Magazine Le Mensuel

Nº 2921 du vendredi 1er novembre 2013

à la Une

La NSA écoute les alliés. Obama empêtré dans le scandale

Sérieusement écornée par ses adversaires républicains pour son exercice du pouvoir, l’image du président américain a pris un sérieux coup sur la scène internationale avec l’affaire des écoutes. Le contrat de confiance avec ses alliés stratégiques est désormais rompu.
 

Edward Snowden avait déjà gâché, le 18 juin, le voyage de Barack Obama à Berlin. En pleine campagne électorale allemande, les premières révélations sur la surveillance des «amis» allemands par l’Agence nationale de sécurité (NSA) américaine avaient jeté un froid. A l’époque, le président Obama affirmait que le contenu des communications n’était pas concerné et que les interceptions avaient permis de déjouer des attentats. Quatre mois plus tard, il n’est plus question pour le président américain de minimiser, ni de se tenir à l’écart d’un scandale qui met à l’épreuve la confiance des alliés les plus proches et affaiblit la prétention de Washington à incarner l’exemplarité et la moralité aux yeux du monde. Selon les nouveaux documents révélés la semaine dernière par le quotidien britannique The Guardian, la NSA a surveillé les conversations téléphoniques de trente-cinq dirigeants de la planète après qu’un responsable de l’administration américaine lui eut transmis les numéros de téléphone.
 

La grogne des alliés
La crise ouverte avec l’Union européenne, après la révélation des écoutes visant le portable d’Angela Merkel et l’interception massive de communications en Europe, menace d’affaiblir Barack Obama tant sur le plan international qu’intérieur. Le président savait-il que le téléphone de la chancelière allemande était sur écoute? Susan Rice, sa conseillère pour la sécurité, a affirmé qu’il l’ignorait. Cette surprenante réponse donnée lors d’une conversation «aigre» entre Rice et son homologue allemand Christoph Heusgen rapportée, vendredi 25 octobre, par le New York Times, interroge sur la réalité du leadership de Barack Obama sur les services de renseignement. Elle donne aussi la mesure de la toute-puissance de la NSA, de l’ivresse intrusive que lui confère son colossal budget.
L’affaire a largement dominé les discussions, jeudi 24 octobre au soir, à Bruxelles, lors du Conseil européen. Les Vingt-huit se contentent dans une déclaration finale de regretter les agissements de Washington, sans autre mesure. Seules la France, dont les représentations diplomatiques étaient sur écoute, et l’Allemagne se sont distinguées en lançant une initiative commune afin d’amener les Etats-Unis à adopter un code de bonne conduite en matière de renseignements. Par ailleurs, l’ambassadeur des Etats-Unis en Espagne est convoqué à Madrid. Les autorités veulent lui demander des explications après les révélations sur d’éventuelles écoutes de plusieurs ministres, dont l’ancien président du gouvernement, José Luis Zapatero.
L’espionnage ne se limite pas au continent européen. L’hebdomadaire allemand Der Spiegel assurait dimanche que la NSA avait espionné les courriers électroniques de 
l’ex-président mexicain Felipe Calderon (2006-2012) à partir de mai 2010 et «espionné systématiquement et pendant des années le gouvernement mexicain». Début septembre au G20 de Saint-Pétersbourg, en Russie, Barack Obama avait dû réorganiser en catastrophe son emploi du temps pour un entretien en tête-à-tête avec son homologue brésilienne, Dilma Rousseff, scandalisée après des révélations de presse sur la surveillance de ses communications personnelles. En signe de protestation, la présidente avait pris la décision d’annuler une visite d’Etat à Washington.
Du côté de la NSA, les dernières révélations semblent avoir généré quelque nervosité. «Il est mauvais que des journalistes détiennent ces 50 000 documents (…). Nous devons absolument trouver un moyen d’arrêter ça», a lancé, jeudi, le général Keith Alexander, le patron de l’agence mise en cause, dans un entretien publié sur un blog du Pentagone. Aux Etats-Unis, la représentation politique justifie comme un seul homme les pratiques de la NSA, comme le président de la Commission du Renseignement à la Chambre des représentants, le républicain Mike Rogers.
Loin de blâmer les pratiques de la NSA et l’Administration Obama, il exprime son incompréhension devant la colère des Européens: «Si les citoyens français savaient exactement de quoi il s’agit, ils applaudiraient et feraient sauter des bouchons de champagne. C’est une bonne chose, cela permet de protéger les Français, de protéger les Etats-Unis, de protéger nos alliés européens!».

