l’information au sein des FL pour Geagea et Ibrahim Kanaan, président de la Commission parlementaire des Finances pour Aoun. Riachi et Kanaan se connaissent bien, tous deux originaires du Metn ayant déjà coopéré sur certains dossiers au cours de la période précédente. Ils donnent donc, en quelque sorte, une certaine crédibilité au dialogue en gestation, tous deux étant connus pour leur sérieux. D’ailleurs, ils ont déjà initié un début de dialogue en cautionnant par leur présence le coup de fil de vœux échangé entre Geagea et Aoun à l’occasion des fêtes de fin d’année.
En principe, tout est fait pour montrer que Aoun et Geagea ont bien l’intention de discuter sérieusement de la situation des chrétiens et des moyens de renforcer leur présence au Liban et dans l’appareil de l’Etat pour donner un signe encourageant aux chrétiens de la région. Si l’on s’en tient aux généralités, des terrains d’entente peuvent être trouvés, les deux formations ayant, en principe, à cœur les intérêts des chrétiens, chacune de son point de vue. Mais c’est au sujet de la présidentielle que le fossé apparaîtra dans son ampleur. Selon une source maronite qui suit de près ce dossier, les deux hommes ont, dès le départ, des positions totalement opposées: Samir Geagea est persuadé que Michel Aoun n’a aucune chance de devenir président et, par conséquent, il espère le convaincre de retirer sa candidature pour ouvrir la voie à une entente sur un troisième candidat. De son côté, Michel Aoun est persuadé d’avoir des chances d’être élu et il espère convaincre son interlocuteur et rival de l’importance d’appuyer sa candidature pour permettre aux chrétiens de reprendre du poil de la bête et de s’imposer en partenaires à part entière au sein de l’Etat, au même titre que les sunnites et les chiites. Geagea arrive en même temps à ce dialogue fort de l’appui obtenu au cours de sa récente visite en Arabie saoudite, où il a été reçu par la plupart des responsables et des figures importantes de la famille royale. Face au général Aoun, qui bénéficie de l’appui du Hezbollah et de tous les alliés de ce dernier, Geagea avait besoin de l’appui saoudien, surtout après les déclarations de Saad Hariri sur sa disposition à retirer la candidature du chef des FL pour ouvrir la voie à une entente sur le dossier présidentiel. Ce qui avait affaibli la position de ce dernier face à son rival.

 

D’égal à égal
Désormais, les deux hommes vont donc parler pratiquement d’égal à égal. Mais cela ne signifie pas qu’un accord est à portée de main. D’autant que les positions sur le dossier présidentiel restent inchangées. Geagea se fait fort de montrer au général que l’Arabie saoudite ne peut pas l’accepter comme président et le général pense avoir des éléments qui démentent cette affirmation. Il est ainsi convaincu que le veto sur sa candidature vient uniquement du prince Saoud el-Fayçal pour des raisons qui remontent à sa position au sujet de l’accord de Taëf en 1990, mais en réalité, son élection à la tête de l’Etat serait bénéfique à la communauté sunnite et, en particulier, à Saad Hariri et au Courant du futur, car en tant que président fort, et bénéficiant d’une grande représentativité sur la scène chrétienne, il pourra avoir une certaine autonomie par rapport à toutes les autres parties libanaises, régionales et internationales. Dans le rapport actuel des forces, élire un président d’entente signifie un tiraillement permanent entre les deux importantes formations sur la scène libanaise, le Hezbollah et le Courant du futur, sachant que le parti de Dieu reste dans ce contexte, le plus fort des deux. En revanche, si le président a sa propre force due à l’existence d’un bloc parlementaire et d’une large assise populaire, il pourra remplir effectivement son rôle d’arbitre et de gardien de la République et de la Constitution. L’Arabie saoudite, qui craint une remise en cause de l’accord de Taëf par l’Iran et ses alliés libanais, pourrait donc y trouver son compte et obtenir ainsi une confirmation de cet accord conclu sous son égide et avec son parrainage, sans parler du retour en force de Saad Hariri à la présidence du Conseil.
Le raisonnement se tient, mais sera-t-il de nature à convaincre le chef des Forces libanaises qui, selon ses proches, n’envisage pas vraiment la possibilité d’élire Michel Aoun à la présidence? Et comment Geagea pourrait-il accepter un tel scénario, sans avoir l’air d’avoir perdu la manche, après avoir pendant sept mois tourné en ridicule la candidature de Michel Aoun, tout en lui faisant assumer la responsabilité du blocage sur le dossier présidentiel? De son côté, que peut promettre Aoun à Geagea pour le convaincre qu’il n’y aura de sa part, s’il est élu, ni vengeance ni discrimination?
C’est de tout cela qu’il sera question dans le dialogue à venir, mais les deux hommes ne sont pas pressés. Ils préfèrent observer l’évolution des discussions entre le Courant du futur et le Hezbollah… En attendant, la priorité pour eux est d’enterrer la hache de guerre.

Joëlle Seif

Les chances de Frangié
Dans les coulisses politiques, il est de plus en plus question des chances de l’ancien ministre et chef des Marada, Sleiman Frangié, d’arriver à la présidence de la République. C’est un quotidien saoudien qui a, le premier, lancé l’information, précisant que si Riyad pose un veto sur la candidature du général Michel Aoun, il pourrait, en revanche, accepter celle de Sleiman Frangié, sachant que la famille de celui-ci a toujours entretenu de bonnes relations avec le royaume wahhabite, notamment du temps de son grand-père, l’ancien président de la République. Par la suite, Frangié a lui-même déclaré que si le général Aoun retirait sa candidature, il présenterait la sienne, ajoutant que tant que Aoun est candidat, il l’appuiera totalement. Depuis, l’idée fait son chemin et le nom de Frangié est de plus en plus cité…

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