Magazine Le Mensuel

Nº 2965 du vendredi 5 septembre 2014

general

La brocante de Damour. Chinez utile

Les puces du souk el-ahad et les antiquaires de Basta n’ont qu’à bien se tenir. A quelques minutes de Beyrouth, dans les hauteurs de Damour, une caverne d’Ali Baba recèle mille et un trésors. Tenue par l’association Arcenciel, cette brocante, pas tout à fait comme les autres, mériterait d’avoir un peu plus pignon sur rue. Reportage.                      

Une brocante à Damour? Jamais entendu parler. S’agit-il de ces puces organisées par des organismes caritatifs où l’on trouve de tout et beaucoup de n’importe quoi? A l’entrée du centre imposant d’Arcenciel, un vieux piano croulant a déjà trouvé preneur. Annoncerait-il le ton d’une brocante d’antiquaire d’exception? Au rez-de-chaussée, l’aile de droite réserve quelques surprises. Entre des salles consacrées aux soins dentaires, à la physiothérapie ou à des stocks de nourriture, de vieux transistors, des tableaux, une belle collection de livres ou encore des dactylos retiennent tout particulièrement l’attention du chineur. Il faut dire qu’Arcenciel n’est pas une jeune première dans le paysage libanais des ONG humanitaires. Créée il y a 28 ans, dans un premier temps pour soutenir les personnes à handicap dans leur vie quotidienne en leur pourvoyant matériel adapté et travail, l’association a aujourd’hui plusieurs centres et toute une série de programmes touchant au domaine de l’agriculture, de l’emploi, de la jeunesse, de l’environnement, de la santé, du social, de l’écotourisme et, bien sûr, de la mobilité.
Le coup d’œil valait donc le détour! «Vous n’allez pas voir le second étage?». Un second étage et deux sous-sols, de quoi passer quelques heures à dénicher là où des centaines de milliers d’objets d’or sont à découvrir: d’anciens journaux aux meubles vintage, des poussettes d’un autre temps, des cravates, sacs, icônes russes, appareils photos, des dizaines de dactylos, transistors, projecteurs, meubles anciens à la patine qui font rêver, des tourne-disques, d’anciennes boîtes à gâteaux, des centaines de vinyles, des bijoux, de la porcelaine, de la verrerie, des télévisions datant des années 60, des tables de chevet, lits, armoires, bureaux en bois massif, lustres, lunettes, affiches originales, etc. Tout est agencé comme si le visiteur entrait dans un appartement de Téta où tout serait à vendre. Difficile de trouver mieux au Liban, d’autant que même les antiquaires de Basta viennent ici même s’approvisionner.

 

Arcenciel ou le frère libanais d’Emmaüs
Dans le bureau de l’ONG, au premier étage, servant aussi de salle d’exposition pour la brocante avec ses chandeliers, ses montres, tapis, vieux livres, outillage d’horloger et plus encore, Noël Azzi, bénévole, revient sur les premières heures de l’initiative. «Le centre de Damour a été donné par l’Université Saint-Joseph à Arcenciel, introduit-il. Au début des années 2000, nous avons commencé en partie à le transformer en auberge. L’établissement marchait très bien jusqu’à la guerre de 2006 lorsque toutes les vitres ont été cassées, éloignant les vacanciers. Parallèlement, continue-t-il, nous recevions des meubles pour les redonner aux nécessiteux, notamment dans la région de Damour, désertée pendant la guerre.Et pour faire reprendre vie à cette localité, à l’instar de nos autres centres, nous avons ouvert un club de jeunesse, où les adolescents peuvent venir s’amuser de 17h à minuit». C’est justement à travers ce club à Damour que Noël Azzi, il y a quinze ans, prend contact avec Arcenciel pour ne plus la quitter. «C’était mon destin», assure-t-il. Depuis six ans, le jeune homme est une figure incontournable de la brocante. Au fur et à mesure des arrivées de meubles et d’objets en tout genre, l’équipe d’Arcenciel prend conscience qu’une partie de ces dons en nature ne correspondent pas aux besoins des plus démunis, mais plus à des éléments de décoration qui pourraient faire le bonheur des amateurs de brocantes. La démarche est redoutable et bien ficelée. Si les meubles arrivent en mauvais état, ils sont retapés dans l’atelier de menuiserie installé au premier sous-sol. On y retrouve Michel, salarié d’Arcenciel depuis 1992. Il était venu chercher des béquilles et puis, il y est resté lui aussi. Nostalgique des années où la structure était de plus petite taille, notre menuisier, qui travaille aujourd’hui en chaise roulante, ne regrette pas sa rencontre avec l’ONG. «Ce travail, bien sûr, m’a aidé, moralement et économiquement, assure-t-il. J’ai un emploi, un revenu et je ne dépends de personne».
A quelques mètres de là, Elie s’affaire à l’ouvrage. S’il a commencé par confectionner des tricots, Handicap International est venu lui apprendre à fabriquer des chaises roulantes. Aujourd’hui, ils s’occupent des rafistoler ou de récupérer des meubles, car ici rien ne se perd, tout se transforme. Une armoire mangée par les mites sera reconvertie en planches de bois. On ne jette rien! Au-delà de peindre, de travailler le métal, Elie qui vit au centre avec sa famille s’occupe également de réaliser des icônes et des cadres.

 

Les Robins des bois des temps modernes
La brocante de Damour c’est un peu la recette miracle: elle permet l’insertion de personnes en difficulté, leur pourvoit un logement et/ou un travail, donne une seconde vie à des dizaines de milliers d’objets, redonne leur dignité à des familles en besoin (notamment aux réfugiés syriens) en leur procurant matelas, lits, frigos, machines à laver, draps, ustensiles de cuisine etc. Cerise sur le gâteau, elle offre aux curieux et aux chineurs l’occasion de se faire plaisir et de dénicher quelques éléments de décorations vintage à des prix compétitifs. Les membres d’Arcenciel ne cachent d’ailleurs pas que leur cible privilégiée oscille entre les classes moyennes supérieures et les classes aisées. «La brocante a été fondée comme cela. On prend aux riches pour redonner aux pauvres», remarque l’un d’eux. Car tous les profits des ventes vont dans les caisses de l’ONG et financent ses projets. «Avant tout, nous faisons du social», rappelle-t-il.
Il ne reste plus qu’à flâner de salle en salle à la recherche de la perle rare, celle-là même qui se conjuguera sans aucun effort en bonne action!

Delphine Darmency
 

Brocante ouverte du lundi au samedi de 10h à 16h, centre Joseph – Damour.
labrocanteaec@gmail.com

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