 

Obama devrait cesser de s’excuser
Cet avis est largement partagé par les élus républicains et démocrates. Le représentant Peter King, qui préside la sous-Commission de la Chambre sur le contre-terrorisme et le renseignement, estime qu’Obama devrait «cesser de s’excuser, car les activités de la NSA ont sauvé «des milliers». Et selon les sondages réalisés au moment de la fuite d’Edward Snowden, la majorité des Américains souhaitent une meilleure protection de la vie privée, mais pas au détriment de la sécurité nationale, placée en tête de leurs préoccupations.
Barack Obama savait-il que le téléphone portable d’Angela Merkel était écouté par la NSA? Et si oui, depuis quand? Selon le Wall Street Journal de ce lundi, le président des Etats-Unis a appris par un rapport interne commandé en milieu d’année que la chancelière allemande était espionnée et il a aussitôt ordonné à la NSA d’y mettre fin. «Obama n’a pas mis fin à cette opération et l’a au contraire laissée se poursuivre», a déclaré anonymement un haut responsable des services de la NSA, informations aussitôt démenties par l’agence.
La position de Barack Obama s’explique aussi par le fait qu’il est pris en étau entre les républicains − majoritaires au Congrès − qui l’accusent d’être trop faible face au terrorisme, et les défenseurs des libertés individuelles, qui revendiquent la protection et la confidentialité des données privées. Face au scandale, le président s’est justifié en mettant en avant la nécessité de faire des «compromis» entre la protection de la vie privée et les exigences de la lutte antiterroriste. «En théorie, on peut se plaindre de Big Brother et de la façon dont ce programme pourrait potentiellement dégénérer, mais quand on regarde vraiment les détails, je pense que nous avons trouvé le bon équilibre», assurait-il il y a quelques semaines.
Lorsque Barack Obama a été élu, en 2008, l’Europe a été saisie d’un furieux accès d’Obamania. Longtemps, le président américain a conservé de l’autre côté de l’Atlantique une popularité bien supérieure à celle de la moyenne des dirigeants européens, même lorsque sa cote s’effondrait auprès de ses propres concitoyens. Cet été, l’image a basculé. Sur les dessins de presse, de grandes oreilles lui ont poussé.

Julien Abi Ramia

Les pays «hostiles» surveillés
Selon le Washington Post, les autorités 
américaines ont décidé d’alerter certains services de renseignement étrangers qui collaborent secrètement avec les Etats-Unis pour les informer que des documents relatifs à cette coopération sont tombés entre les mains d’Edward Snowden. Leur éventuelle 
divulgation pourrait mettre à mal les relations de Washington avec des pays sensibles. D’autant qu’il s’agit cette fois, non pas de 
statistiques sur les interceptions 
téléphoniques, mais de 30 000 documents ultrasecrets concernant les capacités 
militaires ou la stratégie de certains Etats hostiles. Edward Snowden y aurait eu accès au moyen d’un système de communication géré par l’Agence du renseignement de la défense (DIA) qui centralise les renseignements 
destinés aux forces armées. «Il s’agit de la révélation d’informations secrètes la plus grave de l’histoire du Renseignement 
américain», a souligné, vendredi sur la chaîne CBS News, Michael Morell, ancien directeur adjoint de la CIA.
Réfugié à Moscou après une étape à Hong Kong, l’ancien informaticien de la NSA 
inculpé d’espionnage a affirmé qu’il avait confié tous les documents en sa possession à des journalistes avant de partir pour la Russie, et qu’il n’y avait donc «aucun risque que les Russes ou les Chinois aient pu 
recevoir un document».

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